Journal du sergent Daniel Coutheillas 6-8 juillet 1940
Samedi 6 juillet 1940
Décevante journée. Je m’ennuie terriblement. Il faut sourire quand même et tenter d’éloigner ce cafard collectif qui nous mènerait où?…Dures journées. Triste, triste journée qu’aucun espoir ne vient ensoleiller.
Vu les photos d’un journal allemand : Versailles avec une sentinelle allemande, Orléans pareil et Paris de même. Place de la Concorde : un jeune officier pose devant la statue de Strasbourg.
Strasbourg ! Strasbourg allemand maintenant. Je ne reverrai plus les Vosges sous le même jour. Nous sommes amputés de l’Alsace.
Que nous réserve l’avenir ?
Le présent est incertain. D’une minute à l’autre, notre vie peut changer. Des milliers d’hommes sont là, aspirant à la liberté, force perdue. Mon Dieu, rendez les à la vie !…
Il y a quinze jours que la guerre est finie pour nous, quinze jours que l’espoir nous fait vivre. Nos nerfs s’émoussent..
Je lis ce qui se présente, peu d’intérêt.
Je dors. J’ai une avance terrible de sommeil, Prunet aussi.
Mauvais augures
Dimanche 7 juillet 1940
Il pleut, il fait froid, et l’air est chargé de mauvais augures.
Hier soir, j’étais malade, fiévreux, affaibli par une nourriture insuffisante. A midi, elle était d’un aspect repoussant et il fallait vraiment avoir faim.
Je suis très las. Les poux sont apparus dans la chambrée. Il ne manquait plus que ça.
J’ai voulu me laver à la rivière qui passe là, juste à côté du camp : Verboten! J’ai dû me contenter d’un litre d’eau, juste de quoi me rincer la figure et me raser.
Je suis découragé. Jamais je ne pourrai aller au bout de cette captivité. Malgré tous mes espoirs d’un proche départ, les dispositions que prennent les allemands m’inquiètent : les bâtiments sont numérotés, nous allons recevoir un prêt en marks, une coopération va s’installer, les listes des prisonniers par profession ont été établies. Tout ça sent l’organisation de longue durée et je suis de plus en plus inquiet !
S’il se met à faire chaud ces prochains jours, une épidémie est à craindre. Vingt mille hommes ne peuvent vivre là où les installations hygiéniques sont prévues pour à peine un quart.
L’eau fait défaut totalement. Il y a juste une tonne à eau qui circule dans le camp. C’est une vraie tuerie pour avoir un bidon. Les turbines de Verdun ont été détruites pendant la retraite.
Dans la chambrée, plus aucune gaité. Les quelques esprits joyeux n’ont plus d’écho; les espoirs ne sont pas moins vifs mais l’impatience pointe. Et il n’y a que quinze jours que nous sommes là. Quelle patience a-t-il fallu à ceux de 14 qui furent prisonniers pendant quatre années ? Il est vrai que pendant ce temps-là, la guerre continuait. Nous, nous la savons finie, perdue. Qu’est-ce qu’on attend ? Que tout cela finisse, vite, vite !…
Lundi 8 juillet 1940
Aucune nouvelle de ce qui se passe dehors. Les Allemands nous disent que la France est en guerre avec l’Angleterre. Je n’y crois pas, bien que mon opinion aurait été de commencer par là.
Quelle folie de nous avoir menés là où nous en sommes !
Grand remue-ménage aujourd’hui au camp et je ne présage rien de bon. Nous formons des compagnies de travail : cultivateurs, pontonniers, récupérateurs…Ils auraient donc l’intention de nous faire travailler ?… La libération serait de ce fait lointaine…? J’avais espéré que la libération serait pour la semaine du 14 juillet puis pour la fin du mois, mais avec ça, elle s’éloigne. Il faut attendre, être patient, et je ne le suis guère!
Cet après-midi, j’ai essayé de travailler. J’ai transporté une botte de paille, et puis, zut, j’ai tout laissé en plan !
Ce soir, l’eau a coulé aux lavabos. Ça a été une grande joie. Tout le monde s’est précipité sous la douche.
Au diner, nous avons eu des confitures, chacun deux cuillères à soupe. J’ai triché un peu pour Prunet et moi. Nous étions heureux de manger ça avec notre quart de boule.
A suivre
Prochaine édition le 9 juillet
Sergent vaguemestre Coutheillas Daniel
58ème Division d’Infanterie, 1er Compagnie du Génie, S.P.241