UN CONTE DE NOËL (Extrait)

Il était une fois un petit garçon qui s’appelait Théophile. Il était très très gentil. Il était très très riche aussi — enfin, ses parents étaient très très riches — mais il était très très gentil quand même.

Théophile vivait très très heureux dans un très très grand appartement, un haussmannien traversant, entouré de son papa, qui était très très riche, de sa maman, qui était très très belle, de sa grande sœur, Abigail, qui était très très jolie et de son petit frère, Reinhard, qui était très très intelligent.

Il y avait aussi la bonne, très bretonne, la gouvernante, très british, et le chauffeur, très noir. Mais ces gens-là n’interviennent pas dans cette histoire car, à l’époque où elle se déroule, ils sont en vacances. C’est pourquoi ils n’ont pas de nom. Ils ne sont pas très très intéressants. On s’en fiche.

Cette année-là, Théophile avait été très très sage à la maison et il avait eu de très très bonnes notes à l’école, alors que sa grande sœur et son petit frère, non. Son papa et sa maman étaient très très contents de Théophile, alors que sa grande sœur et son petit frère, non.

Quand Noël approcha, la maman demanda à ses trois enfants, Abigail, Théophile et Reinhard, d’écrire comme chaque année leur lettre au Père Noël, ce qu’ils firent, chacun dans le secret de sa très très belle chambre.

Abigail, la grande sœur, qui était très très jolie, ne croyait plus au Père Noël depuis deux ans, mais, bien que très très jolie, elle n’était pas totalement idiote, et elle savait que c’était sa maman qui lisait les lettres qu’elle adressait au Père Noël. Elle écrivit donc une lettre dans laquelle elle demandait comme cadeau le très très joli collier dans la vitrine de Messieurs Van Cleef et Arpels pour être autant très très belle comme sa maman, car, ajoutait-elle pour finir, quand on est très très belle, on n’a pas besoin d’avoir des bonnes notes à l’école.

Reinhard, le petit frère, qui était très très intelligent, ne croyait plus non plus au Père Noël et savait que c’était son Papa qui lisait les lettres qu’il adressait au Père Noël et qui envoyait le chauffeur acheter les cadeaux. Il écrivit donc une lettre au Père Noël dans laquelle il demandait comme cadeau un gros portefeuille boursier pour devenir autant très très riche comme son Papa car, ajoutait-il pour finir, quand on est très très riche, on n’a pas besoin d’avoir de bonnes notes à l’école.

Théophile, qui était très très gentil, écrivit une longue lettre très très gentille au Père Noël dans laquelle il expliquait combien il avait été sage à la maison et combien de bonnes notes — 23 très exactement — il avait obtenu à l’école. A la fin de sa lettre, il promettait au Père Noël d’être encore plus très très sage l’année prochaine à la maison et d’avoir encore plus de très très bonnes notes à l’école. Comme cadeau, il demandait seulement les œuvres complètes de la Comtesse de Ségur pour pouvoir lire très très sagement le soir à la maison et une Encyclopédie Universelle pour avoir encore plus de très très bonnes notes à l’école.

Et voilà les trois lettres expédiées.

Ce qu’Abigail et Reinhard ignoraient, et que vous ne savez probablement pas non plus, c’est que le Père Noël existe vraiment et que c’est donc lui qui, dans sa gigantesque boite à lettre, reçut les lettres des trois enfants.

Quand il lut la lettre d’Abigail, le Père Noël s’exclama :

— Oh ! Oh ! Oh ! En voilà une gentille petite fille qui aime tant sa maman qu’elle veut être autant très très belle comme elle. Il faut la récompenser. Allez zou ! et un collier de Messieurs Van Cleef et Arpels pour la petite Abigail !

Quand il lut la lettre de Reinhard, le Père Noël s’exclama :

— Oh ! Oh ! Oh ! En voilà un gentil petit garçon qui admire tant son Papa qu’il veut devenir très très riche comme lui. Il faut le récompenser. Allez zou ! et un portefeuille boursier pour le petit Reinhard !

Quand il lut la lettre de Théophile, le Père Noël s’exclama:

— Oh ! Oh ! Oh ! Mais qui est-ce qui m’a fichu un pareil petit hypocrite ? Quelle lettre écœurante ! Je donnerais ma barbe à couper qu’il n’y a rien de vrai dans tout ça ! Et que j’ai été sage et gna-gna-gna, et que j’ai eu des bonnes notes et gna-gna-gna, et que je ferai mieux la prochaine fois et gna-gna-gna et gna-gna-gna… Faux-jeton, va ! Et pas un mot gentil pour ses parents ! Et puis de toute façon, la Comtesse de Ségur et l’Encyclopédie Universelle, il y a longtemps que je n’ai plus ça en stock ! Allez zou, et un stylobille 4 couleurs pour le petit Théophile ! Non mais sans blague !

C’est comme ça que la très très jolie petite Abigail reçut un splendide collier de Messieurs Van Cleef et Arpels, que le très très intelligent petit Reinhard reçut un gros portefeuille boursier et que le très très gentil petit Théophile reçut un stylobille 4 couleurs.

Moralité : pour recevoir de beaux cadeaux, il vaut mieux être très très jolie ou très très intelligent que très très gentil.

Théophile honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

*

Cette nouvelle fait partie du recueil Histoire de Noël et autres contes cruels, disponible sur Amazon.fr
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Histoire de Noël et autres contes cruels
Ce petit bouquin n’est pas destiné à être mis entre toutes les mains. En effet, et contrairement à ce que pourrait laisser croire une interprétation trop rapide de son titre, il ne s’agit pas du tout, mais alors pas du tout, d’un recueil de belles histoires de Noël, dégoulinantes de bonté, de morale et de confiture.
Connaissez-vous la légende de la Mort à Samarcande ? Non ? C’est un beau et terrible poème persan du XIIème siècle dans lequel un Vizir qui vient de croiser la Mort dans une rue de Bagdad croit lui échapper en s’enfuyant à Samarcande alors que c’est justement là que, sans le savoir, il a rendez-vous ce soir avec elle. Eh bien, pour la plupart, les nouvelles qui composent Histoire de Noël s’inspirent de cette fatalité ironique : c’est en croyant fuir son destin que l’homme s’y précipite.

 

 

2 réflexions sur « UN CONTE DE NOËL (Extrait) »

  1. Photographe, grand, drôle, ne faisant pas son âge, cherche étudiante en portugais, même américaine, pour améliorer son accent

  2. Photographe, grand, drôle, ne paraissant pas son âge, cherche étudiante, même américaine, pour réviser ses cours de portugais.

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