Archives mensuelles : novembre 2014

Qui sont-ils?

Café Le Luxembourg- Place Edmond Rostand
Couleur café 13

Lundi, six heures moins cinq. La terrasse du café prend les derniers rayons du soleil de septembre. A droite, les premiers arbres du Luxembourg commencent à lui faire de l’ombre. En face, la fontaine du bassin Soufflot envoie de travers ses maigres petits jets. Au fond, le métro Luxembourg avale et recrache les mêmes voyageurs. Sur la gauche, le bas de la rue Soufflot et le milieu du boulevard Saint-Michel s’encombrent d’autobus, de vélos, de scooters et de voitures. Les piétons hésitent et dansent gentiment en traversant la place. Tout est calme. Cette paisible rumeur qui vient de la ville berce mon travail de réécriture. Aujourd’hui, c’est ma nuit du 4 août à Los Angeles que je revois.

 …La vieille Hudson 51 nous aura au moins amené jusque là. Nous l’avions achetée à Flagstaff deux semaines plus tôt...

Il fait bon.

Soudain, l’humeur change. On commence à deviner, montant de la Seine, plusieurs sirènes. Puis, le bruit se précise: ce sont bien des avertisseurs de police Continuer la lecture de Qui sont-ils?

Magic in the Moonlight (Critique aisée 40)

Magic in the Moonlight    (Woody Allen)

Comme avant lui Renoir, Ford, Hitchcock, Altman, Truffaut ou Rohmer, Woody Allen est un homme qui, depuis près de cinquante  ans, construit une œuvre, pierre après pierre. Commencée avec la farce, dont le meilleur exemple est Prends l’oseille et tire-toi (1969), il est passé rapidement à la chronique New Yorkaise intellectuelle et sophistiquée dont Annie Hall (1977) et le magnifique Manhattan    (1978- Ah ! L’ouverture de Manhattan !) sont les modèles. Viendront ensuite dans le désordre des fantaisies (Zelig), des comédies de mœurs (Hannah et ses Sœurs), des chroniques sociales (Radio Days), d’innombrables comédies psychanalytiques (Hollywood Endings) et même de films noirs (Le Rêve de Cassandre).

Depuis quarante ans, Allen sort pratiquement un film par an. Ses quatre dernières productions ont été: Continuer la lecture de Magic in the Moonlight (Critique aisée 40)

Il y a cent ans, le caporal Coutheillas…(11)

MarcelinJournal de Marcelin Coutheillas, 6-8 novembre 1914
Après les journées terribles du début novembre, il est relevé le 6 . Il est épuisé mais incapable de dormir.
Dans la journée, je suis saisi d’une crise de larmes extraordinaire. Mes camarades sont comme moi. Je cherche à me nettoyer un peu, mais j’ai si peu d’entrain que je demande à un camarade de le faire pour moi.
De garde à la Mairie, je relis les lettres de Madeleine et ça me cause quelque peine. Je dors un peu, je déjeune confortablement et c’est l’esprit plus calme que j’écris ces notes en attendant de savoir où de nouveaux ordres vont nous envoyer. Je suis fatigué. Jusqu’à présent, l’alcool avait été un stimulant énergique, mais maintenant il est sans effet. J’ai reçu deux paquets de Madeleine. Comme je l’aime et je la vénère, et mes gosses, ma Nénette et mon Daniel, comme je voudrais vous embrasser et faire votre bonheur.

Le cauchemar des premiers jours de novembre est terminé. Provisoirement?  Marcel tombe malade. Il tousse. Il est exempté de service de temps en temps.

J’ai reçu six paquets. Je fais une crise intense de désespoir. Vianey, Sautereau et d’autres amis viennent à mon secours et me remontent un peu.

A suivre
Prochaine édition le 1er décembre

Il y a cent ans, le caporal Coutheillas…(10)

