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Morceau choisi
La vie en Europe et mes rapports avec les hommes avancés et les savants européens m’affermirent de plus en plus dans cette croyance au perfectionnement en général qui avait été la mienne et que je retrouvais chez eux aussi. Cette croyance prit en moi la forme habituelle, celle qu’elle revêt chez la majorité des gens instruits de notre temps. Elle s’exprimait par le mot « progrès ». Il me semblait alors que ce mot signifiait quelque chose. Je ne comprenais pas encore que, tourmenté comme tout homme qui pense par cette question : Comment dois-je vivre pour vivre le mieux possible ? et y répondant : Vivre en accord avec le progrès, je répondais exactement comme un homme dont la barque est emportée par les vagues et qui à cette question essentielle et unique pour lui : « ou faut-il se diriger ? » répondrait indirectement : « les vagues me portent là-bas ».
Tolstoï – Ma confession (1880)
Mon père disait : « De temps en temps, il faut laisser flotter les rubans ». Comme Tolstoï sans doute, il voulait dire que parfois, il était bon de se laisser porter, de ne pas intervenir, que l’avenir, le progrès, la science, la chance feraient probablement bien les choses. Pourtant, comme tous ceux de sa génération, il avait connu deux guerres. Après tout, c’était peut-être ce qui l’avait rendu ainsi, optimiste.
Mais ça, c’était hier.
Nous qui n’avons connu que la paix, le progrès, la raison et le droit, nous n’avons aucune raison d’être optimistes.