Sacrée soirée (12)

12

Mais Renée s’est déjà retournée vers André à la recherche d’un autre sujet de conversation :

— Dites-moi, André, vous qui êtes médecin, que pensez-vous de ces nouveaux systèmes de prise de rendez-vous par Internet ? Est-ce que c’est pratique ? Moi, je n’aimerais pas ça. On ne peut plus parler à son médecin, pas même à sa secrétaire ! Vous ne trouvez-pas que ça déshumanise la médecine ?

DoctoNet, elle veut parler de DoctoNet. Pauvre Renée ! C’est tout ce qu’elle a trouvé comme sujet ? Si elle savait ce qu’on s’en fout de DoctoNet ! Le médecin va répondre, mais Marcelle lui coupe la parole :

— Je l’ai expérimenté à titre personnel. J’ai trouvé ça très pratique. Évidemment, en tant que Maire c’est un peu différent. Dans ma commune — Gentilly, Renée, Gentilly — il y a beaucoup de gens qui n’ont pas Internet, et puis il y a beaucoup de Seniors qui ne savent pas s’en servir. Mais globalement, je trouve que c’est un progrès.

— Moi, je trouve que c’est un moyen de plus pour nous pister, pour savoir qui on consulte, combien de fois, quand, et probablement aussi pourquoi.

C’est Longchamp qui vient de sortir ça. Ça m’étonne de lui. J’aurais juré qu’il était de gauche, plutôt favorable à tous ces trucs modernes. Moi qui suis plutôt à droite, voilà qu’il est d’accord avec moi. J’ai bien envie de donner aussi mon avis :

— Écoutez, je vais vous parler franchement. J’ai fait un essai avec DoctoNet. Je me sentais un peu patraque… C’était vendredi dernier… non, jeudi… enfin… pas plus tard que la semaine dernière, tu te souviens Anne ? Je t’en avais parlé, eh bien…

— Gérald, m’interrompt Anne, si tu laissais répondre le docteur ? Il me semble que c’est à lui que Renée avait posé la question. Docteur… ? dit-elle en se tournant vers André pour lui passer la parole.

—En fait, je ne suis pas vraiment concerné : je n’exerce la médecine ni en ville ni à l’hôpital. Je travaille au Centre de Recherche des Laboratoires Schmurtz à Jouy en Josas.

— Mais c’est très intéressant ça, dit Marcelle. Vous savez surement que ma commune abrite l’entrepôt Schmurtz pour la moitié nord de la France. J’adore leur taxe professionnelle, ah ! ah ! Mais dites-moi, plus sérieusement, vous travaillez sur les virus ?

— Plus ou moins, oui.

— Comment ça, plus ou moins ?

— Je n’ai pas le droit de parler de mes recherches.

— Mais votre plus ou moins, ça veut dire que vous travaillez sur les virus, non ?

— Plus ou moins. Vous savez, à Jouy, tout le monde travaille sur les virus, plus ou moins.

— Surtout depuis quelques semaines ?

— Surtout.

Je le trouve un peu trop laconique pour être honnête, le toubib. Il va falloir qu’il nous en dise plus. Je vais le cuisiner un peu. On va voir ce qu’on va voir.

— Allons, Docteur, nous sommes entre nous ! Vous pouvez parler, nous saurons garder le silence. N’est-ce pas, mes amis, que nous saurons garder le silence ?

Et la table approuve, à l’exception d’Anne et de la Chinoise, bien sûr, puisque l’initiative vient de moi.

— Désolé, mais j’ai signé un engagement de confidentialité draconien. Je ne peux vraiment pas…

Mais Longchamp l’interrompt méchamment :

— Bon, ça va comme ça, Docteur. Tout le monde sait que les labos du Big Pharma travaillent dans l’ombre et qu’ils disposent déjà des médicaments ou des vaccins pour soigner ce nouveau truc. On peut même se demander s’ils ne l’ont pas créé. Mais, bien sûr, ils attendent le meilleur moment pour révéler leur découverte, et le meilleur moment c’est… devinez ? Non, vraiment, vous ne voyez pas ? Eh bien, c’est quand ce sera la panique totale et qu’on sera prêt à payer n’importe quoi. Tout le monde sait ça !

