Archives mensuelles : janvier 2014

Django Unchained. Critique aisée (4)

Django unchained. Quentin Tarentino.

Paris, Janvier 2013

Ma chère Zoé,
J’ai vu Django Unchained et comme je te l’avais annoncé, je te fais part de mes impressions.
Tout ce que je craignais est arrivé, justifiant à posteriori mes préjugés contre les films de Tarantino. J’ai vu:
— un western tortellini  caricaturant les westerns spaghettis
— avec une musique omniprésente, imitant parfois les musiques bon marché des vrais et si épouvantables Django, et d’autres fois les musiques prétentieuses de Ennio Morricone.
— avec un acteur insupportable de cabotinage (le chasseur de prime autrichien), qui avait pourtant sauvé du néant le précédent peu glorieux Inglorious Bastards de Q.Tarantino
— avec un Jammie Fox, admissible car taciturne pendant la majeure partie du film, puis insupportable quand il se met à chausser ses lunettes de soleil  de chez Prada
— avec une complaisance grand guignolesque pour les explosions de sang (en l’occurrence, on ne peut pas parler d’écoulements ni d’épanchements)
— avec une reprise de toutes les roublardises et de tous  les tics de mise en scène de Sergio Leone (ah! ces regards horripilants et interminables échangés entre adversaires avant la bataille).

Tarantino est un enfant gâté (mais vieillissant) du cinéma, qui a tout vu, sauf les bons films, et caricature les plus mauvais  avec des clins d’œil appuyés  pour montrer qu’il n’est pas dupe de la bêtise qui s’attache aux sujets qu’il ne traite que pour étaler son habileté et sa culture cinématographique.

Quand Q.T. se décidera-il à tourner un film original, je veux dire un film qui ne soit pas un pastiche, pour nous montrer qu’il sait faire autre chose?
Ou alors, le pastiche n’étant, dit-on, rien d’autre qu’un hommage, quand ce petit génie pastichera-t-il Orson Wells, David Lean, ou Jean Renoir?

Tu as deviné, je n’ai pas vraiment aimé ce film.
Je pardonne encore à Q.T. à cause de son Réservoir Dogs et de sa Pulp Fiction, mais ma patience est à bout.

Du désastre Django, je sauverai pourtant deux scènes:
—le débat qui s’établit entre lyncheurs masqués sur la qualité des sacs aménagés par l’épouse de l’un d’entre eux, et sur ce qu’il convient d’en faire pour la suite de l’opération
—la très longue discussion entre l’éleveur de Mandingos dans sa salle à manger et le chasseur de primes autrichien, dans laquelle Leonardo de C. montre encore une fois tout ce qu’il sait faire.

Sans rancune.
Philippe

P.S. Ça m’a bien détendu d’écrire cette diatribe.

