Soyez attentifs. Regardez autour de vous. Picorez quelques nouvelles à la télévision, dans les journaux. Un petit nombre suffira. Prenez des notes. Écrivez un journal intime. Vous pourrez le montrer plus tard à vos petits-enfants pour leur prouver que vous avez été les témoins avertis d’un évènement majeur.
Car, en ce moment même, retransmis en direct depuis le coeur de la première puissance mondiale, nous assistons à la naissance d’une dictature.
Nous connaissions déjà les idées de Donald Trump sur l’immigration, l’administration, l’écologie, la vérité, le système, les élites, la justice, la politique étrangère, la fiscalité, les régulations de toutes sortes, que sais-je encore ? Ces idées nous paraissaient tellement nocives, ou tellement stupides, ou tellement irréalisables que nous gardions secrètement au fond de nous une vague conviction qu’il n’oserait pas, que ça ne serait pas si grave que ça, que tout cela se tasserait à l’usage.
Mais depuis l’élection, chaque jour qui passe nous apporte une nouvelle nomination et chaque nouvelle nomination une nouvelle assurance que le President-elect des États Unis ira encore plus loin que ce qu’il a annoncé.
Elon Musk, savant fou-libertarien-businessman-oligarque au Ministère de l’Efficacité gouvernementale, Robert Kennedy, complotiste dérangé antivax au Ministère de la Santé, Matt Gaetz, emberlificoté en voie d’auto-blanchiment dans des affaires de traffic sexuel avec mineures au Ministère la Justice, Pete Hegseth, obscur animateur sur Fox News à la Défense…
Avec son équipe de sénateurs et hommes d’affaires dévoués corps et âme, devant ses électeurs fascinés et ravis, aux applaudissement d’un Sénat, d’une Chambre des Représentants et d’une Cour Suprême enthousiastes, Donald Trump va procéder à une appropriation de l’Etat et des ses moyens pour se venger de ses adversaires en suscitant des enquêtes à leur encontre, pardonner ses acolytes et lui-même d’avoir tenté un coup d’état et s’attaquer aux institutions pour les rendre conformes à ses intérêts.
Quant un homme tel que Trump, sans éthique, sans morale, sans culture, totalement dénué de surmoi, mais largement pourvu en cynisme, en égotisme et en confiance en soi a remporté haut la main une élection démocratique, quand il devient brusquement détenteur d’un immense pouvoir, quand il est soutenu par des intérêts financiers colossaux et quand les contre-pouvoirs lui ont fait allégeance, les conditions sont réunies pour que cet homme-là devienne un dictateur.
Bien sûr, l’élection triomphale de Trump a surpris tout le monde. Il faut aussi reconnaître que les démocrates, Joe Biden, et l’impréparée Kamala Harris ont failli et portent une lourde responsabilité dans le retour de Trump. L’élection de ce phénomène improbable bouffi de vanité à la tête des EU, dont l’hubris monumental – son narcissisme, son absence totale d’empathie et son autoritarisme démesuré – le contraint à s’entourer d’une cour et de ministres nommés pour servir ses obsessions dont la principale vraisemblablement est l’effacement de ses problèmes judiciaires quelques soient les solutions imaginables mais qui contreviendraient inévitablement à l’esprit des institution américaines, le « state of law » sans lequel l’Amérique ne serait plus. On peut imaginer bien sûr qu’il se comporte tel Napoléon III élu par une république qu’il transforma en empire, ou tel Louis XIV déclarant « l’État c’est moi ». Nous assisterions alors à l’origine d’une dynastie avec Trump Ier ? Pourquoi pas! Nous assistons bien actuellement au transfert de la « White House », symbole de la tête de l’exécutif républicain américain, à son palais floridien kitch au possible de Mar-a-Lago. J’ai même appris ce matin que Trump Ier a commandé à un ébéniste français une réplique du meuble présidentiel du bureau ovale (le fameux « Resolute desk ») qui sera livré à Mar-a-Lago. Je rappelle au passage que ce bureau, fabriqué en Angleterre à partir du bois du navire britannique « HMS Resolute », fut offert par la Reine Victoria au Président américain Hayes en 1880.
Tout ça me parait psychédélique et angoissant. Bien que je puisse imaginer Trump habillé en Louis XIV de l’époque, je crois que la folie des premiers mois trumpistes ne durera pas. Les institutions américaines se rétablirons. J’ose espérer que l’Europe se sera enfin réveillée et assumera sa destinée, y compris sa libération de la tutelle américaine. J’espère que le peuple américain, c’est à dire la working class moyenne comme les riches entrepreneurs et les boursicoteurs milliardaires, sera content de certaines mesures du début du règne: rétablissement des frontières, amélioration du pouvoir d’achat, bourse en hausse et taux d’emprunt en baisse, puis qu’il aspirera à plus de sérénité, et que le trumpisme passera de mode. J’espère aussi que les autres dictateurs de la planète, Poutine et Xi Jimping notamment, aspirerons eux aussi à des relations apaisées. Il faut bien vivre d’espoir tout de même. J’espère que le trumpisme ne sera q’une catharsis salutaire pour le monde.
Quant aux contre-pouvoirs, on a vu le peu dont ils étaient capables : pas fichus de freiner Donald Trump lors de son premier mandat et, pendant le mandat de Joe Biden, pas même fichus de l’inculper dans les temps pour tous ses méfaits.
Bien sûr, toute naissance n’est pas viable.
Mais, pour le bébé de Rose-Mary, l’accouchement a été sans douleur ; la délivrance s’est bien passée et, lorsque l’enfant parut, le cercle de famille applaudit à grands cris.
A moins d’un coup du sort, son avenir proche est tracé, radieux. Et les oligarques-mages vont affluer à Bethleem-a-Lago pour offrir leurs présents, leurs services et se faire adouber.
Passera-t-il les 4 ans ? C’est probable. Les 8 ans ? C’est possible. Car tout parait possible à cet enfant qui était déjà capricieux et colérique quand il n’était au stade de foetus.
On verra! Trump me dégoûte, lui et ses aficionados. Que l’animal devienne dictateur des USA, c’est possible, en tout cas dans l’immédiat car il doit satisfaire ses envies, son électorat extrémiste et ses créditeurs, mais s’il le devient réellement il deviendrait une espèce de dictateur du monde occidental. Ça aussi c’est possible. Mais ça ne marchera pas comme ça à mon avis. America First (l’Amerique d’abord, vieille antienne isolationniste de ce pays depuis sa naissance) n’est pas une doctrine universellement acceptée et la gouvernance par des deals a des limites. Ses choix pour constituer son équipe gouvernementale pose déjà des problèmes et leurs nominations ne sont pas certaines car le Congrès a son mot à dire. Les désaccords commencent à se faire entendre, aussi bien chez les rouges que chez les bleus. J’espère ne pas me tromper. Trump a beau nous agacer, il est malgré tout opportuniste et intelligent. Son désir de laisser une trace positive dans l’histoire du pays et du monde l’obligera à mettre de l’eau dans son vin rouge. Reste à voir également les réactions des autres pays du monde et j’espère que l’Europe sera à la hauteur du défi qui lui est maintenant lancé. Fini la facilité du parapluie du grand frère américain. Aux européens de savoir se montrer les plus forts. Là, j’ai des doutes malheureusement.