Archives de catégorie : Fiction

Sacrée soirée ! (18)

 18

— Et qu’est-ce que vous proposez, Charles ? Un jeu ? demande Renée prête à beaucoup de choses pour sauver sa soirée.

— Oui, un jeu… C’est une bonne idée, dit Longchamp. Pourquoi pas un jeu de rôle ?

— Pourquoi pas ? approuve Charles. Ou alors un jeu littéraire. Qu’est-ce que vous en pensez, Gérald ?

— Oh, moi, les jeux, vous savez…

— Ne vous occupez pas de lui, dit Anne. C’est un perpétuel rabat-joie. Kris ? Ça vous amuserait de jouer avec moi, je veux Continuer la lecture de Sacrée soirée ! (18)

Sacrée soirée ! (17)

17

On s’est un peu bousculé dans l’office pour parvenir jusque dans la cuisine. Mon irrépressible galanterie m’a fait céder le pas aux dames, Anne y compris, et les hommes se sont engouffrés derrière elles sans plus faire attention à moi, tant et si bien que j’arrive bon dernier dans la pièce. Il n’y a plus une seule place pour s’asseoir. Renée, Marcelle et Anne sont installées sur des chaises en Formica bleu ciel — c’est très chic en ce moment — et Charles et André sur d’anciens tabourets à traire. Longchamp, lui, est monté sur un petit escabeau devant un énorme frigidaire sur lequel trône un poste de radio gros comme un annuaire du téléphone. C’est un poste portatif Pizon Bros dont on a dû cesser la fabrication vers la fin des années cinquante. François, les bras levés, Continuer la lecture de Sacrée soirée ! (17)

Sacrée soirée ! (16)

16

Françoise est repartie en cuisine et Renée ne sait pas quoi faire du bouquet qu’elle a couché sur la table. Elle se lève, le saisit, fait deux pas vers la cuisine, se ravise, le pose sur sa chaise, repart vers la cuisine, revient vers la table, reprend le bouquet et finalement se rassoit en gémissant :

— Mon Dieu, mais quelle soirée ! C’est une catastrophe !

Mais la mère Wu est là pour la consoler :

— Mais pas du tout, chère amie. Il y avait longtemps que je n’avais pas assisté à une soirée aussi intéressante.

— Ah ? Vous trouvez ? C’est gentil de dire ça, dit Renée en souriant pauvrement.

— Absolument. Vous savez, parler de Continuer la lecture de Sacrée soirée ! (16)

Sacrée soirée ! (15)

15

C’est notre chauffeur de taxi qui entre. Je le reconnais facilement : il est grand et gros et noir. Et vieux aussi. Il tient le bouquet de chez Morelli d’une seule main au bout de son bras tendu. Il a reconnu Anne et s’est dirigé droit vers elle.

—Voilà, Madame. Faudra pas m’en vouloir d’avoir mis tout ce temps à vous rapporter les fleurs. C’est qu’elles avaient glissé derrière mon fauteuil. Et le client après vous, il les a pas vues. C’est le couple d’après qui les a trouvées. Ils voulaient les garder, les fleurs. Mais j’ai dit que c’était pas possible. Des fleurs comme ça, c’était surement pour une femme, et cette femme, elle attendait surement ses fleurs, et si elles les avaient pas ce soir, ça lui ferait Continuer la lecture de Sacrée soirée ! (15)

Sacrée soirée (14)

14

— Vous avez raison, Marcelle. Discuter avec un complotiste est un exercice décourageant. Pour quelqu’un comme notre ami, si vous ne vous rendez-pas à l’empilement de ses arguments, si vous ne voyez pas ce qu’il y a de bizarre dans la succession ou la coïncidence de deux événements quels qu’ils soient, c’est que vous êtes vraiment naïve ou complice. Alors, je comprends que vous abandonniez. Mais à propos de complicité, cher Monsieur…

Et là, elle se tourne vers Longchamp et lui, souriant, confit d’autosatisfaction, prend une mine du genre « allez-y, je suis tout ouïe, chère madame ».

— … à propos de complicité, oui, tout d’abord, je ne crois pas que vous pensiez réellement que Marcelle ici présente ou moi-même soyons complice des laboratoires que vous accusez d’entente.

— Effectivement, chère madame, roucoule Longchamp. C’était purement rhétorique…

Rhétorique ? Il a dû vouloir dire théorique. Pas foutu de parler correctement, l’artiste !

— Je crois bien davantage que Continuer la lecture de Sacrée soirée (14)

Sacrée soirée (12)

12

Mais Renée s’est déjà retournée vers André à la recherche d’un autre sujet de conversation :

— Dites-moi, André, vous qui êtes médecin, que pensez-vous de ces nouveaux systèmes de prise de rendez-vous par Internet ? Est-ce que c’est pratique ? Moi, je n’aimerais pas ça. On ne peut plus parler à son médecin, pas même à sa secrétaire ! Vous ne trouvez-pas que ça déshumanise la médecine ?

DoctoNet, elle veut parler de DoctoNet. Pauvre Renée ! C’est tout ce qu’elle a trouvé comme sujet ? Si elle savait ce qu’on s’en fout de DoctoNet ! Le médecin va répondre, mais Marcelle lui coupe la parole : Continuer la lecture de Sacrée soirée (12)

Sacrée soirée (11)

11

Sidérée par ma répartie sans appel, la table a replongé le nez dans son assiette, tandis que la fausse chinoise me regarde en haussant les épaules. À l’autre bout de la table, je vois Anne qui me regarde en soupirant et en secouant la tête de droite à gauche. Est-ce pour me faire comprendre qu’elle aussi, elle trouve cette pauvre Kris bien naïve ? Ça doit être ça, c’est surement ça. C’est bon de se sentir soutenu par sa chère et tendre. C’est rare, mais c’est bon. Mais je ne veux pas écraser mon adversaire, alors, avec élégance, je change de conversation. Justement Françoise repasse avec l’entrée.

— Il est vraiment très bon, votre foie gras, Renée, dis-je en me resservant.

Marcelle reprend la balle au bond :

— Vraiment excellent. C’est vous qui l’avez préparé ?

— Une merveille, ma chérie, confirme Anne.

Et s’engage alors entre les trois femmes une conversation décousue sur les différentes variétés de foie gras, les façons de le préparer, de le présenter… Passionnant !  Quant à la mère Wu, elle s’est tournée ostensiblement vers Charles, si bien que je ne vois plus que son large dos. Elle a dû lui demander quelque chose d’aussi subtil que « Alors comme ça, vous écrivez ? » Du coup, Continuer la lecture de Sacrée soirée (11)

Sacrée soirée (10)


10

Françoise vient de finir le service du foie gras. On a à peine le temps de l’entamer, et voilà que, depuis son bout de table, Renée relance le sujet de l’épidémie.

— Maintenant que nous sommes tous là, ne me dites pas que personne ici n’a écouté ce pauvre Président, quand même. Kris, vous l’avez écouté, vous ?

— Oui, bien sûr, mais le début seulement, lui répond Kris de l’autre extrémité de la table. Mon taxi m’attendait en bas.

— Alors ? C’est grave ? demande Anne, inquiète.

— Eh bien, à mon avis, ils ne savent pas trop à quoi s’en tenir encore, mais ce qui est sûr, c’est qu’en Chine, en Corée, à Singapour, ils ont pris des mesures drastiques. En Italie, ça commence à exploser, en Espagne aussi. Pour la France, ce n’est pas encore bien clair. J’ai l’impression Continuer la lecture de Sacrée soirée (10)

Aux coiffeurs…

Déjà publié le 27/03/2015 sous le titre « Au coiffeur ».

Dehors, il fait gris sombre, froid humide et triste angoisse. Quand on passe badaudant devant la vitrine floue de la rue Saint Jacques longue, le trottoir est jaune enluminé.
Si on entre dans l’aquarium boutique, c’est encore mieux : il fait blanc lumineux et chaud tropical. Les vents électriques des séchoirs mangeurs de crânes recouvrent à peine les conversations molles et la musique en tube. D’étranges êtres capés immobiles se contemplent assis dans des miroirs lumière encadrés. Des esclaves serviles légers leur reforment la crête luisante hirsute.

Si l’on a pris bonne et due date, c’est le paradis retrouvé. On se place aussitôt parmi les maitres absolus que des serviteurs emblousés arrosent de pluies tièdes, massent de mousse odorante, abreuvent de café sucré, instruisent de considérations indispensables Continuer la lecture de Aux coiffeurs…

Sacrée soirée (9)

9

De taille moyenne, elle porte une ample blouse noire, un pantalon moulant noir qui s’arrête à mi mollet — je crois que ça s’appelle un legging, mais je n’y connais rien — et de grosses chaussures noires du genre Rangers avec une énorme semelle débordante jaune. Ses cheveux très noirs, coiffés à la Play-Mobil, encadrent un visage très pâle. Ses lèvres minces ne portent aucun maquillage. Elle n’a pas de sac mais elle serre dans sa main gauche un gros portefeuille noir et un iPhone arc en ciel presque aussi gros. Porté en sautoir, ce qui ressemble à une chaine de vélo en or pend à son cou. Mais ce qui frappe chez elle, ce n’est pas la chaine de vélo ni les invraisemblables semelles de ses Rangers, c’est que, d’où qu’on la regarde, chez elle, tout est rond : son crâne, son visage, ses yeux, son nez, mais aussi ses épaules, son buste… La blouse qui tombe Continuer la lecture de Sacrée soirée (9)