Archives de catégorie : Citations & Morceaux choisis

LA FORCE DE L’HABITUDE (Extrait)

(…) Il n’a jamais dit à sa femme que les horaires du bureau avaient changé et depuis ce jour, La Lorraine l’accueille chaque soir de la semaine.

Sa table, toujours la même, est située près d’une large fenêtre. De là, dans le confort chaleureux et ouaté de la salle, il peut contempler à sa guise la place des Ternes luisante de pluie et l’agitation des voitures hésitantes derrière leurs essuie-glaces et des piétons engoncés dans leurs manteaux.

Lorsqu’il s’assied, il n’a plus à commander le vin. Jean, le serveur, lui apporte immédiatement un seau à glace et une demi-bouteille de Pouilly-Fuissé. Pendant que le serveur la débouche, Jérôme et lui échangent quelques mots sur le temps qu’il fait.

Un peu plus tard, le maître d’hôtel, toujours le même – Monsieur Robert – lui présentera la carte et les suggestions du jour. Pendant que Jérôme fera semblant de consulter le menu Continuer la lecture de LA FORCE DE L’HABITUDE (Extrait)

BLIND DINNER (Extrait)

(…)

Et vlan ! Réfléchis un peu, ma cocotte ! Toute la table s’est maintenant tournée vers elle pour assister à sa déconfiture. Mais la grosse vache ne s’avoue pas vaincue.

«Dites-moi, est-ce que vous connaissez la Chine ? me demande-t-elle. »

Attention ! Question piège ! Je réfléchis à toute allure, puis je réponds prudemment, mi-figue, mi-raisin :

« Un peu… »

Ma réponse est destinée à laisser planer le doute : si je connais bien la Chine, mon « un peu » est un euphémisme mondain, si je ne la connais qu’un tout petit peu, ma réponse est honnête ! Subtil, non ?

« Un peu ? Vous êtes allé là-bas ?

— Non, mais j’ai un ami qui y est allé l’année dernière. Et puis j’ai lu Peyrefitte, quand même !

— Ah oui ! « Quand la Chine s’éveillera ». Soyons sérieux, cher Monsieur ! Peyrefitte, c’était il y a cinquante ans ! La Chine n’a plus grand chose à voir avec ce qu’elle était à cette époque. Écoutez, je connais pas mal la Chine et surtout les Chinois. Je vais là-bas quatre fois par an, j’ai des contacts avec des artistes, des industriels, des ministres. J’ai même rencontré la femme de Xi-jin-Ping, et je peux vous dire que s’ils ont pris la décision d’arrêter un bon tiers du pays, ce n’est pas juste par précaution. Ce qui se passe là-bas doit être grave. Le problème, c’est qu’ils ne l’avoueront pas tout de suite, et même probablement jamais. »

Elle est bientôt finie, sa petite conférence ? Non mais, sans blague, je ne vais pas me laisser impressionner par une modiste ! Je vais la pulvériser.

« N’empêche que ça arrange bien le gouvernement…, dis-je d’un air entendu. »

(…)

*

Ce texte est extrait du court roman « Blind dinner », en vente sur Amazon.fr. Cliquez sur l’image pour parvenir au site de vente. 

Blind dinner
Un « Blind dinner », c’est un dîner un peu particulier dans lequel les invités ne se connaissent pas. Dans les beaux quartiers, c’est très à la mode. Renée, la maitresse de maison, trouve cela très chic et parfois follement drôle.  Mais ce soir là, quand on a commencé à parler d’un mystérieux virus venant de Chine, le diner a vite tourné au vinaigre.

HHH, NYC, USA (Extrait)

(…) Malgré l’immensité du territoire, du point de vue du chiffre d’affaires, le Canada est un secteur de moindre importance pour HHH. Cela convient très bien à Bahram Bogatchi qui en est le Sales manager depuis six ans. Bahram ne travaille pas pour gagner sa vie. Il n’en a pas besoin. Il n’en aura jamais besoin. Quand Reza Chah Pahlavi a quitté précipitamment Téhéran en janvier 1979, la famille Bogatchi l’avait précédé de deux mois dans sa fuite. Cela lui avait permis de mettre à l’abri la presque totalité de sa fortune en Angleterre et aux USA. Pourtant, c’est sur la côte Ouest du Canada, à Vancouver, qu’elle avait décidé de s’installer parce qu’il y existait déjà une assez forte colonie iranienne. Mais, sur la route de l’exil, Bahram avait choisi de s’arrêter en Angleterre, plus précisément à Oxford. Il avait alors à peine vingt-deux ans. Officiellement, c’était pour y achever les études qu’il avait commencées à l’université de Téhéran. Continuer la lecture de HHH, NYC, USA (Extrait)

LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

Il est important de reconnaître les limites de notre capacité
à prouver l’absence de quelque chose
et d’adopter une approche humble
face à l’inconnu.
Isaac Asimov 

La question de prouver l’inexistence de
quelque chose soulève souvent
des défis logiques
et conceptuels.
Karl Popper

Il n’y a plus d’après
à Saint-Germain des Prés
Guy Béart

*

Les lignes que vous venez de lire figurent en exergue du roman politico-fantastique « Les Disparus de la rue de Rennes« , en vente sur Amazon.fr. Vous pouvez, Continuer la lecture de LES DISPARUS DE LA RUE DE RENNES (Extrait)

GISELE ! (Extrait)

(…) Bernard se mit à siffloter l’ouverture de Guillaume Tell, puis à la chanter, de plus en plus fort. « Quand j’entends, quand j’entends l’air de Guillaume Tell, j’ai envie, j’ai envie de danser la samba … » Il ne se souvenait plus de la suite des paroles de cette parodie alors il la poursuivit avec des tagada, tagada, tagada-tsoin-tsoin, tagada, tagada… Les choses avaient failli mal tourner, mais maintenant, ça allait mieux. Dans une heure, deux au maximum, il serait dans un lit, bien au chaud, bien au sec… peut-être même qu’on pourrait lui faire un petit plat de pâtes avant qu’il n’aille se coucher… des spaghettis… à la Bolognaise… avec un verre de vin.

…mais c’est que j’ai faim, moi ! Je n’ai rien mangé depuis midi… et bien sûr, Gisèle ne m’a pas fait mon sandwich ! ah, Gisèle ! bon, c’est pas grave… dans une heure, un énorme plat de spaghettis bolognaise et au lit ! ça s’arrange, ça s’arrange !…

A travers le rideau de neige, une vive lumière vient d’apparaître loin devant lui sur la droite.

« Qu’est-ce que c’est que ça encore ! soliloque Bernard en levant un peu le pied. » La lumière grossit vite et commence à l’éblouir. « Des phares, ce sont les phares d’un type qui arrive dans l’autre sens… Mais ils sont sur la droite, ces phares ! Qu’est-ce qu’il fout sur la droite, ce type ? Il arrive à contre-sens ! Mais ce cinglé arrive à contre-sens ! » Continuer la lecture de GISELE ! (Extrait)

Vérité et mensonge

Morceau choisi

J’ai souvent dénoncé ici même l’aujourd’hui sacro-sainte « transparence », et en particulier dans ma Critique aisée n°16.

 https://www.leblogdescoutheillas.com/?p=889

Je ne suis pas certain d’avoir tout compris de ce que dit Cynthia Fleury de Jankélévitch à propos de la vérité, mais je crois qu’il (ou elle) est plutôt d’accord. Avec une nuance : je dis que « toute vérité n’est pas bonne à dire à tout instant », il dit que « toute vérité est relative à un contexte ». Voyez vous-même :

Quel est donc le rapport entretenu par Jankélévitch avec la notion de vérité ? D’emblée, l’on pensera que l’auteur du Traité des vertus est un défenseur acharné de la vérité, à tout prix, qu’il est conscient, quelle forme pour lui un impératif catégorique indépassable. Comment pourrait-il en être autrement ? Seulement voilà, deux grands camps s’affrontent en philosophie, qu’elle soit métaphysique ou morale : d’un côté, ceux qui croient toucher du doigt la vérité et, de l’autre, ceux qui sont conscients Continuer la lecture de Vérité et mensonge

LA NUIT DES ROGGENFELDER (Extrait)

Le diner s’était prolongé fort tard dans la nuit. D’abondantes volutes de fumées bleues et grises flottaient sous les poutres du plafond de l’auberge en enveloppant la roue de charrette qui, avec ses pauvres ampoules électriques, faisait office de lustre au-dessus de nos têtes. Depuis quelques instants, sans doute sous l’effet des mets et des vins que nous avions absorbés en quantité, nous étions tombés dans un silence méditatif qui contrastait avec la gaité et la vivacité des conversations que nous avions échangées jusque-là.

Franz Bauer, Bertram Fitzwarren et moi nous étions rencontrés pour la première fois quelques heures auparavant dans les bureaux de la Compagnie Maritime des Indes Orientales dont le Princesse des Mers devait appareiller dans la nuit pour Sidney via Singapour et Macassar.

