Archives mensuelles : mars 2014

Comment démoraliser votre interlocuteur

Comment démoraliser votre interlocuteur par un coup bas et devant témoins.

On présente ici quatre méthodes permettant de prendre (ou reprendre) le dessus dans une conversation. L’efficacité de la méthode choisie sera bien entendu renforcée par la présence de témoins. Pour démoraliser votre interlocuteur, vous pourrez lui dire :
1-C’est plus compliqué que cela…. (en prononçant ces mots, il est conseillé de prendre un air qui en dit long, mais de ne pas en dire davantage- vous seriez d’ailleurs bien en peine…)
Ou bien :
2-Oui, bien sûr, c’est une explication qui a beaucoup tourné il y a une dizaine d’années….(prendre un air conciliant et attendri par tant de naïveté)
Ou encore :
3-Comment! Vous n’étiez pas au courant? Mais tout le monde savait!…(à dire avec un air d’étonnement mêlé de commisération. Ce mélange d’attitudes est assez délicat et nécessite un entrainement préalable devant un miroir)
Ou enfin :
4-Et vous trouvez ça drôle, vous ?! (Attention, cette dernière méthode ne peut être mise en œuvre qu’avec une pointe de condescendance, ce qui risque de gâcher le reste du diner)

N.B. L’auteur est prêt à prendre en considération toute autre proposition de formule équivalente pouvant conduire à la démoralisation de l’interlocuteur et si possible à sa désertion du champ de la discussion, dans les limites du bon goût et du pacifisme qui le caractérisent. 

Monsieur Desproges a dit …(2)

« Je le répète une fois de plus à l’intention des étudiants en lettres qui commencent à savoir lire dès l’âge du permis de conduire, on peut très bien vivre sans la moindre espèce de culture. Si vous n’êtes pas capable de vous priver d’un seul épisode de Dallas* pour lire un chapitre des chroniques d’Alexandre Vialatte, dites-vous bien que ça ne vous empêchera pas de mourir d’un cancer un jour ou l’autre. Et puis quoi, qu’importe la culture ? Quand il a écrit Hamlet, Molière avait-il lu Ronsard ? Non.  »

*Pour les générations post-desprogiennes, remplacer le mot « Dallas » par n’importe quoi (de préférence).

The Grand Budapest Hotel. Critique aisée 10

(Pas) Drôle de Palace

The Grand Budapest Hotel
Film de Wes Anderson, avec Ralph Fienes, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Mathieu Amalric, Lea Seydoux, Bill Murray, Ed Norton, Jude Law, Owen Wilson, Adrien Brody, Willem Dafoe, Jeff Goldblum, etc, etc…

Vous avez vu la distribution, là, juste au-dessus ? J’aurais dû me méfier.
Dans l’histoire du cinéma, il est extrêmement rare qu’une superproduction dans laquelle on a réuni un si grand nombre d’acteurs de premier plan soit une réussite.
Pourtant, Hollywood renouvelle l’expérience à peu près tous les cinq ans. Et souvent, ça marche, commercialement parlant s’entend. Pourquoi ? Parce que chacun y met du sien.
De leur côté, les comédiens importants y participent volontiers comme ils donneraient leur concours à une fête de bienfaisance. Probablement peu payés, ils sont ravis de se grimer, d’incarner de tout petits rôles à contre-emploi, qui leur permettent d’adresser des clins d’œil à leur public habituel.
Quant au public, lui, il est attiré par cette pléiade d’acteurs, conditionné par une campagne promotionnelle pas trop mal faite, ébloui par une bande annonce rythmée et prometteuse et canalisé par une critique unanime (mon professeur d’écriture littéraire dirait que « pléiade d’acteurs » et « critique unanime » sont deux syntagmes figés, forme à éviter autant que possible ; bon, d’accord, mais comment exprimer autrement et en si peu de mots que Pariscope, Daily telegraph, The Guardian, Ecran Large, Elle, Journal du Dimanche, Le Figaro, Le Monde, Les Inrocks, La Croix, Marianne, Nouvel Obs, Le Point, Télérama -ah ! l’article de Télérama(1) !-, Le canard Enchainé, ont donné d’excellentes notes à Grand Hôtel Budapest)

