Journal du sergent Daniel Coutheillas 9-10 juillet 1940
Espoirs
Mardi 9 juillet 1940
Encore du remue-ménage. Des lueurs d’espoir naissent à l’horizon : deux soldats vont être libérés. Employés aux chemins de fer, ils annoncent peut-être toute une série de départs. Dieu le veuille !
Depuis ce matin nous sommes réunis en compagnies de travail d’environ deux cents hommes. Certaines sont des compagnies d’agriculteurs, de pionniers, de cantonniers, de récupérateurs. Je fais partie de cette dernière catégorie. Je reste avec Prunet, Dumousseau, Mas, Clément, Béal et Basset.
Je suis dans un nouveau local. Nos couchettes sont installées épouvantablement sur les rayonnages d’un magasin d’habillement de la grandeur d’une capote militaire. Ou j’ai la tête et les pieds dans le vide, ou je suis recroquevillé la dedans. Prunet est logé à l’étage en dessous, c’est à dire à 50 centimètres sous moi. Encore une nuit sur du bois dur.
Mercredi 10 juillet 1940
L’espoir est un peu retombé : les deux hommes qui devaient partir sont toujours là et rien ne laisse prévoir leur départ. La douche écossaise fonctionne au mieux !
J’ai trouvé un matelas, bien plat, que je partage avec Mas dans mon « casier ». J’espère que la nuit prochaine sera plus douce à mes côtes que la dernière. Je me suis réveillé tout courbaturé, mais cela n’a pas duré.
Je suis rasé de près et tout à l’heure, j’espère un bain en rivière. Je porte la même chemise, les mêmes bas depuis un mois ! O mon cher confort, combien j’ai eu raison d’en profiter !
Le diner d’hier soir a consisté en une boule de pain pour quatre et un morceau de lard gras. Ça donne des renvois de chandelle à Prunet. Un quart d’ersatz de café non sucré.
A midi aujourd’hui, du blé gonflé décortiqué avec – encore !- quelques morceaux de tétine et pas de pain. C’est court, très court. J’ai maigri et me sens fatigué au moindre effort, mais je n’en fais pas.
Je voudrais voir des bois, des champs. Parfois le soleil dore au loin un coteau et mes yeux s’y posent. Mon cœur se serre à la pensée que là-bas, c’est la liberté.
Toujours sans nouvelles….
Ces compagnies de travail, j’en attends une sortie dehors, dans les bois, la campagne. Je voudrais changer d’horizon, coucher sous la tente, faire du camping que pourtant je n’aimais pas !
Dumousseau ramène une boule de pain entière à la suite d’une corvée exécutée par lui. Nous la gardons comme trésor.
Dans la chambrée, un air tout doux d’harmonica. Nostalgie.
Pour Prunet, la nuit a été très dure sur les planches. Il dort sur une paillasse. Son visage est béat. Il a maigri et son ventre d’homme bien assis est maintenant un souvenir.
Beaucoup lisent, étendus. D’autres dorment.
Nous apprenons que les Allemands auraient essuyé parfois de grosses pertes.
Ils nous disent que les anglais ont détruit un de nos derniers bateaux de guerre à Dakar. Est-ce vrai ?
Demain, ma petite fille aura six ans. Amertume de ne pas la serrer dans mes bras. Où est-elle ?…
Que faut-il attendre de nos gardiens ? L’esclavage, ou bien une libération contre rançon ? Rien de certain ni même de probable. Nous sommes totalement isolés du monde.
A suivre
Prochaine édition le 11 juillet
Sergent vaguemestre Coutheillas Daniel
58ème Division d’Infanterie, 1er Compagnie du Génie, S.P.241
Daniel Coutheillas et Eugène Prunet, mai 1940