Pour des raisons et des destinations différentes, chacun d’entre nous avait retenu une cabine sur le Princesse des Mers et nous avions lié connaissance en accomplissant les formalités d’embarquement. Compte tenu de la marée, le cargo ne pourrait quitter le port avant trois ou quatre heures du matin, et comme il n’était pas encore huit heures, nous avions Continuer la lecture de LA NUIT DES ROGGENFELDER (Extrait)

BLIND DINNER (Extrait)

(…)
Je viens de sonner à la porte de l’appartement et, Anne et moi, nous attendons en vérifiant l’état de nos chaussures que l’on vienne nous ouvrir, quand tout à coup :

« Meeerde ! Tu as oublié les fleurs dans le taxi ! »

Anne a réussi à crier son accusation tout en la chuchotant. Crier en chuchotant est un exercice difficile mais elle le pratique avec aisance. C’est sur le même ton, car j’ai beaucoup appris d’elle dans cette technique d’agressivité, que je proteste :

« TU as oublié… ! Tu es gonflée, quand même ! TU les as oubliées autant que moi, il me semble ? Et puis, ne dis pas merde comme ça tout le temps. Chez une femme, ça fait vulgaire.

— Merde, merde et merde ! Sans vouloir être vulgaire : tu me fais chier, Gérald, chuchote-t-elle furieusement, puis, dans la foulée, mais sur un ton beaucoup plus mondain : Oh ! Bonsoir ma chérie ! C’est nous ! Nous ne sommes pas trop en retard ? Continuer la lecture de BLIND DINNER (Extrait)

C’ÉTAIT UN JOUR QU’ÉTAIT PAS FAIT COMME LES AUTRES (Extrait)

(…). Faut absolument que j’appelle la boite ! Faut que je dise à Verlingue que je vais être en retard, et sacrément même, mais que c’est pas ma faute, que c’est la faute à ces salopards de grévistes — sûr qu’il va aimer ça, Verlingue, ces salopards de grévistes —  qui empêchent l’honnête ouvrier de se rendre à son travail pour gagner l’entrecôte. Le problème, c’est que j’ai plus de portable depuis qu’on me l’a piqué pendant que je me reposais dans le bistrot à Paulo où je soigne ma cuite hebdomadaire. Comme téléphone, y aurait bien chez Liang, le chinetoque qu’a racheté le Balto, de l’autre côté de l’avenue. Mais l’autre problème, c’est que j’ai eu des mots avec lui. La dernière fois que je lui ai causé, au Chinois, c’était pour lui dire que j’y refoutrais jamais les pieds, dans son rade de minables. Y m’avait répondu un truc du même tonneau, genre je sais plus quoi. Bref, on est en froid, Liang et moi. Bon, mais j’ai pas le choix. Faut que je passe un coup de fil. J’entre dans le troquet. C’est pas Liang qu’est derrière le comptoir, c’est un autre jaune, mais qu’est-ce que ça peut foutre ? Sont tous pareils de toute façon.

« Salut, gros lard, que je lui dit au niakoué. T’as le téléphone ? »

Je m’attendais à une vanne quelconque, une chinoiserie à la con, mais non ! Le voilà qui me dit :

« Tiens donc ! Mais c’est Continuer la lecture de C’ÉTAIT UN JOUR QU’ÉTAIT PAS FAIT COMME LES AUTRES (Extrait)

Le théâtre selon Jouvet ; Louis Jouvet selon Périer

Si vous n’avez pas encore entendu cette conférence de Louis Jouvet sur le théâtre, je vous donne encore une chance de le faire.  Plutôt que d’aller dépenser votre argent au Golf miniature de la Plage ou perdre votre temps dans le centre d’artisanat local, écoutez donc cet exposé magistral s’ouvrant sur une longue citation de Paul Claudel :  « Le théâtre, vous ne savez pas ce que c’est… ».
En prime, vous pourrez lire cette tendre et admirative description de ce maitre du théâtre, par ce tendre et admirable acteur que fût François Perrier.  

« Le théâtre, vous ne savez pas ce que c’est. Il y a la scène et la salle. Tout est enclos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées,  les uns derrière les autres, regardant. Ils regardent le rideau de la scène et ce qu’il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c’était vrai. Je la regarde et la salle n’est rien que de la chaire vivante et habillée. Et ils garnissent les murs comme des mouches jusqu’au plafond. Et je vois ces centaines de visages blancs. L’homme s’ennuie et l’ignorance Continuer la lecture de Le théâtre selon Jouvet ; Louis Jouvet selon Périer