Le journal de Lorenzo

Une fois n’est pas coutume, je parlerai de mes dernières photos ou plutôt de ce qu’elles montrent. Pas question de les expliquer ni de leur donner un sens puisqu’elles ne font que reproduire la réalité.

Sur la première figure une oeuvre d’Arcimboldo d’un humour inhabituel en Peinture mais aussi pour son époque où la plupart étaient inspirées par l’Histoire Sainte. Il fait ainsi un pied de nez à l’Eglise. Pour preuve, aucune des 250 peintures de la Grande Galerie du Louvre n’est drôle. A l’évidence, humour et religion ne font pas bon ménage. L’humour est donc une hérésie mais l’hérésie n’est pas drôle non plus. Sur cette photo, il y a une analogie entre la peinture et le dessin sur le pull de la visiteuse. Chacune à sa manière, ces images sont à l’opposé de l’art officiel en vigueur. Arcimboldo peint des personnages qui ne sont rien d’autre que des produits de la terre comme les fruits et les légumes. L’homme n’est pas un être élu supérieur comme l’Eglise le prétend, c’est un organisme régi par les mêmes lois chimiques que le monde végétal. Ce propos était subversif comme l’était celui de Frédéric II. Ces deux précurseurs ont contesté les pseudo vérités imposées à leur époque par l’Eglise : Frédéric II en Sciences, Arcimboldo en Art. Il faudra attendre des siècles pour que leurs intuitions soient validées.

La seconde photo montre une jeune femme à la fière allure sous le regard envieux de Sainte Apolline. Bien qu’elle ne possède pas les critères esthétiques classiques, moi aussi je la trouve belle. D’abord, ce qui frappe, c’est le volume de ses seins disproportionnés qui descendent jusqu’à sa taille en déformant outrageusement son gilet. N’ayant jamais été fasciné par les grosses poitrines, ce n’est donc pas cet avantage qui me plait chez elle. Elle est un peu rondelette aussi et son pantalon de mauvais goût en cuir noir semble distendu par ses bourrelets. Et pourtant elle est séduisante : au dessus de ces disgrâces relatives, il y la finesse de ses traits qui lui composent un visage idéal. Elle est gaie et offre son sourire à la vie. Ce pouvoir de séduction sans les critères esthétiques, cela doit s’appeler le charme.

J’ai fait cette troisième photo parce qu’elle symbolise à mes yeux l’élégance. La position du corps, l’indifférence un peu hautaine et la présence mystérieuse en ce lieu concourent à ce résultat que j’appelle l’élégance.

En théorie, l’œuvre d’art devrait provoquer deux réflexions : est-elle belle et que signifie-t-elle ?

Je ne suis sensible qu’à sa première fonction qui est de nous montrer le « beau ». Je ne vois aucun intérêt supplémentaire à comprendre le pourquoi de l’œuvre et à découvrir ce qu’elle veut montrer. Et pourtant, au début, la peinture n’avait pas pour objectif d’être belle mais de raconter l’Histoire Sainte aux illettrés, c’est-à-dire à tout le peuple. Les fresques des églises étaient des bandes dessinées à visée pédagogique dont la fonction d’enseignement avait priorité sur la qualité esthétique. Mais, petit à petit, la peinture s’est éloignée du didactisme pour ne plus montrer que ce qui est beau. Les premières œuvres belles sans aucune prétention interprétative sont celles des impressionnistes. Les surréalistes représentent à mon sens une régression parce qu’ils ont réintroduit la volonté d’exprimer quelque chose que le spectateur doit trouver tout seul. L’ennui, c’est que le surréalisme comme l’art conceptuel s’adresse à des intellectuels ayant un certain degré de culture pour comprendre ce qu’ils ont voulu dire. C’est antinomique avec l’art : l’art doit être accessible à tout le monde et pas seulement aux intellectuels.

Je me suis aperçu aussi que le nombre de peintures vues influait sur mon appréciation. Un Bonnard, ça va, cinquante Bonnard, bonjour les dégâts. J’exagère mais j’ai été frappé par le côté répétitif pour ne pas dire la facilité de certains peintres qui ont reproduit des dizaines de fois la même chose. Cela ne concerne pas seulement Bonnard. J’ai visité le Musée consacré au Greco à Tolède et j’ai été déçu. Des dizaines de portraits de personnages religieux ont tous le même visage et la même tenue. D’ailleurs, tous les visages du Greco sont identiques. Basquiat m’avait beaucoup impressionné par son classicisme malgré sa modernité foisonnante. La composition de ses œuvres ne devait rien au hasard. En tout cas, elle me semblait parfaite. Mais, à la rétrospective du MAM, il y en avait plus de cinquante qui étaient toutes composées de la même manière. Aucun renouvellement. Certains, quand ils ont trouvé ce qui marche et qui rapporte, vont y consacrer le restant de leur vie comme Van Dongen avec ses portraits mondains. Et c’est dommage parce qu’ils étaient capables de faire bien d’autres merveilles. Il est heureusement des exceptions comme Picasso et Derain qui ont souvent changé de style. C’est courageux et cela témoigne d’un profond respect pour leurs admirateurs.

8 réflexions sur « Le journal de Lorenzo »

  1. Pas d’accord. Certaines de tes photos avec des hommes dans la relation au tableau sont aussi évocatrices que celles avec des femmes. Les hommes sont ce qu’ils sont, gros, chauves, etc, tout comme les femmes le sont, avec ou pas des gros nénés. C’est l’accoutrement qui joue en relation avec le tableau, pas le genre, à moins que tu préfères photographier des femmes, comme un voyeur. Hum? Faudrait interroger un psy!

  2. Effectivement, Paddy, mais seul NBRC pourrait apporter un démenti à tous les lecteurs du JdC prouvant que je ne suis pas un obsédé sexuel qui ne photographie que les femmes avec de gros seins. J’ai aussi photographié des hommes comme tu as pu le constater, mais c’est vachement moins bien.

  3. @Lorenzo. Philippe m’a transmis la série de tes photos que tu lui a transmise montrant des hommes associés à des œuvres d’art. Dont acte! Mais pourquoi ne pas en avoir placées dans ton journal de ce matin? Certaines y avaient manifestement leur place, sans discrimination.

  4. Bonne question. J’ai photographié aussi des hommes dans les musées mais
    1 ) il y a 8 femmes pour deux homme
    2) les hommes ne sont jamais photogéniques
    Je pourrai t’envoyer des preuves mais le règlement du JDC ne me le permet pas

  5. Pourquoi les photos de Lorenzo n’associent jamais des hommes à l’art? Il en existe pourtant qui fréquentent les musées.

  6. j’en profite pour corriger une faute de frappe regrettable au début du dernier chapitre sur le côté répétitif de certaines œuvres. Il fallait lire :
    « Un Bonnard, ça va, cinquante Bonnard, bonjour les Degas »‌

  7. Lorenzo aurait dit : c’est de la vraie vie et pas de la fiction

  8. J’essaie d’imaginer les commentaires que j’aurais reçus de Lorenzo si j’avais écrit quelque chose comme :
    « D’abord, ce qui frappe, c’est le volume de ses seins disproportionnés qui descendent jusqu’à sa taille en déformant outrageusement son gilet. N’ayant jamais été fasciné par les grosses poitrines, ce n’est donc pas cet avantage qui me plait chez elle. Elle est un peu rondelette… »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *