Archives de catégorie : Textes

Une semaine aux Seychelles (4/4)

(publié une première fois en décembre 2017)

Quatrième partie : Queue de poisson

Je passai toute la journée sur les petites routes en lacets de l’ile, ravi par le son clair et joyeux du moteur de la Mini-Moke et l’agréable sensation de jeunesse et de liberté que donne l’absence de portes et de fenêtres. Je m’arrêtais sur des surplombs pour regarder dix mètres plus bas l’océan se fracasser sur les rochers, je prenais à la volée des petits chemins de sable couverts de palmes desséchées pour atteindre des plages étroites et désertes où la pente de sable blond était battue sans arrêt par des vagues tellement brutales que je n’osais pas m’y baigner. Un peu plus loin, je déjeunai à l’ombre d’une toile tendue sur la petite terrasse d’une baraque en bois plantée de travers entre les coques retournées des bateaux de pêcheurs. Je m’offris même un bain de mer et une sieste sous les cocotiers. Vers cinq heures, fatigué, brulé par le sel et le soleil, j’étais de retour à mon hôtel. Une nouvelle chambre m’y attendait. Sa terrasse donnait directement sur l’océan. Une bouteille de champagne dans une vasque en argent remplie de glace et une corbeille de fruits « avec les compliments de la direction » trônaient sur la table basse devant la baie vitrée.

Continuer la lecture de Une semaine aux Seychelles (4/4)

Une semaine aux Seychelles (3/4)

(publié une première fois en décembre 2017)

Troisième partie : Room service

Le lendemain de ma rencontre nocturne avec ce rat d’hôtel était un samedi. Les prochaines opérations d’expertise n’auraient lieu que le lundi suivant, ce qui me laissait tout un week-end pour me remettre. J’avais parfaitement conscience que mon hôtel n’était pour rien, ou pour pas grand-chose dans la présence d’un rat dans ma chambre. On imaginait facilement en effet que celui-ci, entré sans effraction par la baie entr’ouverte, avait exploré la pièce à la recherche de nourriture — contrairement à l’homme, le rat ne pense qu’à ça ; le reste, il le fait fréquemment mais machinalement, sans y penser — jusqu’à ce que, surpris par notre entrée, il se précipite dans la salle de bain et ne trouve rien de mieux pour se cacher que la cuvette des WC. Cette erreur grossière devait, je crois, lui être fatale. A y bien réfléchir, et me connaissant, s’il avait fait front, il aurait conservé une chance notable de s’en sortir, mais voilà… Continuer la lecture de Une semaine aux Seychelles (3/4)

Go West ! (53)

(…)Je pris alors en main le manuel de maintenance et passai directement à la table des matières. Il y avait un chapitre 6 : Pannes et dysfonctionnements – Méthodologie de réparation.
76 pages en tout ! Je commençai à lire :
6-1. Arrêts inopinés du moteur
6-1-1. Nature des arrêts
6-1-2. Vérifications préliminaires
Je survolai les deux paragraphes qui n’avaient pas l’air trop difficile à traduire. Je continuai de la même manière jusqu’au paragraphe 6-1-5. Démontages préalables dans lequel j’entrai, plein de confiance.

Elle ne dura pas.

À l’école, au lycée, des professeurs ont certainement tenté de vous apprendre une ou deux langues étrangères, vivantes ou mortes. Si c’est le cas, vous devez vous souvenir des deux types d’exercice de traduction que l’on pratique couramment dans l’enseignement des langues : le thème et la version. Dans ce cas, vous vous rappelez probablement que le thème, c’est dix fois plus difficile que la version. Dans la version, si vous comprenez ou si vous devinez par le contexte le sens d’un mot étranger que vous ne connaissiez pas, vous trouvez presque ipso facto sa traduction dans votre langue maternelle. Dans l’exercice du thème, par définition, vous connaissez le sens du mot à traduire. Mais si vous ignorez sa traduction dans l’autre langue, vous êtes perdu. Par exemple, si vous avez à traduire « She used to ride a horse every day » et que vous ignorez le sens du verbe « to ride », il y a fort à parier qu’avec un peu de réflexion, vous arriverez à deviner qu’il veut dire « monter ». Mais à l’inverse, si vous avez à traduire en anglais « Elle montait à cheval chaque jour » et que vous ne connaissez pas le verbe anglais adequat, vous êtes perdu. Ou bien vous restez sec et vous êtes déconsidéré, ou bien vous tentez des « She climbed a horse every day » et des « She used to go up a horse every day » et Continuer la lecture de Go West ! (53)

Une semaine aux Seychelles (2/4)

(publié une première fois en décembre 2017)

Deuxième partie : Jacob Delafon et le penseur

Il y a deux jours, juste avant une longue digression sur les voyages d’affaire dans laquelle je vous expliquais d’une façon, je dois dire, très vivante que, même quand ils ont pour cadre des destinations réputées, ces déplacements professionnels sont loin d’être des parties de plaisir, je vous avais déclaré que je me souvenais d’un voyage aux Seychelles.

