Archives de catégorie : Récit

Photos-souvenir – 13

 Par Lorenzo dell’Acqua

Bien que son expatriation précoce les privât de leurs petits enfants, les M.  n’eurent qu’à se réjouir de la réussite familiale et professionnelle de leur fils aîné. Il n’en fut pas de même avec leur fille cadette qui ne manifesta aucune appétence pour les études secondaires et en encore moins pour le calcul (comme son Papa). Malgré les conseils avisés de ce dernier  » Tout le monde a eu le bac dans la famille, ça ouvre toutes les portes mais ça ne sert à rien« , C. fut collée une première puis une deuxième fois au Baccalauréat. Ses parents bienveillants l’inscrivirent dans une Ecole de Commerce privée où elle ne resta que peu de temps. Elle leur annonça que désormais elle gagnerait sa vie comme standardiste chez Mc Donald. Elle se lassa de ce métier prometteur mais les rassura à nouveau sur son avenir : elle n’aurait pas besoin de s’inscrire au chômage parce qu’elle avait trouvé un boulot de représentante pour une marque de revêtements de sol. Par la suite, elle changea plusieurs fois d’activité sans jamais s’inscrire au chômage, ce qui rassurait son papa. Un jour où elle déjeunait chez ses parents, elle leur tendit un papier qu’ils lurent avec étonnement : c’était son diplôme du Baccalauréat. « J’ai suivi des cours du soir pour passer cet examen auquel vous teniez tant et je l’ai eu« . Son papa, mon ami M., en eut larmes aux yeux.

La vie de monsieur Gentil était un modèle du genre. A la tête d’une fabrique de jouets, lui et son associé s’étaient organisés pour ne travailler que six mois par an à tour de rôle. Pendant une période de crise économique, et pour un prix dérisoire selon lui, il s’était offert un bateau de croisière de 17 mètres ce qui est très gros d’après les spécialistes. Amarré à Ajaccio, son bateau lui servait de résidence secondaire. Il finit néanmoins par acheter un petit appartement sur le port.

Je confonds Chypre, où je ne suis jamais allé, avec Rhodes qui est la cité médiévale la mieux conservée au monde. Sa Grande Rue en pente bordée de nobles demeures est splendide. Les maisons ont une architecture inhabituelle  avec des niveaux différents. Ce ne sont pas des étages mais un entrelacement de paliers donnant accès aux pièces d’habitation. Cet étrange agencement m’avait rappelé celui de la maison des Liard à Chartres où, par la fenêtre du salon, on voyait au dessus de nous l’allée par laquelle nous étions arrivés. Plus tard, je réalisai que notre maison à La Flotte avait la même originalité.

Mes cousins, Philippe et sa femme Nicole, m’ont fait un des plus beaux cadeaux de ma vie. Un soir où je dînais chez eux, ils avaient quelque chose à me demander mais comme c’était difficile à dire ils préféraient le faire par écrit. Je dépliai le petit papier blanc où l’écriture régulière de Philippe me demandait si j’accepterais d’être le parrain de leur premier enfant. A l’époque de mes quatorze ans, je ne pleurais plus, mais aujourd’hui en écrivant ces lignes et en repensant à mon émotion de ce soir-là, les larmes coulent sur mes joues.

La Commune, la Fronde et la Terreur sont trois tâches que l’Histoire de France a recouvertes d’un voile pudique. La tendance actuelle, mue par des sentiments d’auto culpabilité rétrospective et injustifiée, glorifie les communards. Pourtant, leur idéal libertaire est assez flou et leur comportement criminel ne le mérite guère. Admettons que la Commune, au même titre que la Révolution Française, ait sa place dans les hauts faits à la gloire de l’Homme et de la Liberté. Mais alors, la Terreur et la Fronde devraient s’y trouver aussi. Je ne supporte pas l’injustice de ce – deux poids, deux mesures – et cette discrimination arbitraire.

L’ourcine est un petit restaurant dans la rue Broca où nous étions allés dîner avec Claude et Tanguy. Atteint de la maladie d’Alzheimer peu après avoir pris sa retraite, Tanguy décéda assez vite. De quoi vous décourager de la prendre. C’était un homme gentil et Claude avait eu bien de la chance de le rencontrer. Hélas, elle était déjà trop âgée pour avoir un enfant.