MarcelinJournal de Marcelin Coutheillas 2-6novembre 1914
8 novembre Je viens de passer cinq jours inoubliables. Mon sang froid m’étonne, mais j’ai eu terriblement peur de ne pas pouvoir tenir ma place. Pourtant, je ne sais pas si je pourrai retrouver cette sérénité, ce sang froid maintenant que j’ai vu. Est-ce que dans d’autres pareilles circonstances, des visions terribles ne viendront pas faire assaut à ma raison et me faire faillir ?
Quand j’écris ces notes, le dimanche 8 novembre, j’ai eu une nuit de repos, j’ai bien déjeuné et j’ai l’esprit en repos. Je ne suis presque plus sous l’impression déprimante d’hier qui m’a abattu et où la seule idée de retourner aux tranchées me faisait frémir. Aujourd’hui, je l’envisage avec plus de fermeté, cependant sans désir d’y retourner.
Le 2 novembre, nous sommes partis pour les tranchées La route est extrêmement pénible, car, comme nous devons traverser un plateau complètement découvert, il faut ramper sous une grêle de balles. C’est seulement le début. Nous arrivons aux étroits boyaux qui desservent les tranchées. La marche est difficile. Je suis couvert de sueur. On me place en soutien de mitrailleuse à cent mètres des boches.
La nuit est calme.
Au petit jour, nous apercevons les Allemands qui creusent une tranchée. Toute la journée, ce sera une fusillade ininterrompue sur toute la ligne. Quand une balle frappe les tôles des guetteurs ou un camarade, comme au stand de tir, les autres indiquent. Les Allemands en font autant. Cette façon très crâne nous donne confiance et petit à petit, cela nous empoigne : j’ai vu des gens d’ordinaire très peureux se placer gaillardement dans un créneau et faire le coup de feu.
La nuit, il fait un clair de lune merveilleux et on distingue très bien les tranchées allemandes. Silence sur les lignes.
Aujourd’hui, 3 novembre, j’ai 36 ans. Ce matin, il fait du brouillard et je pars avec un sergent et quatre zouaves pour planter des piquets et tendre des fils de fer devant les tranchées. Le courage est comme tout, communicatif, et c’est sans hésitation que je suis mes camarades.
Nous restons sortis près de trois quarts d’heure, et ce n’est que vers la fin que les Boches nous devinent et tiraillent de notre côté. Mais ils tirent trop haut et nous rentrons indemnes.
A 8 heures, le soleil chasse la brume et à 10 heures, un Taube nous survole. A midi, l’artillerie allemande commence ses tirs de réglage. Ils sont à peu près bons.
A 3 heures, c’est le bal complet : éclatements, lueurs, chocs, sifflements. C’est fou, ahurissant, sinistre ; la terre tremble, des souffles nous couchent dans les tranchées. Les Allemands envoient sur nous des grenades et des fusées lumineuses.
Nous sommes debout, baïonnette au canon, prêts à l’attaque que nous attendons d’un moment à l’autre, car les tranchées allemandes sont silencieuses. C’est de mauvais augure. Les officiers passent dans les tranchées en nous recommandant de nous tenir sur nos gardes. Un caporal et quatre zouaves se portent à vingt mètres en avant pour servir de petit poste. Une méprise se produit et l’un des zouaves tue un des nôtres qui rampait en avant vers le petit poste.
10 heures, coliques
11 heures, le petit poste se replie sous le feu et nous annonce l’arrivée des Allemands. Ils sont en colonne par quatre. C’est absolument déconcertant et effrayant.
Les Zouaves, qui ont déjà assisté à de pareils assauts, sont calmes et nous donnent des conseils. Nous commençons à tirer.
Malgré cet ouragan de feu, les colonnes avancent toujours. Nos obus de 75 tombent dans leurs lignes et y produisent des effets effroyables. La mitrailleuse marche, mais ils avancent toujours. Avec une acuité étrange, je sens tout le danger de notre situation, je sens qu’il faut résister à tout prix, et tous sont comme moi : nous tirons avec rage.
Ils sont sur nous. Nous sommes obligés d’évacuer les tranchées. Mais à peine étions nous en arrière qu’un officier s’élance en tête et commande : « A la baïonnette ! »
Alors, c’est la ruée générale, c’est une lutte effroyable. Nous reprenons nos positions et, emportés par l’élan, nous nous portons sur les positions allemandes et nous les enlevons. Les tranchées sont si étroites que nous nous battons à coups de crosse, à coups de poings, à coups de tête.
Le jour s’est levé pendant l’attaque et nous ne pouvons plus nous replier vers nos anciennes tranchées, car le terrain que nous venons de franchir est balayé par l’artillerie et par le feu de l’infanterie allemande qui s’est retranchée sur la crête. De la tranchée où nous sommes, nous sortons les corps de cinquante-neuf Allemands, que nous plaçons en avant. Derrière nous, il reste environ deux cents corps allemands et une vingtaine des nôtres. Certains sont blessés, mais il nous est impossible de leur porter secours.
A la nuit, nous repoussons une contre-attaque. Pendant toute la journée et toute la nuit, nous travaillons au creusement d’un boyau pour rejoindre nos anciennes tranchées.
Clair de lune. Nous relevons cinq blessés français et quelques Allemands.
Journée de bombardement. Vers 5 heures, nous rejoignons nos camarades. Sentiment de délivrance.

A suivre
Prochaine édition le 8 novembre

Le poisson rouge

Il est né dans le vaste bassin de pierre de « La Verdière ».
Un jour, à l’occasion d’une vidange il est resté prisonnier du seau qui regroupait ses congénères. La hasard l’a choisi pour devenir l’hôte d’un modeste bocal qui ornait la salle à manger.
Au chaud, bien nourri, il grossissait, tout juste respecté par les chats.
Chaque semaine, la main amicale de la maîtresse de maison le déposait dans l’évier d’inox de la cuisine à l’occasion du lavage de sa prison de verre que les algues vertes envahissaient. Il était heureux, couché sur le flanc, ravi d’être arrosé par le jet du robinet; c’était pour lui comme une caresse.
Comme le bébé changé de langes, sa toilette faite regagné le berceau, il fallait à regret retrouver le bocal.
Une pincée de paillettes de nourriture affectueusement distribué en surface, permettait à l’ami de venir saluer, puis il recommençait sa ronde aquatique sans jamais se lasser, jusqu’à la prochaine évasion.
Ayant trop grossi pour le modeste logement un jour d’automne nous décidions de le libérer dans la vaste piscine de la propriété. Il semblait s’y ennuyer un peu. Nous lui rendions de fréquentes visites; nous frappions des mains et il venait au bord pour se faire caresser et nous voyait partir à regret.
Un jour d’hiver, la glace à envahi la surface de l’eau. Nous avions disposé des branchages et pourtant Oscar a péri. La maisonnée était triste de perdre un fidèle compagnon à qui la liberté avait été fatale.

Lucien Claveirole