Archives mensuelles : mai 2015

Et Pan sur le Nouveau Roman

Attention, c’est compliqué, mais ça vaut le coup!

Comment la littérature de notations aurait-elle une valeur quelconque, puisque c’est sous de petites choses comme celles qu’elle note que la réalité est contenue (la grandeur dans le bruit lointain d’un aéroplane, dans la ligne du clocher de Saint-Hilaire, le passé dans la saveur d’une madeleine, etc.) et qu’elles sont sans signification par elles-mêmes si on ne l’en dégage pas ?
Peu à peu conservée par la mémoire, c’est la chaîne de toutes les impressions inexactes, où ne reste rien de ce que nous avons réellement éprouvé, qui constitue pour nous notre pensée, notre vie, la réalité, et c’est ce mensonge-là que ne ferait que reproduire un art soi-disant « vécu », simple comme la vie, sans beauté, double emploi si ennuyeux et si vain de ce que nos yeux voient et de ce que notre intelligence constate, qu’on se demande où celui qui s’y livre trouve l’étincelle joyeuse et motrice, capable de le mettre en train et de le faire « avancer dans sa besogne. La grandeur de l’art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l’avoir connue, et qui est tout simplement notre vie, la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie, par conséquent, réelle « réellement vécue, cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu’ils ne cherchent pas à l’éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d’innombrables clichés qui restent inutiles parce que l’intelligence ne les a pas « développés ». Ressaisir notre vie ; et aussi la vie des autres ; car le style, pour l’écrivain aussi bien que pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision.

Extrait de « A la Recherche du Temps Perdu »
Le Temps Retrouvé. Marcel Proust.

Alter & Ego

Il est tout seul sur le balcon du cinquième étage. À travers le feuillage des marronniers, il regarde les pavés noirs du boulevard qui luisent au soleil. Il est encore tôt mais il fait déjà très doux. Les vacances s’étalent presque à l’infini devant lui. Pourtant, il sent qu’il y a quelque chose de pas clair qui se prépare:

     -Il y a quelque chose de pas clair qui se prépare, je le sens.
-Qu’est-ce que tu veux dire ? Tout va bien, il fait beau, les vacances se sont bien passées jusqu’à maintenant.
     -Oui, mais il y a quelque chose d’inquiétant dans l’air. Depuis qu’on est rentrés de St Brévin, je trouve les parents un peu cachotiers. Il y a des sous-entendus, des phrases inachevées, des airs gênés. Maman est perturbée, Papa ne plaisante plus tout le temps. Vraiment, ça m’inquiète.
-Mais qu’est-ce que tu crains ? Après le bord de la mer, on est à Paris, on a le Luxembourg à côté, les trottoirs, les patins à roulettes, peut-être même le cinéma. C’est formidable ça, le cinéma. Ça me manquait, le cinéma. Je commençais à Continuer la lecture de Alter & Ego

Métaphores de l’écriture

Parfois, écrire, c’est construire quelque chose, un ouvrage d’art par exemple, comme un pont sur l’eau trouble. Un pont qu’il faudra prévoir, entièrement, sinon il ne vaudra rien, il ne tiendra pas, il s’effondrera de lui-même.
Il faudra d’abord reconnaître le terrain sur lequel il sera fondé. Rocheux, dur, net, ou bien vague, sablonneux, imprécis.
Ensuite bien connaitre ses deux rives, son début, sa fin.
Etre familier du paysage dans lequel il s’inscrira, peut-être pour toujours.
Ensuite, imaginer sa forme. Sera-t-il suspendu, élégant, massif, ou même virtuel ? Sera-t-il fait de câbles et de cordes légères, de bois grossier, de chaudes briques, de lourdes pierres ou de froid métal ?
Et puis, les fondations. C’est sur elles que reposeront tout le poids de l’ouvrage. Elles seront définitives. Une fois dessinées et construites, on n’y pourra plus rien, elles seront immuables.
Et puis viendront les piles, prolongations des fondations. Elles, elles admettront quelques variations, quelques modifications pendant encore un temps, jusqu’à ce que vienne le tablier, la chaussée, le but de l’ouvrage, celui que les voyageurs du futur emprunteront pour passer d’une rive à l’autre, d’une heure à l’autre, sans vraiment se douter de ce sur quoi ils auront passé un moment de leur vie.

Mais, plus souvent, c’est comme un château sur la plage : le premier jet de sable donne la première forme, presque due à la chance, qui donne à son tour le ton général. Mais c’est au hasard des pelletées suivantes, selon la façon dont elles tombent sur la première, dont elles la recouvrent ou la prolongent, ou dont quelques fois elles tombent à côté, qu’après un peu de retapage, de polissage, vient la forme définitive : château fort,  corps de femme, volute de coquillage, bateau ivre, ou rien du tout, un tas de sable informe, qu’un enfant détruira d’un coup de pied ou sur lequel quelqu’un viendra s’asseoir.

Le blazer

Chaque matin pendant plusieurs heures, l’autoroute M4 qui rejoint l’aéroport d’Heathrow au centre de Londres n’est rien d’autre qu’un monstrueux amas de véhicules arrêtés. Pour éviter ce calvaire aux français qui participent à la réunion mensuelle qui se tient d’habitude au cœur de la City, il a été aimablement décidé par la partie anglaise que, cette fois-ci, elle se tiendrait dans un des hôtels de l’aéroport. Comble d’amabilité  des anglais pour leurs confrères continentaux, ils ont choisi un hôtel français, le Sofitel d’Heathrow.

Pour éviter d’avoir à se lever avant l’aurore et prenant pour prétexte la nécessité d’arriver en pleine forme à cette importante réunion franco-britannique, il avait choisi de prendre un avion la veille au soir. Vingt minutes après avoir atterri, il était dans sa chambre et se faisait servir à diner devant la télévision. A dix heures tente, après un long bain bien chaud qu’il avait pris en buvant un long whisky bien glacé, enveloppé dans l’un des longs et confortables peignoirs qu’il avait trouvé accrochés sur cintre au dos de la porte de la salle de bain, il s’était plongé dans un vieux Ian Fleming. Il trouvait que l’élégance et la désinvolture  de James Bond, de même que l’environnement luxueux Continuer la lecture de Le blazer