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L’homme au mois d’août

Morceau choisi

(déja publié il y a 6 ans… Vialatte, on ne le republiera  jamais assez.)

A l’entrée d’une chronique consacrée à Georges Simenon, Alexandre Vialatte écrivait ceci (à déguster lentement, les yeux fermés, si possible ; si, si, c’est possible, il n’y a qu’à vous le faire lire par un ou une amie) :

L’homme, au mois d’août, s’évade de ses logements cubiques pour retrouver à la campagne les maisons inconfortables du bonheur. Un vieux lilas pousse dans le jardin, une guêpe bourdonne autour des roses, le vin rafraîchit à la cave, on s’assomme contre une poutre en montant au grenier. En revanche, on y trouve un Montesquieu complet, un Balzac en quarante volumes, trente ans de l’Illustration ou de la Revue des Deux Mondes, des livres de prix à tranches d’or aux pages tachées de mouillures jaunâtres dont l’odeur fait partie de l’histoire (l’histoire ne serait pas la même si le livre avait une autre odeur).

 

Simenon, l’homme sans style

Morceau choisi

Georges Simenon est mort il y a trente et un ans à l’âge de 83 ans. Il fut un écrivain d’une prolixité et d’une diversité exceptionnelle : cent quatre-vingt-treize romans, cent cinquante-huit nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages publiés sous son propre nom, cent soixante-seize romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous vingt-sept pseudonymes (source: Wikipédia).
Voici ce qu’Alexandre Vialatte écrivait sur le style de Simenon, l’homme sans style :

Simenon est un cas dans la littérature. C’est même un de ses monstres sacrés, bien que la chose lui fasse de la peine. Or, la littérature commence, et même finit, au style. À la façon dont on raconte, non à la chose qui est racontée. Lisez Chardonne, ou Paul Morand ou Saint-Simon. Pas une phrase d’eux qui ne soit signée. On ne confond pas. Lisez une phrase de Simenon ; elle pourrait être de tout le monde. De tout le monde et de n’importe qui (à condition que n’importe qui n’imite personne). Et c’est quand même un très grand écrivain. Ce problème m’a toujours troublé. Voilà un homme qui a Continuer la lecture de Simenon, l’homme sans style

Écrire comme tout le monde

Morceau choisi

(…) Il en va de lui (Simenon) comme, en peinture, de Dubuffet, qui dit : « Il faut peindre comme tout le monde », et qui répond, quand on lui objecte qu’il peint justement comme personne ne le fait : « C’est parce que je suis le seul à peindre comme tout le monde. » Simenon est le seul à écrire comme tout le monde. Mais, avec sa phrase de tout le monde, il se bâtit un monde à lui, qui ne ressemble à celui de personne. C’est le propre du grand artiste.
(…)
Quant à sa phrase, si elle est neutre, elle n’est pas plate. Elle se méfie simplement de l’éloquence, du pittoresque personnel. « Prend l’éloquence et tord lui son cou », disait Verlaine. « Pas de pittoresque », dit Chardonne. Et Stendhal prenait Continuer la lecture de Écrire comme tout le monde

Mauvaise nouvelle

Il faut déplorer que l’année commence par une mauvaise nouvelle : M. Mamadou Rodolo, qui est le président du syndicat des sorciers de l’Afrique du Sud, vient d’augmenter fâcheusement ses tarifs : il demandera trois livres pour rendre intelligent, quatre livres pour envoyer au ciel et cinq livres pour rendre amoureux. L’intelligence va disparaître et personne n’ira plus au ciel : on n’y trouvera que des nouveaux riches.

Alexandre Vialatte, chronique 659 du 28 décembre 1965

 

Alexandre aime Winston

Morceau choisi
Je partage beaucoup de choses avec Alexandre Vialatte : le goût de la belle phrase, celui du mot désuet, l’amour de l’absurde, celui du décalage, le besoin de subjonctif, une irrépressible envie de toujours revenir aux syntagmes figés, seule façon de dire toujours des choses justes, une intolérable modération, une tolérance modérée…En tout cela, Vialatte excelle. Je ne fais que m’y exercer.

Alexandre et moi, nous partageons aussi une peu commune admiration pour Winston Churchill. Pour le prouver, j’ai soigneusement retapé ci-dessous de ma main les premières lignes de la chronique de Vialatte parue le 23 novembre 1954 dans La Montagne, juste pour vous les faire partager à mon tour :

M.CHURCHILL

Quand les ailes de la Luftwaffe cachèrent le soleil aux Londoniens qui restaient seuls en face d’une armada préparée pour couvrir l’Europe, une voix sans visage s’éleva sur le monde entre deux fritures de radio. Elle disait : « Dans cette ville de Londres que M. Hitler prétend pulvériser, nous attendons l’invasion promise. Les poissons aussi. M. Hitler est en train d’attirer sur sa tête un châtiment que nous verrons de notre vivant. Nous sommes sur sa piste. Bonne nuit et dormez bien… »

Cette voix était celle de Churchill. Depuis ce jour-là, pour tout Français, M. Churchill est une espèce d’ami d’enfance. Car il n’y a rien de plus réconfortant que de voir la vieille miss dont le cou déplumé se trouve déjà à moitié tordu dans la griffe de l’immonde satyre, brandir son ferme parapluie en déclarant : « Attends un peu, petit polisson. » Une réaction si saine et si réjouissante présage les plus heureux lendemains. M. Churchill inscrivait dans l’Histoire un mot qui ne s’oubliera jamais. Il y ajoutait, avec ses petits poissons, je ne sais quelle fleur de gentillesse qui signe une pensée d’artiste. Il recevait l’Histoire mondiale avec la grâce d’un maître de maison. (Car il ne suffit pas d’être sublime, il faut encore empêcher que ça se remarque. La gentillesse est le tour de force qui fait pardonner la vertu.)

Churchill disait encore : « Nous ne fléchirons ni ne faillirons. Nous nous battrons dans les rues, dans les champs, nous nous battrons sur les collines et sur les grèves. » Il ajoutait en aparté, bouchant le micro : « A coups de bouteilles ; car nous n’avons guère autre chose. » De tels discours relèvent de la ténacité. A cette échelle, elle sauve le monde.

Réforme de l’orthographe

Un même souci d’économie avait conduit Alphonse Allais, qui a tout prévu, à une réforme de l’orthographe qui réjouira tous les partisans de la simplification du français :  » Si l’on admet, faisait-il dire à M. Bollack, inventeur de la Langue Bleue, que les quarante millions de Français n’écrivent chacun que dix  e muets  par jour, et qu’il faille une seconde pour écrire ou composer chaque lettre inutile, ce sont quatre cent millions de secondes perdues quotidiennement, soit plus de six millions de minutes, soit cent mille heures. En calculant l’heure de travail à cinquante centimes, c’est exactement comme si la France perdait chaque année dix-huit millions de francs. Si l’on ajoute à ce calcul le prix de l’encre et du papier gâché inutilement, l’on arriverait au revenu du capital de plus d’un milliard. Un milliard ! Vous avez bien lu !  »
Voilà une bonne réforme à faire.

Alexandre Vialatte, chronique du 10 janvier 1971