(…)Je pris alors en main le manuel de maintenance et passai directement à la table des matières. Il y avait un chapitre 6 : Pannes et dysfonctionnements – Méthodologie de réparation.
76 pages en tout ! Je commençai à lire :
6-1. Arrêts inopinés du moteur
6-1-1. Nature des arrêts
6-1-2. Vérifications préliminaires
Je survolai les deux paragraphes qui n’avaient pas l’air trop difficile à traduire. Je continuai de la même manière jusqu’au paragraphe 6-1-5. Démontages préalables dans lequel j’entrai, plein de confiance.
Elle ne dura pas.
À l’école, au lycée, des professeurs ont certainement tenté de vous apprendre une ou deux langues étrangères, vivantes ou mortes. Si c’est le cas, vous devez vous souvenir des deux types d’exercice de traduction que l’on pratique couramment dans l’enseignement des langues : le thème et la version. Dans ce cas, vous vous rappelez probablement que le thème, c’est dix fois plus difficile que la version. Dans la version, si vous comprenez ou si vous devinez par le contexte le sens d’un mot étranger que vous ne connaissiez pas, vous trouvez presque ipso facto sa traduction dans votre langue maternelle. Dans l’exercice du thème, par définition, vous connaissez le sens du mot à traduire. Mais si vous ignorez sa traduction dans l’autre langue, vous êtes perdu. Par exemple, si vous avez à traduire « She used to ride a horse every day » et que vous ignorez le sens du verbe « to ride », il y a fort à parier qu’avec un peu de réflexion, vous arriverez à deviner qu’il veut dire « monter ». Mais à l’inverse, si vous avez à traduire en anglais « Elle montait à cheval chaque jour » et que vous ne connaissez pas le verbe anglais adequat, vous êtes perdu. Ou bien vous restez sec et vous êtes déconsidéré, ou bien vous tentez des « She climbed a horse every day » et des « She used to go up a horse every day » et vous êtes ridicule.
Je sentais mon visage en feu. Une sueur froide collait ma chemise à mon dos, des gouttes ruisselaient sous mes aisselles. Je me laissai tomber sur une chaise, soudainement vide, épuisé. Je retrouvais les sensations de mes 12 ans quand, en composition d’anglais, on me demandait de traduire « Elle montait à cheval chaque jour. » À présent je le sais, bien sûr, mais à ce moment de mon récit, comment traduire une soupape, un joint torique, une fixation à baïonnette, un centrage, une clavette, un flasque, une gorge, un palier, une virole ou même une simple rondelle ? Ça ne se devine pas, des trucs pareils !
Je cherchai désespérément un lexique dans les notices, sur les plans, mais il n’y en avait pas. Chez Alsthom, on n’avait pas jugé ça utile. Des étrangers qui achètent de la technologie française peuvent bien se donner la peine d’apprendre le français, non mais sans blague !
J’étais atterré. D’ici une heure ou deux, Tom viendrait me chercher pour déjeuner. Il me demanderait des nouvelles de mon travail. Si je lui disais la vérité, si je lui avouais que finalement, j’étais incapable de traduire les documents de sa machine, je n’étais plus d’aucune utilité pour lui. Je n’aurais plus qu’à lui demander de me déposer quelque part sur la route en abandonnant toute idée de salaire. L’autre solution consistait à louvoyer plus ou moins habilement en le faisant patienter, en le rassurant, en lui donnant de temps en temps des traductions de parties plus faciles, en lui promettant pour bientôt de rapides progrès, bref en continuant à lui mentir. C’est l’attitude que je décidai d’adopter. Mais cela me rendait malheureux, angoissé, honteux. C’était la première fois de ma vie que tout ce que je faisais, tout ce que je disais était orienté vers une seule chose : profiter de la bienveillance de quelqu’un. À cette époque, j’étais plutôt du genre à ne pas m’imposer, à me laisser porter, à accepter quand elles se présentaient la sympathie, la générosité, l’aide et l’hospitalité des gens mais sans que je fasse jamais rien pour l’obtenir. Était-ce par amour-propre, par honnêteté, par timidité ? Ce que, jusqu’ici, vous avez appris de moi par ce récit vous permettra peut-être de le savoir, mais moi, je ne le sais toujours pas. Toujours est-il que la situation me devenait de plus en plus pénible. Pourtant, et malgré les doutes que je sentais par instants naître dans la confiance que Tom m’accordait, je persévérais dans le mensonge. Je me justifiais à mes propres yeux en me répétant que rester à l’abri dans le guest house de la Belridge n’était peut-être pas tout à fait une question de vie ou de mort, mais pas loin… une question de survie. Un moment viendrait surement où Tom découvrirait mon ignorance, mais chaque jour passé à la Belridge avant cette découverte était un jour gagné pour ma sécurité.
J’étais en plein milieu de la crise la plus grave que j’aie jamais vécue. Il fallait tenir et, si je voulais au moins tenter de m’en sortir, il faudrait bien que je transige sur quelques règles morales, que je n’avais d’ailleurs jamais eu l’occasion de mettre à l’épreuve.
J’ai tenu quatre jours. Pendant ces quatre brèves journées, et malgré la sourde angoisse qui m’étreignait, il y eut quand même de bons moments. Il y eut cette matinée où Tom m’emmena assister au forage d’un puits. La simplicité des opérations à effectuer et l’efficacité des hommes qui les accomplissaient étaient étonnantes : une équipe de quatre foreurs arrivait sur l’endroit prévu par le géomètre. Elle assemblait et dressait le derrick installé à demeure sur le plateau du camion de forage, commençait à forer en enfilant les tuyaux les uns derrière les autres à la suite de la tête de forage. Tout cela s’accomplissait pratiquement sans qu’une parole ne soit échangée entre ces quatre hommes aux gestes assurés, calmes, presque nonchalants, dans une sorte d’automatisme qui donnait une impression de facilité au milieu du fracas du moteur et des tuyauteries entrechoquées. Lorsque la nappe pétrolifère était atteinte, en général vers 200 mètres de profondeur, on installait en surface l’arbre de Noël, tuyauterie verticale surmontée d’une vanne, on démontait le derrick et c’était terminé pour l’équipe de forage. Dans quelques jours, si la pression était suffisante, on raccorderait l’arbre de Noël à un réservoir. Si elle ne l’était pas, c’est une de ces pompes à bascule Churchill qui serait installée. Trois ou quatre jours après le début du forage, le puits était prêt à produire. La fierté de la Belridge était d’en avoir foré deux à trois par semaine, sans une seule interruption depuis 1912, pas même le jour de Pearl Harbour.
Il y eut aussi cette nuit à Bakersfield. C’était le troisième soir. Tom est venu me prendre avec son pick-up vers 5 heures et nous avons roulé jusqu’à Taft. Nous nous sommes baignés dans la piscine du motel en buvant des bières, allongés sur des chaises longues au soleil déclinant. Vers 7 heures, nous sommes montés, joyeux, dans la belle Corvette rouge et blanche décapotée et nous sommes arrivés à Bakersfield trois quarts d’heure plus tard. Le soleil allait bientôt se coucher. La ville baignait dans une sorte de halo qui virait lentement du rose au violet. La chaleur n’avait pas encore baissé. À l’entrée de la ville, Tom a pris à droite dans une large avenue et s’est introduit dans le flot de la circulation. « Chester Avenue, a-t-il prononcé d’un air prometteur. Le cruising…Tu vas voir… » La croisière ? Je ne comprenais pas, mais je ne posai pas de question. Il fallait que je prenne l’habitude de ne jamais révéler mon ignorance à Tom, quel que soit le sujet. De toute façon, comme il venait de le dire, je verrai bien. La chaussée était bordée de cafés, de cinémas, d’agences bancaires et de commerces de tous genres. À part les cafés et les cinémas, tout était fermé, mais la plupart des magasins et des bureaux avaient laissé leurs lumières allumées. Les enseignes et les éclairages intérieurs découpaient l’avenue en une succession de zones éclairées où l’on pouvait voir comme en plein jour et de zones d’ombre où seuls existaient les phares des voitures. Dans les deux sens, la circulation était à peine dense mais continue. Les voitures roulaient lentement, toutes à la même vitesse, laissant entre elles un espace d’une dizaine de mètres. Il y en avait de toutes sortes : quelques pick-up et de rares Coccinelles mais surtout de longs breaks familiaux, des conduites intérieures luxueuses, des cabriolets européens, des voitures moyennes récentes, de grosses et vieilles limousines, comme cette Hudson 51 qui m’avait fait sauter le cœur en la voyant, mais qui n’était pas la bonne. On aurait dit un défilé, la présentation d’une collection automobile. Décapotables ou conduites intérieures, vieilles ou récentes, rutilantes ou cabossées, ce que toutes ces voitures avaient en commun, c’était la musique hétéroclite qui sortait de leur habitacle, les coudes dénudés qui dépassaient de leurs portières aux vitres toutes baissées, la jeunesse insolente de leurs conducteurs et de leurs passagers. La nuit était tombée et la température qui avait baissé de deux ou trois degrés était devenue agréable. Tom a descendu lentement Chester Avenue jusqu’à son croisement avec une autre avenue qui était presque aussi large. Le feu de circulation était au rouge. La Corvette s’est arrêtée sur la file de gauche. Devant nous, le feu pendait au milieu du carrefour et la pancarte disait Truxtun Avenue.
A SUIVRE
Bonjour M. Guillaume,
On s’était rencontré un jour ou notre bus décida de s’arrêter prématurément à port Royal. On a ensuite discuté et vous m’avez distraite de mes révisions de portugais. Grâce à vous j’ai eu 7/20 j’en fut fière.
Je suis américaine, on avait discuté de votre séjour et vos amis américains qui bizarrement vous plaisez ce qui m’avait surpris car j’ai du mal à aimer les américains.
Bref voulez vous qu’on se prenne un café afin que je puisse me réconcilier avec mon origine américaine et comprendre ce que vous voyez de beau chez les américains, entre autres ?
Cordialement,
Saïna SMITH ( oui très Amerloc )
Les pièges dangereux à éviter en traduction, version ou thème, sont les faux-amis, mais aussi les locutions idiomatiques. Ils conduisent parfois à un sourire interrogatif, parfois à la révélation de la supercherie, ou pire à une paire de claques. Il n’est pas sorti de l’auberge notre ami Philippe pour la suite de son aventure.