— Tout le monde ? demande calmement le médecin. Qui ça, tout le monde ?

— Eh bien, mais tous ceux qui savent s’informer, les gens que je rencontre, ceux avec qui je parle, tout le monde, quoi ! Enfin, c’est évident. C’est même démontré. Tout ça c’est prévu, calculé, organisé. J’ai lu un article très intéressant là-dessus, hier sur internet. C’était signé d’un chercheur anonyme de chez H.H.H., il donnait les preuves et tout et tout… Ne soyez donc pas si naïf, docteur !

André pose ses couverts et d’un ton accablé, il soupire :

—Signé d’un chercheur anonyme ! Arrêtez-donc de dire des âneries. Vous ne connaissez rien au sujet et vous ne faites que répéter les théories complotistes que vous trouvez sur les sites d’extrême droite.

— Non, Monsieur ; je suis de gauche, moi monsieur, de gauche ! Je suis abonné à Libération et à Mediapart.

— Ah, excusez-moi : je voulais dire « que vous trouvez sur les sites d’extrême droite et d’extrême gauche ». C’est triste !

— Mais non, docteur, ce qui est triste, c’est votre aveuglement. A moins que ce ne soit de la complicité…

— Vous êtes un crétin, Monsieur Longchamp. De la complicité ! Mais c’est honteux de dire des choses comme ça. De la complicité ! Et grassement payée, sans doute ?

— Ce n’est pas moi qui le dis…, rétorque l’acteur, content de lui.

— Savez-vous combien je gagne par an après huit années d’études et six ans de carrière ? Non ? Eh bien, en un an, Monsieur, moins que vous en deux jours pour tourner une publicité merdique pour des vérandas à la con. Excusez ma grossièreté, Renée, mais ce genre de théorie me rend dingue !

Renée fait une petite moue pour signifier qu’elle comprend l’exaspération du médecin, mais Longchamp continue sur sa lancée :

—Vous êtes peut-être mal payé officiellement, mais qui me dit que Schmurtz n’est pas en train de vous constituer un gentil petit capital aux iles Caïmans ou dans un autre paradis fiscal que ce genre de boite affectionne ?  Parce qu’il parait que c’est courant !

Le médecin est devenu tout pâle. Il prend une grande respiration, pose ses couverts et sa serviette sur la table, et tout en repoussant sa chaise pour se lever, il s’adresse à Renée :

—Je suis désolé, Renée, mais je vais devoir quitter la table. C’est mal élevé, je le reconnais, mais je préfère ça plutôt que d’avoir à défendre mon métier devant ce monsieur ou à lui casser la figure.

— C’est ça, docteur, quittez la table, refusez le débat, ironise Longchamp. Je vous comprends, si j’avais aussi peu d’arguments, je ferais la même chose.

Putain ! Mais c’est passionnant ce diner. Ah là, pour une fois, je ne regrette pas d’être venu. Mais Renée s’est mise à taper sur son verre avec son couteau.

— Messieurs, s’il vous plait… s’il vous plait. Monsieur Longchamp, je crois que vous êtes allé un peu loin et il serait bon que vous vous excusiez. Quant à vous, Docteur, je vous demande expressément de vous rasseoir et d’accepter ces excuses. Comme ça, nous pourrons tous passer à autre chose. François, voulez-vous… ? Je vous en prie !…

— Mais enfin ! C’est quand même bien lui qui a commencé par me traiter de crétin… se plaint Longchamp.

— François… J’insiste …

— Bon d’accord, d’accord… Je suis allé un peu loin avec ce mot de complicité, André. Je suis désolé, voilà.

Renée se tourne vers le médecin :

— André ?

Mais André qui était resté debout pendant tout ce temps quitte la table et se dirige vers le salon en maugréant dans sa barbe.

— Rien à foutre, des excuses de ce connard …

Au moment de sortir de la salle à manger, il va pour claquer la porte, mais Renée qui l’a suivi passe au salon derrière lui en nous lançant un regard contrit.

— Continuez sans moi, je reviens dans un instant, dit-elle en refermant doucement la porte.

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19 Sep, 16:47 Rendez-vous à cinq heures : Christian Bonnet, Ministre de l’Intérieur
20 Sep, 07:47 Tableau 364

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