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Enfonçons joyeusement… Critique aisée (9)

Enfonçons joyeusement les portes ouvertes
Débarrassons les écrits des constructions originales, recherchées, nouvelles ou étranges. N’y ménageons plus de surprise de forme ni de réforme de style. Bannissons l’allusion, la litote et le deuxième degré. Chassons pour toujours l’hyperbole, l’anamnèse et l’aphorisme.
Enfonçons joyeusement les portes ouvertes. Ouvrons largement nos fenêtres aux lieux communs. Accueillons chaleureusement les clichés, les banalités, les conventions et autres évidences.
Alors, nous atteindrons enfin la tranquillité dans la lecture, le confort dans le roman et le bonheur dans l’autobiographie. Alors, nous pourrons nous rouler sans fin dans le plaisir du best-seller unique, éternellement recommencé et démocratiquement élu au scrutin uninominal majoritaire à un tour des marchands de livres.

Note de l’Auteur.
Ce petit texte à été écrit en hommage au conseil que donnait Alexandre Vialatte:  « … (Il faut) supprimer d’un texte tout ce que tout le monde connait déjà par le journal ou le cinéma, ce que tout le monde sait avant de le lire, le composer par conséquent de trous. Ce qui reste, c’est de la dentelle. »

L’Attrape-Coeurs. Critique aisée (8)

Lettre à un adolescent.   Décembre 2011
Cher Paul,
Il y a quelques jours, dans le salon de la rue des Ursulines, nous avons eu, Sébastien, toi et moi, une conversation sur la littérature.
Nous avons parlé de Zola, de Balzac, de Proust je n’en suis pas certain, de Harper Lee et de J.D. Salinger.
Lancé sur le sujet, j’ai dû te raser un peu à te vanter L’Attrape-Cœurs, mais tu dois reconnaitre que j’ai été encouragé et soutenu  en cela par Sébastien.

Comme toute personne de plus de trente ans, et j’en ai largement davantage,  je sais par expérience qu’il est difficile de convaincre un presque-plus-enfant-mais-pas-tout-à-fait-jeune-homme d’entreprendre la lecture d’un roman écrit il y a plus de cinquante ans, quand bien même il ne ferait que deux cent cinquante pages et aurait bouleversé deux générations.
Je vais essayer quand même parce que c’est un livre que j’ai beaucoup aimé.

Donc, j’ai acheté ce livre pour te l’offrir. Mais tu ne l’auras pas neuf, parce que je n’ai pas pu résister au plaisir d’en relire les premières lignes (quand on veut être pédant, on dit «l’incipit »), et puis j’ai fini par tout relire…
Frédéric Beigbeder dit qu’il faut relire L’Attrape-Cœurs tous les ans. J’aime bien Beigbeder.
Je pense qu’il n’est pas trop tôt pour que tu lises une première fois ce bref roman d’initiation.

Voilà l’incipit, dont j’espère qu’il t’entrainera jusqu’au bout de l’histoire :

« Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors surement la première chose que vous allez  demander, c’est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé ma saloperie d’enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m’avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j’ai pas envie de raconter ça et tout. Primo, ce genre de trucs ça me rase et secundo …. »

et le livre se termine comme ça (excipit) :

« …Je regrette d’en avoir tellement parlé. Les gens dont j’ai parlé, ça fait comme s’ils me manquaient à présent, c’est tout ce que je sais. Même le gars Stradlater par exemple, et Ackley. Et même, je crois bien, ce foutu Maurice. C’est drôle. Faut jamais rien raconter à personne. Si on le fait, tout le monde se met à vous manquer. »

The Catcher in the Rye, l’Attrapeur dans le Seigle, L’Attrape-Cœurs (1951)
J.D. Salinger (1919-2010)