Qu’est-ce que t’as fait à la guerre, Papa? (4-L’ennui)

Journal du sergent Daniel Coutheillas 5 juillet 1940

Vendredi 5 juillet 1940
Un petit arsouille de la Bastille est venu tout à l’heure emprunter de l’argent à Prunet pour jouer à la Banque ! Il pourrait aussi bien jouer avec des cailloux car, ici, plus rien ne s’achète,  l’argent n’a plus cours (Est-ce que ce ne serait pas  un bienfait si ça se généralisait ?).  Je ne sais comment ce petit arsouille se débrouille, mais il nous apporte du pain, des biscuits, piqués on ne sait où.
Les officiers allemands sont venus voir nos cuisines qui ont été installées dans la cour. Ils ont humé le fumet en prononçant des Goutt ! Goutt ! mais en se gardant bien d’y goûter. C’était d’ailleurs un échantillon de tout ce qui nous sera administré dans la semaine. Je ne me rappelais pas que les vaches avaient autant de tétines.
Notre Christ prépare deux lapins tués par son équipe lors d’une corvée. L’air embaume.
Maintenant, tout le monde est couché sur les lits (?) L’abattement règne. Malfait, notre adjudant, décore sa gamelle en y gravant ses initiales destinées. Brave garçon de St-Quentin, ce Malfait. Sa famille qu’il avait évacuée en Bretagne doit y être à nouveau envahie. Il a vécu la guerre de 14 avec les Allemands dans sa ville. Il a juré il y a huit jours de ne jamais y retourner, mais maintenant il a hâte de s’y retrouver avec les siens, tant est fort ce qui vous lie au pays natal.
Des évadés sont revenus au camp, la tête basse, repris à quelques kilomètres d’ici. Du coup, et aussi grâce à quelques âneries faites par nos codétenus, la discipline se resserre. Dommage.

L’ennui
Prisonnier !
Triste mot, mais bien plus triste situation ! Nous sommes sans nouvelles. Rien ne vient éclairer notre avenir.
Nous savons que la France est battue mais nous ne savons rien de la Paix. Honorable ? Douloureuse ? Quand sera-t-elle signée ? Qu’est-ce qu’on va faire de nous ?
Je n’aurai bientôt plus de papier. J’ai toujours le crayon prélevé dans les affaires de Bichette, ce fier original dont je ne sais pas ce qu’il est devenu. J’aurais tant besoin de lui aujourd’hui ! Il voulait faire le coup de feu à Toul. Il ne pouvait rien lui arriver de bon. Un percutant à quelques mètres et le voilà blessé sans même s’être battu.
Le soir où je l’ai appris, j’étais désespéré. Nous restions quelques sous-officiers au Fort du Thillot, cinq sur une vingtaine,  et nous devions assurer la défense du fort sous les ordres du Commandant Eguillon, un type un peu sonné. Dans le fort, il y avait deux canons sans culasse, deux mitrailleuses et rien à manger. Nous avions chacun quelques cartouches et Boyer, Le Dourner, Motot, Maladry et moi nous ne rigolions plus du tout. Nous avons reçu le contre-ordre au moment où nous prenions position. Je ne sais pas qui l’avait donné, mais grand merci à lui.
Nous nous sommes retrouvés plus loin, sans les autres sous-officiers. Seuls manquaient à l’appel Devaux, sans intérêt, et L’Auton, un ami jovial ami maintenant perdu de vue, probablement prisonnier ailleurs. Il manque à notre groupe. On le reverra sans doute à Paris.

A suivre
Prochaine édition le 6 juillet

Sergent vaguemestre Coutheillas Daniel
58ème Division d’Infanterie, 1er Compagnie du Génie, S.P.241

sergentDaniel Coutheillas et Eugène Prunet, mai 1940

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