Suite africaine n°3 – Singing in the rain

Singing in the rain

J’ai quitté Sabou, ses enfants et ses crocodiles et j’ai repris ma route vers Bobo-Dioulasso.
C’est la première fois que je conduis en brousse. On m’avait mis en garde, mais la surprise est quand même là. Les parties défoncées de la piste alternent avec la tôle ondulée sur laquelle tous ceux qui ont lu le Salaire de la Peur savent qu’il faut rouler vite sous peine de casser la suspension ou de se décrocher la mâchoire.
La moitié des véhicules que l’on croise sont des taxis-brousse, Renault Estafettes chargées jusqu’à la calandre de voyageurs, de bagages et de bicyclettes, et portant, peinte au-dessus du pare-brise, une devise supposée rassurer le client ou flatter son fatalisme : « C’est Dieu qui conduit ! » ou bien « S’en fout la mort ! ». Les autres véhicules sont pour la plupart des camions. Ils font la route Abidjan-Ouagadougou-Niamey. Ils ont à peu près le même comportement que les taxis-brousse, mais ils ne l’annoncent pas : ils ne portent pas de devise trompe-la-mort. Ils la sèment sans le dire. Tout ce qui roule sur cette piste tangue sur les parties défoncées et vole sur la tôle ondulée
Presque tous les camions sont bancals et surchargés de marchandises et de voyageurs. Ils penchent dangereusement dans les dévers de la piste. Sur l’une des rares sections en remblai, un camion est sorti de la route. Il a dévalé le talus et a versé doucement sur le côté. Cela a dû se passer il y a plusieurs heures, peut-être même hier. La plupart des passagers sont restés sur place, dans l’espoir d’un prochain dépannage et d’une reprise de leur parcours vers le Niger. Ils ont payé leur voyage au chauffeur et ils ne le lâcheront pas de sitôt. Des toiles ont été tendues et des feux allumés. Un village est peut-être en train de naître..
La route est longue, mais on ne s’ennuie pas. La chaleur monte. Loin vers le nord, des nuages noirs annoncent un orage dont j’espère qu’il abaissera la température. Je n’ai pas vu un village ni croisé une voiture ou un camion depuis des kilomètres. La piste est droite et en bon état. Ça permet de rouler vite, ce qui me détend et rafraîchit un peu la cabine.
Un homme, debout à côté de son vélo sur le bord de la piste, me fait des grands signes. Après un instant d’hésitation, je m’arrête à sa hauteur :
— Bonjour, patron. Je vais par là. Je suis très fatigué. Tu peux me prendre ?
Comme je suis d´accord, il pose son vélo contre le pick-up, grimpe sur le plateau et y tire la bicyclette. Il n’a pas fait mine de vouloir monter dans la cabine. Ça doit être l’usage. La voiture repart.
L’orage approche et je commence à voir de temps en temps de magnifiques éclairs s’étirer entre les nuages. Des bourrasques de vent soulèvent de la poussière, des feuilles et des buissons. Et d’un seul coup, l’averse frappe le pare-brise, énorme.
Je deviens aussitôt très occupé à chercher la commande des essuie-glaces, allumer les phares, fermer les vitres et ralentir très progressivement en essayant de rester sur la piste. Au bout de quelques dizaines de mètres, j’ai trouvé mes repères et je reprends une allure modérée mais régulière. Par-dessus le vacarme que fait la pluie sur le toit de la cabine, je commence à percevoir un bruit anormal, un bruit qui n’est pas mécanique, un bruit qui ressemble à celui que ferait le vent dans un toit ouvrant à demi refermé. Mais mon pick-up n’a pas de toit ouvrant.
Je réalise d’un coup que j’ai un passager sur le plateau et que ce doit être lui qui proteste contre ses conditions de transport. J’arrête la voiture dès que je peux et je sors sous la pluie pour lui proposer de passer à l’abri dans la cabine. Il est debout sur le plateau face à la route, agrippé au cadre métallique qui surplombe la cabine, trempé, hilare. Il me dit qu’il veut rester là.
— Alors, pourquoi tu cries ?
— Je crie pas. Il pleut. Alors, je chante !
Je reprends la route sous la pluie qui est devenue moins violente et il reprend sa chanson au-dessus de moi. La pluie cesse et la chanson aussi. Contrairement à ce que je pensais, l’averse n’a fait qu’augmenter l’impression de chaleur. A l’entrée d’un petit village de cases poussiéreuses, il tape sur le toit de la cabine pour que je m’arrête. Il saute du plateau, attrape son vélo et me sourit largement : « Merci patron! Tu veux venir à la case pour manger quelque chose? ». Je refuse le plus gentiment possible et repars vers Bobo.
Au moment où j’arrive dans la ville, la nuit vient de tomber. Suspendues au-dessus de la piste maintenant goudronnée, des lampes éclairent le sol de leur lumière jaune sodium. Des dizaines d’enfants courent en tous sens sur la route en criant et en brandissant des bassines sous les lampadaires. Je m’arrête pour regarder ce qui se passe: des millions d’insectes volants virevoltent autour des lampes, beaucoup d’entre eux s’y brûlent et tombent, grillés, dans les bassines des enfants, qui les mangent sur place ou les rapportent chez eux. J’apprendrai tout à l’heure qu’il s’agissait d’une émergence d’éphémères, insecte qui ne vit que quelques heures sous sa forme volante et qui, grillé, constitue un met raffiné.
Je trouve facilement mon hôtel. Il porte le même nom que mon hôtel de Ouagadougou, le RAN, mais, lui, il n’a pas de ménagerie. Juste des éphémères, par millions.