Cinquante ans après, le jour de mes noces demeure le plus beau jour de ma vie. Moi, ce dont je suis convaincu, c’est que si je n’avais pas eu la chance de rencontrer Anne, je ne serais rien. Certains de mes amis prétendent ne pas être  aussi redevables. Les vernissages sont des moments extraordinaires où, comme le jour de mes noces, se rassemblent ceux que j’aime et qui ne se connaissent pas. Des âmes bienveillantes à qui je signalais cette similitude me firent remarquer qu’il en serait de même le jour de mon enterrement.

Dans les années soixante, le Balzar était un des restaurants préférés des psychanalystes. Sa cuisine traditionnelle assez banale ne faisait pas oublier son inconfort. Les psychanalystes en raffolaient et j’étais trop jeune pour en discuter le bien fondé. J’y avais été invité par Francis Pasche, un ami de mon père un peu doctrinaire mais très bienveillant. Je me souviens lui avoir dit :  » Un traitement (la psychanalyse) qui ne guérit que les crédules n’est pas un vrai traitement « . Je me souviens aussi qu’il avait été (un peu) désarçonné …

Dans La Vraie Vie de d’Artagnan de Jean-Christian Petitfils, j’ai appris plein de choses passionnantes ; par exemple, que notre mousquetaire n’était pas béarnais mais gascon, ce qui ne change pas vraiment grand’chose en pratique. Bien qu’il ne se fonde que sur des références historiques rigoureuses, l’écriture de Petitfils est aussi fluide que celle du roman de Dumas. Pour en savoir un peu plus, je suis allé me renseigner sur Wikipédia. Non seulement Petitfils n’est pas historien mais banquier, ce qui m’a étonné, et il est académicien, ce qui m’a beaucoup moins étonné. Je découvris grâce à lui que la vie du vrai d’Artagnan avait été elle aussi un véritable roman.

La classe de Sean Connery m’a toujours fasciné. Un vrai gentleman écossais,  élégant et insensible aux flatteries. Dans sa jeunesse, il n’avait pourtant pas ce charme et il n’était même pas beau. Comme le bon vin, il n’a cessé de s’améliorer avec le temps ce qui n’est pas si fréquent. L’anecdote suivante prouve aussi son humour. Au début du mouvement féministe me-too, il voulut porter plainte pour avoir été harcelé toute sa vie par … les femmes !

Bien qu’elle n’ait pas le moindre rapport avec mon projet, je vous livre cette magnifique enseigne qui n’est pas celle d’un café mais qui pourrait être la première d’une nouvelle série !

Lorenzo dell’Acqua

 

 

 

 

AVENTURE EN AFRIQUE (14)

Boubon

Notre première sortie avec Chantal, en immersion dans la brousse, a été notre visite à Boubon chez Illiassou Ibrahima. Le village de Boubon est situé entre la RN1 et le fleuve Niger à une quarantaine de kilomètres en amont de Niamey, en pays Djerma. Nous avions stationné notre 2CV en bordure du village et sommes entrés à pied dans les ruelles à la recherche de la case d’Illiassou. Il était rare que des Blancs s’arrêtent à Boubon. Les enfants semblaient inquiets en nous apercevant. Peu de personnes parlaient le français à Boubon. Après quelques investigations, nous avons trouvé Illiassou à qui nous nous sommes présentés. Continuer la lecture de AVENTURE EN AFRIQUE (14)

AVENTURE EN AFRIQUE (13)

Chantier de Lossa (suite)

