(…) j’ai les yeux fermés mais je sais que ce n’est pas la nuit ; ce n’est même que la fin de l’après-midi ; dehors, on entend des voitures qui passent, des piétons qui parlent ; je sens un corps collé contre le mien ; il a épousé sa forme ; je sens son dos, ses reins, ses cuisses ; sa tête est légère sur mon bras gauche étendu en travers du lit ; ses cheveux agacent mon nez ; son odeur m’émeut ; mon bras droit est passé sous le sien et ma main enveloppe un petit sein ; sa douceur me bouleverse ; Patricia, Patricia, enfin… ; elle dort ; nous avons fait l’amour ; je la désire encore, mais je veux la laisser dormir ; je l’aime ; je suis détendu ; je pèse sur la terre ; je la ressens sous moi, sous le lit, sous l’hôtel ; elle tourne, je peux le sentir ; je suis bien ; je suis amoureux ; je ne pense à rien, même pas au fait que demain, Patricia partira. À rien… et je me rendors.
J’ai ouvert les yeux. Se détachant sur le mur encore noir, les deux vitrages de la fenêtre à l’anglaise sont gris clair. C’est le jour qui se lève. Tout de suite, je me souviens de Patricia et de son corps contre le mien mais je sais qu’il n’est pas là. Pourtant, tout à l’heure, sa présence dans mon lit n’était pas un rêve, sinon je l’aurais déjà oubliée. C’était le résultat d’un effort de ma mémoire, peut-être ce que l’on appelle un songe éveillé, un rêve où l’on s’efforce et où parfois on arrive à orienter le cours de son développement. Je tente de poursuivre le mien, mais comme un moteur malade qui tousse et s’éteint après quelques hoquets, les images de cette fin de journée d’hiver à Paris surgissent, toujours les deux ou trois mêmes, se succèdent, se figent et finissent par disparaitre, ne me laissant que la réalité de ma chambre au milieu du désert californien que la clarté du jour commence à envahir.
Patricia… tout ce que j’avais vécu de nouveau, d’excitant et de terrible depuis mon arrivée en Amérique me l’avait fait presque oublier, mais cette nuit me l’avait rappelée. J’étais amoureux et c’était à cause d’elle sinon par sa faute que j’en étais là. Je l’aimais et si j’arrivais à la rejoindre, tout s’arrangerait. Elle m’abriterait, elle m’aiderait à me sortir de mes ennuis et nous passerions enfin des nuits et des nuits ensemble.
C’est sans doute ce retour d’optimisme qui me fit apparaitre d’un coup la solution, évidente, à portée de main. Désormais, j’avais un plan, un vrai. Il n’était plus question d’attraper des trains de nuit au vol, plus question de traverser des rivières glacées dans des montagnes hostiles ! De toute façon, le Canada, c’était idiot : je risquais de me casser une jambe ou de me noyer si je ne me faisais pas pincer avant par la police des frontières… et puis, une fois là-bas, du côté de Vancouver, je me trouverais encore plus loin que je ne l’avais jamais été de Washington D.C. Non ! Mon plan était simple, concret ; il avait un nom : Greyhound, les bus transcontinentaux Greyhound, tout d’acier étincelant et de vitres fumées, avec leur air conditionné, leur chauffeur tout-puissant et galonné comme un commandant de 707, leur ponctualité, leur sécurité, leurs arrêts programmés dans les bus-stop, aussi typiques de l’Amérique profonde que, cent ans plus tôt, les diligences de Wells et Fargo. Ils étaient le moyen de transport le plus anonyme et, mis à part l’auto-stop, le plus économique et le plus rapide pour traverser les États-Unis. Rester planté sur le bord de la route, parfois pendant des heures, à la merci d’un contrôle de police, c’était quelque chose que je ne pouvais plus risquer. Mon esprit s’était mis à cavaler allègrement sur cette idée : Bakersfield – Washington, en Greyhound ! Ça ne devait pas prendre plus de trois ou quatre jours. Bientôt, je recevrai de Tom les 60 dollars promis, et avec ça, je pourrai surement me payer le billet et les quelques sandwiches qui me permettraient de tenir jusqu’à Washington, jusque chez Patricia.
A présent, il faisait plein jour et, pour une fois, l’avenir s’annonçait bien. Je me levai et passai un long moment sous la douche. Je la pris froide, ce qui était chez moi un signe exceptionnel de volonté. Je suppose que par cet acte de courage, je voulais cristalliser mon nouvel état d’esprit. Tout à l’heure, je convaincrai Tom que la seule solution était de travailler avec moi à la traduction des manuels Alsthom. Dans trois ou quatre jours, ce serait terminé et Tom me paierait mes 60 dollars. Et puis il m’emmènerait dans sa voiture à Bakersfield où je nous voyais diner ensemble pour la dernière fois. Nous nous quitterions bons amis devant la gare routière et quatre jours plus tard, cinq au maximum, j’arriverais à Washington à la nuit tombante. Alors, je téléphonerais à Patricia et elle viendrait me chercher dans sa petite Coccinelle bleu ciel. Elle m’emmènerait chez elle et nous dormirions notre première nuit complète pour enfin nous réveiller ensemble.
