Archives de catégorie : Récit

Pagnol, Raimu et la Western Electric

Cet article a été publié une première fois le 30 juin 2016.

En 1929, Marcel Pagnol écrit sa quatrième pièce de théâtre, Marius. C’est un très gros succès. Le rôle de César est tenu, bien entendu, par Raimu.

La même année, Pagnol rencontre Bob Kane, patron de la succursale française de la Paramount, et devient son ami. Il découvre le cinéma parlant et décide de devenir réalisateur. Devant le succès de Marius qui est joué depuis deux ans, Bob Kane veut tourner un film d’après la pièce, mais avec des acteurs de cinema. Pagnol le convainc de garder la troupe de théâtre. C’est Alexandre Korda, réalisateur autrichien de talent, qui met le film en scène.

Dans « Cinématurgie de Paris », Pagnol raconte cette scène (que je vous conseille de lire avec l’accent) :

Le premier jour, un soundman fit son apparition sur le plateau : il sortait de la villa du Mystère, où tournaient en silence les dérouleurs de la Western Electric. Il vint vers moi, et me dit d’un ton décisif :

— Il est impossible d’enregistrer la voix de Raimu.

— Pourtant, dis-je, il a déjà fait plus Continuer la lecture de Pagnol, Raimu et la Western Electric

O Jornal do Recife

Première publication : janvier 2015

Août 1966
Nous venons de sortir du DC4 de la VASP qui effectue chaque jour la liaison Bahia-Recife. Plus de six semaines déjà passées au Brésil nous ont enseigné certaines précautions. C’est pour cela que, en attendant l’autocar qui doit nous emmener en ville, nous restons trois ou quatre à monter la garde autour de nos bagages rassemblés dans le hall de l’aérogare et à écarter comme on chasserait des mouches les porteurs et colporteurs qui tournent autour de nous, tandis que le reste de notre bande envahit les boutiques de souvenirs.
Le bus arrive enfin avec à son bord le directeur local de l’Alliance Française. C’est un homme jeune, charmant et efficace. Il n’est en poste que depuis un an, mais nous constaterons très vite qu’il connaît beaucoup de monde et qu’il est très apprécié.

Comme d’habitude, l’hôtel, bien que de catégorie moyenne, est situé en bord de mer. La plage est immense. C’est marée basse. Le temps est grisâtre, la température douce et la foule du samedi après-midi est là. Elle semble divisée Continuer la lecture de O Jornal do Recife

Renoir et le Luxembourg

L’autre jour, c’était dimanche, c’était l’été. Il faisait beau, mais beau comme au printemps, beau comme il fait souvent à Paris quand il fait beau, une vingtaine de degrés au dessus de zéro, un petit vent de sud-ouest de force 1, un joli ciel d’Ile de France, un ciel de papier peint pour chambre d’enfant, un ciel bleu ciel constellé de petits cumulus potelés d’un blanc immaculé.

Il était un peu plus de deux heures de l’après-midi et, comme je descendais la rue Gay-Lussac à la recherche d’un endroit où me poser pour écrire un peu, j’entendis monter au loin une musique. Elle devint bientôt joyeuse et rythmée, pleine de cuivres et de tambours. « C’est sans doute une de ces fanfares, me dis-je, un de ces groupes d’étudiants qui animent souvent les trottoirs du Quartier Latin, à la manière de leur mère à toutes, la Fanfare des Beaux-Arts. »

Je me dirigeai vers le bruit qui montait de la Place Edmond Rostand en me disant que les musiciens devaient se trouver, comme souvent, à l’entrée du jardin du Luxembourg. C’est un endroit que ces fanfares aiment bien, et moi, j’aime bien ces fanfares. Ils sont en général sympathiques, ces jeunes gens, habillés de marinières pour les garçons et de robes froufroutantes pour les filles, pleins d’entrain, souriants et peu agressifs quand il s’agit de Continuer la lecture de Renoir et le Luxembourg

Photos souvenirs – 4

Lorenzo poursuit son pèlerinage des bistrots évocateurs de souvenirs

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, aller à confesse dans l’église glaciale de Montrouge fut tout au long de ma jeunesse un voyage au bout de la nuit épouvantable. La pénombre, le froid et une odeur infecte se mêlent pour expliquer ce mauvais souvenir qui ne relevait pas de la confession elle-même, formalité automatisée où je Continuer la lecture de Photos souvenirs – 4

Photos souvenirs – 3

Lorenzo poursuit son pèlerinage des bistrots évocateurs de souvenirs

Ce nom me fait penser à la petite serveuse de la brasserie rue du Bac où nous allions déjeuner après nos visites au Musée Maillol. Comme elle avait décidé de retourner vivre à La Forêt Fouesnant, son pays d’origine, elle avait logiquement sympathisé avec mon ami Francis, natif du même endroit, ce qui n’avait pas plu à son épouse. Il me vient bien d’autres souvenirs de la Bretagne, pas de la grande que Continuer la lecture de Photos souvenirs – 3

Dans l’autobus

Paris, le 17 juin 2021

Tôt ce matin, j’ai pris le bus, le 83 pour être précis. Où j’allais n’est pas le sujet. Toujours est-il que compte tenu de la chaleur prévisible, je m’étais habillé léger. Léger, mais chic quand même.