Pour moi, J’ai trouvé ce film très décevant et plutôt ennuyeux.
Pourtant, je commencerai par le seul point positif que j’ai pu y trouver : les décors. Parfois reconstitution très soignée de ce qu’on imagine avoir été le grand luxe des années folles, parfois pur carton-pâte totalement assumé, poétique et rigolo, le mélange des  deux genres est surprenant et finalement plaisant, malgré une volonté  esthétique souvent très appuyée. Les costumes suivent. Dans la colonne de gauche (celle de l’actif), on ajoutera donc les costumes aux décors.
Mais on pourra  mettre tout le reste dans la colonne de droite.
En tant que ressorts comiques, le film utilise le décalage, le loufoque et la poursuite. Mais les décalages sont  répétitifs, le loufoque sans rythme, et les poursuites interminables.
Ce pauvre Ralph Fienes, d’habitude plus subtil, en est réduit à rejouer sans arrêt les deux mêmes scènes : celle de l’homme élégant, distingué et coureur de vieilles femmes riches, donnant des leçons de vie et de tenue au jeune groom admiratif, et celle du même homme, élégant, distingué et tout et tout, mais dépassé, éperdu dans des situations dangereuses et burlesques.
Bref, on s’attendait à une comédie brillante, sophistiquée, rapide et légère et on se retrouve avec un film au montage laborieux, au comique répétitif, avec pour couronner le tout une intrigue sordide et confuse. Pendant quatre-vingt-dix minutes de film, dans cette salle à moitié pleine, le lendemain de la sortie, on n’a pas entendu un seul rire.
Bon, il y a les décors, d’accord. Et les costumes, d’accord.
N’empêche, j’aurais dû me méfier.
Maintenant, vous êtes prévenus ; vous avez d’un côté, le syntagme figé de la critique unanime et, de l’autre, le spectateur figé du jeudi matin, moi, tout seul!
Vous devriez vous méfier.

Note (1)
On peut dire de Wes Anderson qu’il a la carte.
Louis Guichard, critique à Télérama, dans sa chronique on ne peut plus élogieuse consacrée au Budapest Hotel, écrit notamment ceci :
(…) la vieille maitresse énamourée et octogénaire jouée avec génie par Tilda Swinton (…)
Personnellement, j’apprécie beaucoup cette actrice qui a joué à la perfection plusieurs rôles difficiles. Mais il faut savoir que, dans le Budapest Hotel, elle apparait deux fois. La première fois, c’est pendant à peu près 2 minutes 30 secondes, dissimulée derrière un maquillage outrancier qui lui tient lieu d’expression. Quand elle apparait pour la deuxième fois, elle est dans son cercueil, totalement morte, rôle qu’elle joue effectivement à la perfection, avec génie. Mais jusqu’où ira l’enthousiasme de Monsieur Guichard ?
Eh bien,  jusqu’à déceler un clin d’œil évident (sic) à Max Ophüls dans le fait que le personnage que joue Tilda Swinton, la comtesse Desgoffe und Taxis, est appelé familièrement Madame D. par le personnel de l’hôtel, ce qui constitue selon le critique une subtile référence au film « Madame de… », histoire d’une ravissante aristocrate frivole incarnée par Danielle Darrieux en 1953. Allez plutôt revoir « Madame de… » et goutez la différence.

 

 

 

Anamnèses

Selon Roland Barthes, une anamnèse est un essai d’écriture autobiographique d’un souvenir rapporté à sa plus sobre narration. En voici quelques unes:

Au milieu de la grand’place de Moundou, des barbelés entourent trois cocotiers disposés en triangle. Des femmes en boubou errent à l’intérieur de l’enclos. À l’extérieur, des bicyclettes sont enchaînées aux barbelés.

Le billard électrique de chez Vidal clignote et sonne. Le claquement de ses parties gratuites couvre le sifflement du percolateur. Cinq billes coutent 20 francs.

Une odeur de poussière monte des sièges. Sur le pare-brise plat, une pancarte dit : 100.000 miles, 50 dollars.

Le chemin de caillebotis gravit la dune  entre deux clôtures. Au sommet, le vent souffle et l’océan parait. Odeur de soleil, touché de bois, son de sable, goût de mer, image de vent. Eté.

Quand on ouvrait la porte, on entendait Oscar Peterson. Dans  la fumée des cigarettes, éclairés par des bougies plantées sur des bouteilles vides, les couples se parlaient et s’embrassaient.  A Saint Louis, c’était l’heure du cours de physique.

Un morceau du gâteau joufflu, doré et cannelé se désagrège doucement dans le thé de la cuillère. Marcel observe, goûte et se souvient.