Eh bien, justement, ce voyage aux Seychelles n’avait pas été comme les autres.

Nous étions tous partis de Paris pour une expertise judiciaire à Victoria, la capitale des Seychelles. Peu importe pour le moment de connaître le litige qui la justifiait et peu importe de savoir quel rôle je devais y tenais tenir ; ce qu’il faut savoir, c’est que tout cela devait se passer dans une conserverie de poisson de Port-Victoria. Une expertise judiciaire dans une ile réputée paradisiaque, ça justifie que beaucoup de monde participe. Nous étions donc huit à faire le déplacement, fabricants, assureurs, avocats et experts. L’Expert judiciaire avait décidé de prendre son temps. Il pensait qu’une une bonne semaine sur place serait nécessaire pour procéder à ses opérations : discuter, démonter, expliquer, vérifier, remonter, discuter encore, essayer une fichue machine qui fonctionnait mal, ou ne fonctionnait pas ou qui ne plaisait plus au conservateur de poisson, voilà qui justifiait bien une semaine. En fait, nous eûmes Continuer la lecture de Une semaine aux Seychelles (2/4)

Une semaine aux Seychelles (1/4)

(publié une première fois en décembre 2017)

Première partie : Les frais de la princesse

Je me souviens d’un voyage aux Seychelles. C’était il y a vingt ans, vingt-cinq peut-être. Je dois préciser ce point, car il me permet d’espérer qu’il y a prescription.

— Les Seychelles ! Comme tu as de la chance, me disaient les gentils.

— Eh ben, on ne s’ennuie pas dans ton boulot, dis donc ! Et hop ! Un joli petit tour dans les iles aux frais de la princesse, me disaient les envieux.

— Ras le bol les voyages, me disais-je

Et d’abord, la princesse ! Quelle princesse ? Qu’est-ce que ça veut dire « aux frais de la princesse » ? C’est vrai ça, à la fin !

J’en ai fait des voyages professionnels dans mon dernier métier ! … Abidjan, Alger, Athènes, Barcelone, Caracas, Casablanca, Cayenne, Clermont-Ferrand, Djakarta, Dortmund, Douala, Edimbourg, Fort de France, Istanbul, Papeete, Rome, Ljubljana, Londres, Madrid, Manchester, Milan, Munich, Prague, Pointe à Pitre, Saint-Denis de la Réunion, Singapour, Tanger et leurs environs… Même en les prenant par ordre alphabétique, je suis sûr que j’en oublie. Et je ne compte pas Continuer la lecture de Une semaine aux Seychelles (1/4)

Go West ! (52)

(…) A notre arrivée, c’était de cette manière que Tom m’avait présenté aux quelques hommes venus le saluer. « Il est français, avait-il annoncé. Il est venu pour m’aider à réparer la machine Alsthom. » A l’entendre, et c’était sans doute ce que voulait Tom, on pouvait presque comprendre que j’étais venu spécialement de Belfort pour régler le problème. Après quelques plaisanteries sur la fameuse technique et les fameuses vacances françaises, tout le monde s’est rendu dans la salle de repos pour y prendre un café et discuter du planning de la semaine qui s’ouvrait. Dix minutes plus tard, chacun partait vers son travail, deux 4×4 prenaient la piste, le camion de forage chauffait sur le parking et Tom m’emmenait à la Centrale. Il était à peine 7 heures. Moi qui n’avais jamais fait le moindre stage en entreprise, je me retrouvais d’un coup équipé d’un casque de chantier et d’un blouson aux armes de la Belridge, affecté à une tâche et intégré de fait dans une équipe de terrain.

La Centrale… Nous avons roulé un demi-mile entre les nodding donkeys pour parvenir aux pieds d’une installation compliquée faite de hauts cylindres verticaux, de gros réservoirs horizontaux, d’un fouillis de câbles et d’un enchevêtrement de tuyauteries accrochés à des échafaudages. On dirait une raffinerie qui aurait été construite à l’échelle 1/2.

« C’est là qu’on traite le brut, me dit Tom. Normalement, tout ça fait beaucoup de bruit, il y a de la chaleur, de jets de vapeur dans tous les sens et, tout en haut, une torche qui brûle nuit et jour. Mais aujourd’hui, plus de moteur, plus d’électricité… Tout est à l’arrêt. Il parait que la dernière fois que c’est arrivé, c’était le jour de Pearl Harbour »

La Centrale se trouve derrière la raffinerie : deux bâtiments métalliques reliés l’un à l’autre par une panoplie de tuyauteries et de câbles. Le premier, Continuer la lecture de Go West ! (52)

Conversation Sélecte

Cette chronique a été écrite il y aura bientôt 10 ans. C’est pour cela que certaines considérations pourront vous paraitre datées, en particulier celles qui portent sur la circulation et la sécurité des piétons. C’est pourquoi je me suis permis d’ajouter quelques notes de bas de page explicatives. 