Je portais, enfoncée sur le crâne, une élégante casquette de coton « bloudjine», très usagée, toute avachie, ce qui lui donne l’air d’avoir été marchandée il y a vingt-trois ans à Santa Barbara et depuis, portée partout à travers un monde de soleil et de loisirs ; bref, et comme dit le gigolo de sa bienfaitrice, elle n’est plus toute jeune, et même un peu avachie, mais c’est comme ça que je les aime.

(Comme ça, on dirait un poisson, mais c’est vraiment une casquette)

Sur les yeux, de très sombres lunettes de soleil dessinées par Continuer la lecture de Dans l’autobus

Le Cujas (67)

Chapitre 10 – Dashiell Stiller
Première  partie

Debout au milieu de sa chambre, Dashiell regardait le Suédois qui lui tendait la main. Le Suédois souriait et Dashiell restait planté là, indécis. Fallait-il saisir sa main comme si de rien n’était ou bien lui tourner le dos et le laisser partir sans un mot ? Il était fatigué, tendu, frustré. Il en avait assez de supporter les brusqueries et les menaces d’Engen sans réagir. Mais justement, comment réagir ? L’homme était coléreux, il l’avait montré à plusieurs reprises. Il pouvait être dangereux, il l’avait fait comprendre. Alors pourquoi relever cette dernière menace — car c’en était une, à peine voilée ?  Pour le plaisir de le défier ?  Pour lui montrer que finalement, Dashiell n’était pas ce jeune homme effacé qu’il avait ballotté à sa guise ? A quoi bon ? Cela changerait-il l’opinion qu’il s’était faite de lui qu’il lui refuse la main tendue ? Pour Engen, il ne devait être qu’un pantin impressionnable et docile, un pion qu’on pouvait pousser dans un sens ou dans un autre pour parvenir à ses fins. Alors, pourquoi Dashiell voudrait-il Continuer la lecture de Le Cujas (67)

Photos souvenirs – 2

Lorenzo poursuit son pèlerinage des bistrots évocateurs de souvenirs


Celui-là, je ne le connais pas et il ne me rappelle rien du tout mais les œuvres de Misstic fleurissent par bonheur les rues de Paris enlaidies par la Maire Hidalgo. Je ne sais pas quand elle a fait ce pochoir mais il est d’une actualité effrayante. Quant au nom du café, il me rappelle ce dessert que nous faisait jadis une amie qui ne savait faire que celui-là. Elle avait réussi à nous en dégoûter à jamais.

Extrait de Wikipédia : Un plat salé similaire peut être réalisé avec de la viande de bœuf ou de mouton. Dans ce cas, la recette ne comporte pas de sucre. On peut aussi cuisiner ce plat avec des courgettes, du bacon et du parmesan. La pâte est alors au parmesan, à la farine, à la chapelure, avec une pincée de paprika et une gousse d’ail écrasée. Continuer la lecture de Photos souvenirs – 2

Ne nous fâchons pas !

Un petit incident que j’ai vécu tout récemment m’a rappelé cette excellente comédie de Georges Lautner que fut « Ne nous fâchons pas ! » et dont je donnerai bientôt un extrait dans un rendez-vous à cinq heures.  Voici la chose :

L’autre dimanche, c’était tôt dans l’après-midi, du côté de l’Institut. Il faisait nuageux avec éclaircies, sans chaleur ni averse annoncée. Comme le confinement l’exigeait, les restaurants, les cafés, leurs terrasses étaient fermés. De ce fait, probablement, un grand concours de badauds se pressait dans les rues, sur les quais et sur les berges de la Seine.

Moi-même, j’arrivais sur le Quai Malaquais — j’aime beaucoup ce nom, Quai Malaquais, pas vous ? — par la rue Bonaparte. Mon intention première était de traverser les voies de circulation pour me rendre sur le Pont des Arts qui, ce jour-là, se trouvait un peu plus loin sur ma droite. Sur la chaussée, les automobiles, très nombreuses, n’avançaient que par à coup — on ne dit pas pas à pas pour une automobile. Le petit bonhomme était rouge, donc il n’était pas question de traverser, ni pour moi, ni pour Continuer la lecture de Ne nous fâchons pas !

Mexican Hat

Première diffusion : Juin 2014

La carcasse d’un petit hélicoptère plantée sur l’auvent de la station-service Chevron donnait une impression bizarre d’après cataclysme, au contraire de la salle de restaurant, bleue pâle et fraîche, qui faisait plutôt penser à une impeccable clinique. Nous y avons déjeuné d’œufs avec leur côté ensoleillé sur le dessus, de lamelles de lard fumé, de frites françaises et de salade de choux râpés. Puis, nous avons quitté Bluff et déposé les garçons au bord de la rivière San Juan. Nous les avons regardés s’embarquer à bord de radeaux pneumatiques qui descendront tout à l’heure les gorges de la rivière tumultueuse jusqu’à Mexican Hat.
Quant à nous, les parents, nous avions décidé de rouler au hasard dans cette partie quasi désertique et sauvage du sud de l’Utah. J’aime ces paysages jaunes, roses ou rouge brique, scandés par des rochers aux formes de dieux assis, découpés par de brusques canyons que franchissent des arches naturelles  et que parcourent des filets d’eau café au lait.
Entre deux forêts de petits sapins clairsemés, la route 261 file vers le sud, toute Continuer la lecture de Mexican Hat