Archives mensuelles : mars 2015

Rilke et Rome

Nous sommes arrivés à Rome il y a six semaines, à une saison où la Ville est encore vide, brûlante, et comme maudite, à cause de la fièvre. Ces circonstances, et des difficultés d’installation, nous ont maintenus dans une inquiétude qui ne finissait pas. L’étranger pesait sur nous de tout le poids du dépaysement. À cela il faut ajouter que Rome (lorsqu’on ne la connaît pas encore) vous plonge, les premiers jours, dans une tristesse accablante qui vient du souffle de musée fade et sans vie qu’elle exhale, de la multitude de ses passés qu’on est allé déterrer et que l’on conserve avec peine (un présent médiocre s’en nourrit), de la surenchère exercée sur ces choses défigurées et défaites par les philologues et les savants, et, à leur suite, par les visiteurs traditionnels de l’Italie. 

Rainer Maria Rilke  (Lettres à un jeune poète, 1903)

Le rire de Madame Verdurin

Morceau choisi

Voici comment Wikipédia définit le rire :

Réflexe exprimant généralement la surprise, qui se manifeste par un enchaînement de petites expirations saccadées accompagné d’une vocalisation inarticulée plus ou moins bruyante. Ces mouvements concernent en premier lieu la musculature respiratoire et le larynx et sont accompagnés d’une mimique provoquée par la contraction de muscles faciaux, entraînant notamment l’ouverture de la bouche. D’autres mouvements plus ou moins contrôlés peuvent accompagner le rire.

Et voici comment Madame Verdurin le pratique :

Elle poussait un petit cri, fermait entièrement ses yeux d’oiseau qu’une taie commençait à voiler, et brusquement, comme si elle n’eût que le temps de cacher un spectacle indécent ou de parer à un accès mortel, plongeant sa figure dans ses mains qui la recouvraient et n’en laissaient plus rien voir, elle avait l’air de s’efforcer de réprimer, d’anéantir un rire qui, si elle s’y fût abandonnée, l’eût conduite à l’évanouissement.

(Marcel Proust-A la recherche du temps perdu)

Les halfacros (Critique aisée 55)

Critique aisée 55

Soho est un quartier du West End de Londres. On dit que son nom lui vient tout droit d’un cri de chasse : So-Ho ! Cri étrange, mais du même type que Tally-Ho ! qui nous est plus familier car il vient à l’évidence du français Taïaut !  (L’origine de Taïaut !, elle, se perd dans la nuit du Moyen Age.)

La ville de New York comporte elle aussi un quartier nommé SoHo. Mais, étrangement,  son nom ne viendrait pas du cri qu’aurait poussé un jeune algonquin à la vue de son premier auroch. On sait en effet aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu d’aurochs de ce côté-là de l’Atlantique. Non, l’origine de ce nom est connue.  Il découle d’un étrange goût nord-américain pour ce que j’appellerai des acronymes de seconde génération ou plus brièvement des halfacros, contraction pour « half-acronyms« .

Qu’est-ce qu’un halfacro ? Prenez par exemple Continuer la lecture de Les halfacros (Critique aisée 55)

Post it n° 5 – Au vestiaire

Ce soir-là, Boulevard des Capucines, il commence à faire un peu froid et même, de temps en temps, il pleut un petit peu. Dans l’Athénée Louis Jouvet, vieux théâtre à l’italienne, il y a foule pour attendre Caubère. La salle est pleine et bruisse. Ambiance rouge. La sonnerie retentit depuis cinq minutes. Les retardataires se pressent dans le couloir en demi-cercle qui enserre la salle car, dans trois minutes, on fermera les portes jusqu’à l’entracte. Les manteaux, les imperméables, les duffel-coats et les doudounes pendent sur les balcons ou encombrent les genoux. Près du foyer maintenant désert, les cintres de Madame Vestiaire, autrefois recouverts de faux visons et de vrais lodens,  restent vides. Mais elle ne se plaint pas, Madame Vestiaire : ce soir, ses rayonnages accueillent tous les casques de moto de la terre.