Pagnol, Raimu et la Western Electric

Cet article a été publié une première fois le 30 juin 2016.

En 1929, Marcel Pagnol écrit sa quatrième pièce de théâtre, Marius. C’est un très gros succès. Le rôle de César est tenu, bien entendu, par Raimu.

La même année, Pagnol rencontre Bob Kane, patron de la succursale française de la Paramount, et devient son ami. Il découvre le cinéma parlant et décide de devenir réalisateur. Devant le succès de Marius qui est joué depuis deux ans, Bob Kane veut tourner un film d’après la pièce, mais avec des acteurs de cinema. Pagnol le convainc de garder la troupe de théâtre. C’est Alexandre Korda, réalisateur autrichien de talent, qui met le film en scène.

Dans « Cinématurgie de Paris », Pagnol raconte cette scène (que je vous conseille de lire avec l’accent) :

Le premier jour, un soundman fit son apparition sur le plateau : il sortait de la villa du Mystère, où tournaient en silence les dérouleurs de la Western Electric. Il vint vers moi, et me dit d’un ton décisif :

— Il est impossible d’enregistrer la voix de Raimu.

— Pourtant, dis-je, il a déjà fait plus de cent disques de phonographe, et un film Le Blanc et le Noir.

— Sa voix n’est pas phonogénique, reprit le sorcier. Nous avons ici les meilleurs appareils du monde : et pourtant, je n’arrive pas à un bon résultat.

— Qu’est-ce que ça ? dit Korda, de loin.

— Ce monsieur affirme qu’il ne peut pas enregistrer la voix de Raimu.

— C’est bien dommage pour lui, dit Korda. Parce qu’on ne peut pas remplacer Jules. Mais lui, on peut.

Le soundman parut très étonné : mais il le fut au sens ancien du mot quand il vit Raimu s’avancer vers lui.

Depuis le début de notre travail, le grand Jules était resté souriant et paisible, à cause de son admiration pour Korda. Il avait donc une énorme provision de colère et de cris rentrés.

Il marcha lentement sur le soundman, gonfla sa vaste poitrine et dit :

Ah ! C’est vous le téléphoniste ? C’est vous qui n’entendez pas ma voix. Vous voulez que je crie ? Voilà, monsieur : « Monsieur Brun, ne le dites à personne qu’Escartefigues est cocu ! Ça pourrait se répéter ! »

Il hurla deux fois cette phrase, avec cette voix homérique qui passait sans effort de la contrebasse à la trompette.

Le soundman avait bondi vers le microphone, non point pour s’en servir comme d’une arme, mais pour le cacher sous son veston, et tremblant d’inquiétude, il suppliait :

— Pas si fort ! Faites le taire ! Il va me fêler la pastille !

Malgré l’étrangeté de cette plainte, Raimu comprit que la mécanique demandait grâce – et c’est à voix haute qu’il déclara :

— Monsieur, lorsque je téléphone en ville, tout le monde me comprend : mais vos appareils américains ne savent pas encore le français. Maintenant, puisqu’il est midi, venez prendre l’apéritif avec moi, et, pour habituer votre appareil à mon trombone, je vous réciterai des fables.

C’est ainsi qu’il devint l’ami du soundman et que sa voix fut parfaitement enregistrée.

Marcel Pagnol, Cinématurgie de Paris

Cinématurgie de Paris est l’un des livres les plus intéressants que j’ai jamais lu sur le cinéma. C’est en tout cas certainement le plus drôle. Pagnol y raconte comment il a découvert le cinéma parlant, comment il a compris que c’était l’avenir de cette industrie, comment il a décidé de s’y consacrer. Il y décrit ses projets, ses méthodes, ses trouvailles, ses échecs, ses succès. C’est passionnant et indispensable à tous les amateurs, ou professionnels du cinéma.

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