Un matin nous avons chargé la pirogue comme à l’habitude avec notre matériel et deux bornes de 80 kg. Au milieu du fleuve, une jointure entre deux planches, étanchées avec de la fibre végétale,  commença à fuir. Malgré nos efforts pour écoper sans relâche, la situation s’aggravait et nous n’arrivions plus à évacuer toute l’eau. Arrivés à grand mal sur la berge de l’ile, nous eûmes juste le temps d’évacuer l’embarcation avec une partie du matériel… et la pirogue sombra avec une borne dans 1,5m d’eau. Le piroguier faisait grise mine. Nous avons travaillé toute la journée en bordure du fleuve. Nous nous interrogions sur notre retour. De plus, il y avait une faune importante et de temps en temps nous dérangions un caïman qui se glissait dans le lit de la rivière, ce qui n’avait rien de rassurant. À la fin de la journée pas de pirogue en vue. Il nous fallait donc envisager à traverser  par nos propres moyens. Nous avons repéré un gué, par lequel Continuer la lecture de AVENTURE EN AFRIQUE (13)

La cena di Pisa (2/2)

(…) Avec des gestes rapides mais précis, elle découpa la jupe, l’ôta du goulot et enfonça le sommelier dans le bouchon. Quand elle l’eut extrait sans un bruit, elle porta le bouchon près de son nez. Nous étions silencieux, attentifs, recueillis. Nous nous attendions à devoir désigner celui de nous trois qui devrait procéder avec componction à la première dégustation du Barolo et, après les simagrées d’usage, autoriser la sommelière à nous servir. Mais la jeune femme saisit de sa main gauche le verre qu’elle avait placé au milieu de la table et, de sa main droite, elle renversa la bouteille à la verticale au-dessus du verre, faisant glouglouter vivement le vin dans le goulot.

 2/2

J’avais déjà eu l’occasion d’observer cette énergique méthode de verser le vin dans un restaurant parisien connu pour le prix littéraire qu’on y décerne chaque année. Le sommelier à qui j’en avais fait la remarque m’avait assuré que c’était une excellente façon d’aérer le produit. Soit ! Notre sommelière aérait le produit. Elle l’aéra même en une telle quantité, que j’estimai alors à une quinzaine de centilitres, que le cinquième du contenu de la bouteille se trouvait à présent dans son verre. Tous les trois, ébahis, nous regardions faire la spécialiste. Elle porta le vin à ses lèvres, en but très peu, fit toutes les grimaces qui sont d’usage quand il s’agit de gouter un vin et prononça comme pour elle-même deux mots que je reconnus sans peine : è buono. Puis, changeant de ton, elle lança vers le fond de la salle quelque chose comme : « Eh ! Alfredo ! … blablabla… Barolo ! »

Un homme apparut dans l’encadrement de la porte de la cuisine. C’était Alfredo, sans aucun doute, le patron de l’établissement : plutôt enveloppé, petit et rond, moustachu vif et souriant, il me fit penser au regretté Dario Moreno. Sur un pantalon noir, il portait Continuer la lecture de La cena di Pisa (2/2)

La cena di Pisa (1/2)

Comme vous n’allez pas tarder à le constater, ce récit ne présente aucun intérêt. Mais, bon…

1/2

La chose s’est passée vers la fin de l’année 2003.
Le voyage entre Paris et Pise avait été difficile.
Ça avait commencé avec un violent orage qui avait inondé une partie de l’autoroute du Nord, provoquant un remarquable embouteillage. C’était justement l’heure où se rendent à Roissy ceux qui ont un rendez-vous le lendemain matin à 8 heures en Italie, la même que celle où les rurbains essaient de rentrer chez eux avant la fin des Chiffres et des Lettres, cette émission dont on célèbrera bientôt les soixante années d’existence et dont la folle ambiance n’est pas sans rappeler celle du journal du soir de la télévision soviétique des années Brejnev.
J’étais donc arrivé très en retard à CDG, mais le même orage ayant retardé le décollage de notre avion, je fus admis à y monter. J’y retrouvai mes deux clients, assureur et courtier, deux hommes que sincèrement et sans flagornerie — franchement, quel intérêt y trouverais-je à présent ? — je qualifie encore aujourd’hui de sympathiques.