Le lendemain, vers 3 heures de l’après-midi, Tom m’a proposé d’aller à son motel pour y finir la journée : il achèterait de la bière, on ferait griller des saucisses ou du poulet au barbecue, on mangerait des pastèques et des marshmallows, on passerait le reste de la journée autour de la piscine. Je me suis étonné :
« Maintenant ? Tout de suite ? Mais, il n’est que trois heures !
— Raison de plus. Dans les services techniques, on travaille cinq jours par semaine, de 7 heures à 2 heures et demi de l’après-midi. Après, il fait bien trop… On y va ? »
A l’entrée de Taft, nous nous sommes arrêtés pour acheter des packs de bière, des sacs de glace et du charbon de bois et à 4 heures, nous étions debout dans la piscine, une bière à la main, à évoquer nos passés respectifs.
Il me raconte son enfance à Encinitas, petite ville au bord du Pacifique, son père disparu sur le Yorktown coulé en mer par les Japonais en juin 1942 le jour de ses cinq ans, son enfance dans le souvenir du héros dont en réalité il ne garde que l’image d’un homme en tenue blanche posant devant un porte-avion dans le port militaire de San Diego, son adolescence entre une mère bibliothécaire et dévote, une grande sœur révoltée et un petit frère adoré, ses boulots d’été, son admission à l’université de La Jolla comme boursier en tant que fils de Navy KIA, marin mort au combat, l’interruption de ses études à la mort de sa mère dans un accident de voiture, son embauche comme vendeur chez Penney’s à Five Points, son diplôme obtenu en cours du soir, son premier vrai salaire à la San Diego Gas & Electric, et puis son embauche à la Belridge Oil Company…
Tandis que j’écoute Tom, je pense à ma propre vie, sans drame, sans histoire, facile, avec un père vivant et joyeux, une mère admirative, une sœur presque femme quand je n’étais encore qu’un enfant. Tout m’a été facile, je n’ai jamais eu à travailler, ni avant ni pendant mes études, et il y a tout à parier que ce sera pareil quand j’aurai intégré une de ces grandes écoles. Même pour faire ce grand voyage, je n’ai eu d’autre effort à accomplir que celui de convaincre mes parents. Oui, j’ai eu de la chance, car dans tout ce confort, je n’y suis pour rien. C’est comme ça.
Tom, lui, avait dû non pas se battre, le mot est trop fort, mais renoncer à des plaisirs, faire des sacrifices, travailler. Il ne s’en plaignait pas, Tom, il ne s’étendait pas sur la disparition de son père, sur la rigueur de sa mère, ni sur leur modeste niveau de vie. C’était comme ça. Au contraire, il racontait avec plaisir quelques souvenirs d’enfance, sa visite du porte-avions Yorktown avec son père quand il avait quatre ans, les entrainements de football avec le pasteur Wyllis après l’école du Dimanche, son premier flirt sur la plage d’Encinitas… et puis, maintenant qu’il avait son diplôme, un emploi et une petite amie régulière. Il avait un but, Tom, un plan dans sa tête : remettre en marche la machine à piston libre, repartir à La Jolla en automne pour passer un master en géophysique, revenir travailler trois ans à la Belridge pour lui rembourser ses études… cinq ans tout tracés. Pour ce qui est de Laureen, sa petite amie, elle ne faisait pas partie du plan, du moins pas consciemment. On verrait plus tard…plus tard… l’étranger surement, le pétrole… Aramco peut-être, l’Arabie Saoudite, ou alors l’Irak, l’Iran… le monde…
Et moi, mon plan, c’était quoi ?
A SUIVRE
Toujours rien à voir avec l’article d’aujourd’hui, mais …
Quelqu’un s’est-il demandé pourquoi, pendant les trois années et demi qui ont précédé la renonciation de Joe Biden à la candidature, on n’avait pratiquement jamais vue à la télévision la Vice-Présidente Kamal Harris, pourquoi on ne l’avait pas envoyée en voyage officiel mener quelque mission diplomatique même de second plan, serrer quelques mains de dirigeants étrangers, diriger quelque opération spectaculaire ou importante ?
C’est vrai, ça ! Pourquoi ?
Je ne sais pas vraiment. Pourtant, il devait bien y avoir une raison
Rien à voir avec l’article d’aujourd’hui, mais quand même … !
Hier 52% des lecteurs du Figaro satisfaits de l’élection de Trump
Aujourd’hui 76% des Français mécontents de l’élection de Trump
Décidemment, le Figaro penche de plus en plus vers Éric Ciotti.