Sémantique

Vous avez peut-être déjà lu cette lettre que j’adressai il y a cinq ans passés à un cher confrère. Vous n’y aviez probablement rien compris, tant le fond en est complexe et le style ardu. Ne vous mettez pas martel en tête, ce n’est pas totalement de votre faute, mais quand même, si vous aviez travaillé un peu plus à l’école, on n’en serait pas là.
Aujourd’hui, une seconde chance vous est donnée d’appréhender enfin les raisons de mon désaccord persistant avec ce confrère honorable (because Brutus is an honorable man).

Mon cher ami,

J’ai lu chacune des quatorze pages de votre dernière lettre avec la plus grande attention et, faut-il le dire, avec le plus grand plaisir. Votre façon d’aborder les problèmes que pose la situation actuelle des rapports entre le signifiant et le signifié et leur éloignement constamment croissant comme deux simples galaxies après le Big Bang, est à la fois classique et novatrice, sobre et brillante, simple et sophistiquée. Vous apportez à cette partie si importante des sciences cognitives qu’est la linguistique évolutionniste des techniques novatrices, parfois même révolutionnaires, qui, je n’en doute pas, lui permettront des avancées spectaculaires dans les décades à venir.

Bien que l’on ne puisse que rester coi devant l’ampleur de cette construction intellectuelle, et puisque vous me demandez mon modeste avis sur votre exposé, je ne peux m’y soustraire plus longtemps. Voici donc :

Après la très classique mais, je l’espère, très sincère formule d’entrée, « Cher ami », votre lettre commence ainsi :

Si j’ai utilisé le verbe vouloir…
Avec tout le respect que je dois à un lettré de votre carrure, autorisé cependant par l’amitié qui me lie avec un presque autre-moi-même, je me permets de vous faire remarquer que cette entrée en matière ne semble pas relever de la rigueur scientifique ni de la prudence proverbiale qui, d’ordinaire, vous animent. Pour éviter des qui pro quo regrettables et ultérieurs, il convient donc de l’analyser sur les plans sémantique et philosophique.
« Si j’ai utilisé… »
« Utiliser » Ce mot m’a toujours paru ambigu, lourdement chargé de sens et de sous-entendus. Utiliser, manipuler (to manipulate), détourner, user, usage… Tout cela donne à réfléchir (to think) et Jean-Sébastien Mouche l’avait fait bien avant votre serviteur, ce qui l’avait amené à dire : « L’usage n’est que le legs obligataire et obligatoire que nous ont laissé ceux qui voulaient que nous en usions comme eux » (Cf. Usinage, usage, usure, us et coutumes, et comment les différencier, page 17 de l’édition posthume augmentée). Selon lui, l’usage est donc un don insidieux accordé au sein de la glorieuse école de pensée unique du capitalisme conquérant. Ce que Mouche n’avait pas vu, c’est qu’ils ne nous l’ont pas laissé, ce legs (jambes), ils nous l’ont instillé jour après jour, ou pire, injecté de force dans les boites à bac à travers l’épiderme encore si tendre de notre insouciante jeunesse (careless youth), fournissant ainsi la preuve, s’il en était besoin, de l’in-adéquation du système d’In-éducation Nationale. On remarquera en passant que l’Education, la Gendarmerie et la Loterie portent le même nom de famille, Nationale, ce qui prouve bien ce que je disais plus haut. Puisqu’il est maintenant démontré qu’utiliser c’est manipuler, et que manipuler, c’est déformer, alors, utiliser un verbe, c’est « dire le contraire de ce que l’on voulait dire » (Cf. Walrus Carpenter et Pericoloso Sporghersi : Please excuse my oxymore ).

Poursuivons.
« Si j’ai utilisé le verbe… »
Utiliser un verbe ! Peut-on utiliser un verbe ? A-t-on le droit d’utiliser un verbe ? Et d’abord, qu’est-ce qu’un verbe ?
Ce mot (mais après tout, qu’est-ce qu’un mot ?) est tout d’abord éminemment suspect (suspect) car éminemment biblique et donc réservé aux riches et aux judéo-chrétiens, car même la Bible dit que le Verbe se fait cher.
D’ailleurs, quand on sait qu’il se conjugue, et à tous les temps par-dessus le marché (in summitate supra foro), comment faire confiance à un verbe, mot changeant s’il en est.
Biblique, suspect, versatile et de C.S.P. supérieure, à l’instar de la parole, le verbe doit donc être coupé, sous le pied de préférence (to cut the verb under the foot).

« Si j’ai utilisé le verbe vouloir… »
Tout d’abord, comme vous le concédez involontairement vous-même, vouloir est un verbe, et nous savons maintenant ce qu’il faut penser de cette catégorie de mots. Mais, passons.
Vouloir ! Veut-on vouloir ? Peut-on même vouloir ?
Dans son traité sur la communication qu’il avait audacieusement intitulé « Il n’y a pas d’abonné au numéro que vous avez demandé », Alfredo de La Coda y Los Dos Orejas a déjà prouvé que non (no).
On ne peut donc vouloir. On ne peut qu’être poussé par son instinct, son éducation ou son oncle Jean à souhaiter réaliser de vagues désirs qui ne sont en fait que le reflet du legs mentionné plus haut. Montaigne ne disait pas autre chose quand il déclarait à La Boétie: « Tiens, je reprendrais bien une bière-pression. » Ce qui n’empêchait pas l’autre de lui répondre: « Oui, mais voilà ! On est mercredi ! »
Donc vouloir n’existe pas. On s’en doutait depuis quelques années grâce à la théorie soutenue par Hifiou-Kantlik Zem dans son article « A droite au fond du vouloir » (Magazine de la Sécurité et de la Transcendance, mai 1968).On en est maintenant certain et ce depuis que sa sœur, Johine Zem, l’a définitivement établi avec son magistral « Vouloir, c’est pouvoir ».
Le vouloir n’existe donc pas, c’est le Pouvoir qui existe. Mais « le Pouvoir  sans le vouloir, c’est François Hollande !» a dit Martine Aubry. Selon plusieurs témoins qui souhaitent demeurer dans l’anonymat, elle aurait même ajouté : « Et François Hollande, c’est la fin des haricots ! ( the end of the beans !

Vous serez d’accord avec moi pour dire qu’il est inutile de poursuivre l’analyse critique de votre pensum, le seul examen de ses trois premiers signifiants montrant à l’évidence l’inadaptation flagrante des vocables choisis au propos visé.
Vous comprendrez donc que, sauf à ce que vous n’en revoyiez de fond en comble la formulation et que vous n’en raccourcissiez considérablement la longueur, je ne saurais endosser vos propositions ni même seulement les critiquer plus avant. Pendant que vous y êtes, vous pourriez également faire l’acquisition d’un ordinateur, d’une machine à écrire ou d’une secrétaire, car, l’âge avançant, vos pattes de mouche (gambe di mosca) sont de moins en moins déchiffrables.

Et puis, de toute façon, il faudrait aussi que vous compreniez que j’en ai ras la casquette (up to my neck) de vos élucubrations annotées et référencées et que vous me faites perdre un temps précieux à tenter de leur donner un sens. C’est vrai ça, à la fin !(Quousque tandem abutere, Catilina !)

C’est pourquoi je vous dis aujourd’hui : « Basta cosi ! »

En toute amitié.

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