Ça a continué avec le vol, plutôt agité, car il n’y avait pas que sur Paris qu’en ce début de nuit de la mi-novembre, le temps était orageux. Nous fûmes soigneusement secoués jusqu’après les Alpes, mais nous nous posâmes à Pise par un temps calme sous une voûte glaciale et étoilée.
Pendant le vol, et malgré les trous d’air, nous avions parlé de l’Italie, de la cuisine italienne et des vins italiens et, je dois dire, parfois avec émotion. J’avais même brillé en mentionnant un vin fameux, ignoré de mes deux compagnons, le Barolo.
Le Barolo est un vin du Piémont, un excellent vin, très Continuer la lecture de La cena di Pisa (1/2)

Photos souvenirs – 11

Retour aux souvenirs photos de Lorenzo : 

Difficilement et avec l’aide du temps, nous avons fini par faire nos courses rue Mouffetard à deux pas de chez nous. Elle remplaça, sans jamais la supplanter, la rue Daguerre de nos jeunes années quand nos enfants étaient petits. Au début de son séjour à Paris dans les années vingt, Hemingway vécut dans ce quartier, au 74 de la rue du Cardinal Lemoine. Une plaque commémorative sur la façade de l’immeuble nous le rappelle.

Les Hemingway vivent dans ce petit deux pièces rue Cardinal Lemoine de 1922 à 1923. C’est dans Continuer la lecture de Photos souvenirs – 11

Les chiens de Téhéran

Le premier texte paru dans le Journal des Coutheillas le 26 novembre 2013 avait pour titre « Ma table de travail ». Mais ce n’était pas le premier que j’aie jamais écrit. (Il y a peut-être ici un problème de subjonctif). Celui qui vient ci-dessous a été publié une première fois il y a huit ans. C’est mon premier texte . Prometteur, non ? 

C’est la mi-octobre et la guerre du Kippour vient de commencer. L’Iran de Reza Chah Pahlavi n’est pas engagé dans le conflit, mais, en tant que pays musulman et pour sa propre paix intérieure, il a choisi son camp et fait semblant d’encourager quelques manifestations anti-israéliennes dans Téhéran.
Il doit être une heure du matin. Il fait bon dans les quartiers nord de la ville. A cette heure, tout y est largement éclairé, calme et même désert.
Je viens de passer la soirée avec une jolie jeune femme. Elle est la secrétaire d’un membre de la famille impériale, iranienne par son père, blonde par sa mère, russe. Nous avons diné dans ce restaurant, russe également, Chez Léon, et continué la soirée dans la boite de nuit du Hilton. Je ressors les balais d’essuie-glace du coffre de sa petite voiture, une Pekan, et je la reconduis chez elle. Je suis content de ma soirée et ma douce euphorie me pousse à rentrer à pied jusqu’à mon hôtel : peut-être une demi-heure de marche selon un itinéraire qui sera facile dans cette partie moderne de la ville.
Je marche le long d’une large avenue où passent de temps en temps une voiture de la police ou de la SAVAK. Elles ralentissent pour m’observer puis reprennent leur croisière en faisant ronfler leur huit cylindres.
En regardant s’éloigner l’une de ces voitures fantomatiques, je m’aperçois qu’un chien me suit. Il reste à une vingtaine de mètres derrière moi. C’est un animal plutôt jaune, de taille moyenne et d’une race imprécise. Je me retourne et m’avance lentement vers lui en lui parlant d’une voix douce. Il ne gronde pas et son poil reste lisse sur son dos, mais il recule d’autant que j’avance.
Je reprends ma promenade. Il reprend la sienne, mais je remarque qu’il a réduit de moitié la distance qui nous sépare. Bientôt, arrivent de l’obscurité d’une rue adjacente un autre chien qui se joint au premier, puis deux, puis trois. Il en vient de tous les côtés, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. La bande qui s’est formée trottine allègrement derrière moi en conservant la distance. Je m’étonne que les chiens ne se battent pas entre eux et restent silencieux. Je ne me sens pas menacé, mais je juge plus prudent de ne pas m’arrêter comme la première fois.
Lorsque j’arriverai devant l’Imperial Hotel, la bande comptera bien une douzaine de chiens. Il me restera alors à franchir les vingt mètres de l’allée qui, à travers le jardin privé, mène jusqu’à la porte de l’hôtel.
Arrivé au seuil du lobby, je me retourne. Les chiens se sont arrêtés par petits groupes sur le trottoir de l’avenue. Certains se sont assis. Ils me regardent presque tristement, avec un air de reproche : je les laisse tomber.
Aujourd’hui encore, je me demande la raison de cette procession à travers la ville. Est-ce que cette meute croyait que j’allais lui donner quelque chose à manger ? Est-ce que ces chiens espéraient un quartier plus favorable pour me mettre en pièces ? Était-ce par amitié ou simplement pour passer le temps ?
3 chiens