L’édifice immense du souvenir

Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.

Marcel Proust.  Du côté de chez Swann

Le Système Ribadier. Critique aisée (3)

Le système Ribadier, de Georges Feydeau – Théâtre du Vieux Colombier.
-J’étais seul l’autre soir au Théâtre Français,
-Racontait Lamartine ou bien alors Musset,
-…
Que l’on se rassure, je ne vais pas recommencer mes exercices alexandrins et approximatifs, mais je trouve que ça sonnait bien pour débuter la critique d’une pièce du Répertoire,  « Le système Ribadier ». Donc, j’étais seul l’autre soir devant le théâtre du Vieux Colombier, l’autre salle de la Comédie Française, lorsque qu’une affiche pour ce spectacle a attiré mon attention toujours en éveil.
J’avais vu, il y a quelques années, cette pièce de Feydeau assez peu connue. Le rôle principal y était tenu par Bruno Solo qui, malgré ses premiers emplois de clown de télévision, se révèle au fil des spectacles un excellent acteur. Sans arriver à la perfection de la Puce à l’Oreille ou du Fil à la Patte, j’avais trouvé qu’avec moins de moyen, cinq personnages seulement, Ribadier arrivait à un très bon résultat, c’est à dire, comme toujours  avec Feydeau, au rire aux éclats, au rire qui essouffle, au rire qui fait pleurer. Le sympathique petit Bruno y était pour quelque chose bien sûr, mais surtout le grand Georges. Revoir cette pièce, montée par la Comédie Française, me tentait donc beaucoup. Mais, déception, rage, désespoir, la pièce se jouait à guichets fermés jusqu’à la fin de la saison.
Mais, espoir re-né, joie céleste, plaisir anticipé, le spectacle était diffusé tel soir à la télévision. Mise en scène de Zabou Breitman, rôles principaux tenus par Laurent Laffitte et Laurent Stocker, l’affaire était dans la poche. Je me suis donc installé plein de bonne volonté devant mon étrange lucarne ( vous n’aurez pas été sans remarquer que l’usage de cette métaphore, destinée bien sûr à éviter une répétition, celle du mot télévision, me fait tomber immédiatement dans un cliché très usagé.)
Hé bien, non. Je n’ai pas ri, ou si peu que Feydeau en aurait développé un ulcère à l’estomac. Pourquoi? Parce que Zabou a cassé la mécanique. Malgré des acteurs pleins de bonne volonté,  malgré un très joli saut de l’ange de Stocker à travers une fenêtre ouverte, malgré un petit chien très bien dressé, malgré un décor parfait et des costumes réussis, malgré un mari cocu joué à la perfection par un acteur dont j’ai oublié le nom mais remarqué la silhouette à la Daumier, malgré tout cela, le rire n’y est pas.
Vous avez sûrement remarqué que, dans les meilleurs pièces de Feydeau, il n’y a pratiquement jamais de silences, que les répliques se marchent les unes sur les autres, qu’une affirmation d’un personnage est immédiatement contredite par une porte qui s’ouvre, que la crainte d’un autre est aussitôt réalisée par l’annonce d’un valet de chambre, que tout ça doit aller très vite pour créer l’absurdité, réaliser l’impossible et finalement engendrer la folie. Hé bien, rien ou pas grand chose de tout ça dans ce spectacle.
Zabou a provoqué de multiples cassures du rythme en ménageant des espaces, et par conséquent des silences, pour y placer quelques pantomimes, parfois inutilement vulgaires, qui ont probablement pour but de faire référence à des scènes de cinéma muet.
Mais Feydeau, c’est comme le café Maxwell Qualité Filtre, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Tout y est déjà.
Zabou a cassé la belle mécanique.
Si vous voulez vous faire un avis par vous-même, vous pouvez encore voir la pièce pendant quelques jours sur francetv-pluzz