Couleur café 15
Le Sélect,Boulevard du Montparnasse

Le Sélect est un bel endroit mais il a peu d’histoire. Sur ce plan, il ne peut pas lutter avec La Coupole (mais la Coupole n’est plus la Coupole) ou Le Dôme (sans charme, mais gastronomique). Le Sélect est un tout petit peu mieux placé que La Palette qui, certes, a eu l’honneur de l’une de mes rubriques (« Les hommes de la Palette« ) mais qui aujourd’hui a disparu. La Closerie des Lilas demeure à l’écart de ce concours, tant sur le plan historique que géographique.

Le Sélect se trouve à l’angle du Boulevard du Montparnasse et de la rue Vavin. Contrairement à ses voisins, il n’a jamais vraiment cherché par le passé à être un restaurant ou même une simple brasserie. Non, jusqu’à il y a peu, c’était Continuer la lecture de Conversation Sélecte

Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Des écrivains pour répondent…

Chez Delmas, Place de la Contrescarpe, Paris, 6 pm, June 21, 1949.

Just finished reading the proof of The Dashiell Stiller Story. Would’nt have written it like that, but what an astonishing page turner ! Zelda won’t like it, but Scott will !!! Must talk to him, absolutely ! One Continuer la lecture de Que faut-il penser d’Histoire de Dashiell Stiller ?

Go West ! (51)

(…).  Là, je suis à l’aise. Je n’ai pas besoin de raconter des histoires. En fait, je ne sais plus si je vous l’ai déjà dit, je suis élève en prépa en attendant de passer les concours des écoles d’ingénieur. Par expérience, je sais que les Américains — ils ne sont pas les seuls — ne comprennent rien à notre système de Grandes Écoles. Alors je lui explique que je suis en deuxième année d’université à Paris pour devenir ingénieur.

« Ingénieur en quoi ? me demande-t-il, l’air subitement intéressé.
Comme je ne peux pas lui dire que je n’en ai aucune idée et que j’entrerai dans l’École qui voudra bien m’accepter, je choisis la discipline la plus éloignée possible de la sienne : Génie Civil. Ça devrait m’éviter d’avoir à tenir des conversations sur le courant triphasé ou le fonctionnement d’un moteur à courant continu.
« Ah ! C’est dommage ! Tu aurais pu m’aider… »
L’aider ? Ça, ça m’intéresse. Je me verrais bien passer quelques jours ici, bien à l’abri, planqué au milieu de nulle part.
« Ah bon ? Et comment ? Dis toujours. On ne sait jamais »

Alors Tom commence Continuer la lecture de Go West ! (51)

Demain 9 octobre

A la suite de l’assassinat de l’héritier du trône austro-hongrois le 28 juin 1914 à Sarajevo, l’Autriche-Hongrie lance à la Serbie un ultimatum inspiré par l’Allemagne. Il est rédigé de telle sorte qu’il soit impossible à la Serbie de le respecter. L’imbrication des alliances est alors telle que, de façon quasi automatique, la catastrophe se met en place. La Russie déclare la mobilisation contre l’Autriche-Hongrie puis contre l’Allemagne. Le 1er août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le même jour, la France décrète la mobilisation générale. Le lendemain, l’Allemagne envahit le Luxembourg puis la Belgique…le spectacle commence ! Ce qui devait n’être qu’une punition de la Serbie par l’Autriche-Hongrie se transforme en quelques jours en guerre mondiale, la première guerre mondiale.
Le 5 août 1914, le caporal Coutheillas (Marcelin, mais il signe Marcel) est convoqué à Dreux pour rejoindre le 29ème Régiment Territorial. A partir de ce moment, il tient son journal qu’il envoie régulièrement à sa femme Madeleine, restée à ParisIl a 36 ans. Ses deux enfants jumeaux, Antoinette et Daniel, vont avoir 8 ans.
Son fils a retranscrit sur sa machine à écrire IBM à boule le manuscrit qu’il lui avait donné, et moi, son petit-fils qu’il n’a pas connu, j’ai à mon tour repris son journal.
Tenu sur un cahier de 11cm par 17cm, le journal de Marcelin Coutheillas comporte 133 jours, cinquante et une pages et pas une faute d’orthographe.
Lorsque j’ai tapé ce texte intégralement, il a occupé 15 pages dactylographiées. Pour cette présentation, j’ai résumé certains jours en quelques lignes (caractères italiques) et reproduit intégralement certains autres (caractères droits). Dans ce cas, je n’ai apporté aucune autre modification que de rares liaisons entre phrases.
Demain, ça fera exactement 110 ans que Marcelin Coutheillas écrivait ces lignes. 
Marcelin

9 Octobre              Il gèle fort. Dans la nuit, nous entendons une forte fusillade vers Monchy. C’est le 26ème et le 29ème Territorial qui reprennent Monchy, pris par les Allemands pendant la même nuit.

A 9 heures et demi, j’accompagne le fourrier jusque dans Berles. A ce moment, les obus Continuer la lecture de Demain 9 octobre