 

Le taxi

7 janvier 2022

De trois quart arrière, à moitié dissimulé par un masque chirurgical, j’ai du mal à voir son visage. Quand je lui ai dit où j’habitais, il m’a répondu qu’il connaissait. Il a un accent marqué mais indéfinissable. C’est mon chauffeur de taxi. Il va me faire traverser une bonne partie de Paris.
Il est midi et demi et la circulation est dense mais encore fluide. Je me suis enfoncé tant que je pouvais dans mon siège Toyota Prius et me suis préparé à somnoler jusqu’aux abords de la Montagne Sainte Geneviève.

Un coup de frein et j’ouvre un œil sur la rue du Faubourg du Temple. Devant nous, d’une voiture arrêtée en double file, une grosse femme encombrée de cabas descend péniblement du côté de la circulation. Sa portière largement ouverte Continuer la lecture de Le taxi

AVENTURE EN AFRIQUE (12)

Chantier de Lossa

Lossa est l’un des grands chantiers sur lequel nous sommes intervenus. Lossa est une île importante située entre deux bras du fleuve Niger à une vingtaine de kilomètres en amont nord-ouest de Niamey. La RN n°1, route qui rejoint le Mali, nous permettait de nous y rendre. Les travaux topographiques de la première tranche supervisés par Michel Granges n’ont posé aucun problème : le fond de plan et le projet était très rigoureux. J’ai écrit sur le « récapitulatif des travaux » : « Implantation de 19 stations de pompage. Chaque station de pompage a été matérialisée par une borne placée à 5 m en retrait, par rapport à la dalle supportant la pompe et dans l’axe de la conduite principale. Ces bornes étant ensuite nivelées. Cette implantation s’est basée sur les bornes existantes posées lors du relevé topographique mais l’état de certaines (fer à béton entouré d’un peu de ciment) se trouvant quelquefois à plusieurs mètres de leur position initiale, quand elle n’avait pas disparu, n’ont pas facilité la tâche des géomètres » !.

Je poursuis la lecture de mon mémoire : « de gros problèmes de déplacement, de transport de matériel, tout se faisant avec des pirogues souvent en piteux état, ont ralenti la marche des travaux mais laisseront de pittoresques souvenirs. Il serait donc souhaitable de doter la section d’une petite embarcation à moteur car l’implantation en 1974 des 20 000 mètres-linéaires de conduite se fera avec les mêmes moyens et demandera plusieurs mois de travail sur place ». C’est cette partie que je vais développer… les trajets et les interventions à Lossa avaient bien souvent leur lot de surprises.

L’une des première fois où, avec la section topo nous nous sommes rendus à Lossa, au environ de Boubon j’ai aperçu dans la brousse, non loin de la route, des girafes habituellement si difficiles à voir dans leur tenue de camouflage malgré leur taille. C’était un belle première rencontre.

L’accès à l’île de Lossa se faisait à partir du village de Sona où il existait un gué d’une longueur d’environ 200 m. Un matin, comme à l’habitude, nous présentons la Land Rover chargée au droit du fleuve, les roues avant au raz de l’eau. La profondeur n’était en général que de quelques dizaines de centimètres. Mais ce jour-là le niveau semblait plus haut. Mamoudou me dit « on n’y va patron, enlève tes chaussures ». J’obéis à l’ordre dubitatif. Mamoudou enclencha la première lente et je sentais le véhicule descendre doucement dans le fleuve. Dans le plancher il y avait de petits trous par lesquels l’eau commençait à gicler. L’eau trouble montait dans l’habitacle, je ne voyais plus mes chevilles : « il faut bien laisser la voiture se remplir pour ne pas être emporté par le courant » rajoute-t-il. Mamoudou ne voyait plus ses pédales, j’avais le pantalon trempé jusqu’au slip. Nous avons continué à rouler jusqu’à remonter sains et saufs sur la berge opposée. Cela a été pour moi une expérience assez impressionnante ! Et je dois bien avouer que ce jour pendant mon travail j’ai guetté toute la journée le niveau du fleuve, pensant au retour !

La semaine suivante, nous nous sommes retrouvés au même endroit face au fleuve. Il me semblait que l’eau avait encore monté. Je demandais à Abdou Kondo qui est à l’arrière de la voiture et savait nager : «  mets-toi à l’eau en face de la voiture et avance dans le fleuve, nous allons voir si ça passe ! ». Au bout d’une trentaine de mètres Abdou Kondo en avait jusqu’aux épaules. Alors qu’ici la pluie ne s’était que peu présentée, il avait dû bien pleuvoir sur la Guinée ou le Mali ce qui avait gorgé le cours d’eau. Il n’est pas question de traverser en voiture. La solution était : la pirogue. Nous avons trouvé non sans mal un piroguier et sa pirogue. Après avoir négocié le tarif, nous avons chargé l’embarcation pour atteindre la rive opposée. Nous avions préposé également le piroguier pour assurer le retour du soir.

En prévision des interventions suivantes, j’avais confié la réservation de pirogues au Génie Rural. Le nécessaire a été fait par voie de réquisition. À chaque intervention nous avons donc un piroguier et sa pirogue qui nous attendaient au lever du jour. La première fois, la pirogue se trouvait à proximité du lieu où des femmes et des jeunes filles faisaient leur toilette matinale entièrement nue. À notre approche elles s’étaient éloignées. Au fur et à mesure de nos interventions elles s’étaient habituées à notre présence. Nous faisions partie du paysage. Elles ne s’éloignaient plus et se trouvent régulièrement à proximité de l’embarcation. Ces femmes nues, ruisselantes, ayant de l’eau jusqu’à mi mollet, brillaient, éclairées par les rayons du soleil levant : c’était un grand spectacle. Je me suis risqué à sortir mon appareil photo. À peine saisi en main, elles faisaient disparaître leur corps et il n’y avait plus que leurs visages rayonnants qui sortaient de l’eau. Leçon de pudeur et aussi confiance. J’avais le droit de graver ces images dans ma mémoire mais pas la possibilité de les partager plus tard avec d’autres.

Au bout de quelques temps, nous nous étions “apprivoisés” et il leur arrivait de nous aider par exemple à rééquilibrer la position d’une borne dans notre embarcation. Parfois aussi, lorsque nous nous installions dans la pirogue avec le matériel, elles nous poussaient pour la mise à l’eau. Au fils des interventions, le jeu s’était invité. Parfois, une véritable bataille navale commençait, tout d’abord par des éclaboussures, nous étions presque sans défense. Puis cela s’amplifiait dans de grands éclats de rires. Nous arrivions alors à leur échapper, avec peine, mais entièrement mouillés et obligés d’écoper l’eau dans le fond de la pirogue. Un grand moment de partage et d’humour. Cela éclaire sur le caractère hospitalier et bon vivant de ces nigériennes. Le souvenir de ces baigneuses noires du petit matin a été magnifié dans ma mémoire au fil du temps.

A SUIVRE 

Bientôt publié

Aujourd’hui, 16:47 Dernière heure : Kiev, Lille, Marseille…
Demain, 07:47 Fragile des bronches – Critique aisée 226
28 Fév, 16:47 Rendez-vous à cinq heures à bord du Goncourt
1 Mar, 07:47 Esprit d’escalier n°33
1 Mar, 16:47 Rendez-vous à cinq heures : I got a woman

AVENTURE EN AFRIQUE (11)

temps de lecture : 4 minutes 
Louis-Henri MOUREN

Un personnage.

Mouren comme tout le monde l’appelait, a été le pharmacien patron de Chantal, véritable sosie de John Wayne. Lorsque nous l’avons connu il n’était plus derrière le comptoir de ses pharmacies de Toulon ou de Niamey. Contiguë à la pharmacie sur la place du Grand Marché à Niamey, il y avait l’agence de voyages la Croix du Sud, puis le magasin de photos et d’optique Continuer la lecture de AVENTURE EN AFRIQUE (11)