Aventure en Afrique (50)

La pharmacie du Centre (3/3)

Le paiement par les clients était fonction de la couverture sociale pratiquement inexistante dans ce pays. Le système de sécurité sociale n’existait que pour les européens qui avaient cotisé à des mutuelles ; le paiement était direct en espèces, en Francs CFA. Il n’y avait pas de délégation de paiements, le système de bons de commande  souvent apportés par un commissionnaire,  collectés après délivrance,  servait à adresser au payeur la facture !

Le prix des médicaments était élevé pour les africains. Ils réglaient sans problèmes, ou en petite monnaie espèces  recueillies auprès de congénères, ou  mendié. Nous  étions  au service des clients.

D’autre part, il y avait  la gestion des approvisionnements, des stocks :
Les commandes étaient faites rarement par téléphone fixe (les portables n’existaient pas),  le plus souvent par courrier postal ou la visite exceptionnelle d’un représentant six mois ou un  an à l’avance ! Dans ce pays enclavé et pauvre, l’approvisionnement et l’acheminement des produits était un problème : La plupart des médicaments étaient des produits importés, de France ou d’autres pays étrangers. Suite à l’indépendance du Niger, survenue treize ans avant notre séjour, la France était devenue un pays étranger particulier.

   La livraison dépendait de l’urgence, des conditions d’utilisation, les vaccins ou produits antivenimeux à délais de péremption courte, conditionnés dans des emballages frigorifiques, arrivaient par avion. Le reste arrivait  par bateau puis  voie ferrée et enfin par camionnette à partir des pays voisins du sud. Il fallait compter trois mois au moins pour avoir la cargaison !

Les délais de paiement étaient particuliers, et il m’est arrivé de m’engager personnellement pour garantir, une livraison correcte. Des contrats spéciaux avec les laboratoires fournisseurs géraient les approvisionnements. Les paiements se faisaient en partie à la commande, le solde à réception. Il fallait obligatoirement faire des déclarations de douane, beaucoup de palabre pour obtenir une livraison assurée, entière, identique à la commande, donner des pourboires.  Le règlement était par mandat postal, ou par la banque. Cela faisait appel à une grande manipulation de billets. Je n’avais pas de signature autorisée pour régler par chèque au nom de la Pharmacie, il fallait attendre la venue du titulaire M. Mouren  que je n’ai pas vu très souvent ! Nos conversations  et décisions se  prenaient à la va vite, souvent dans un café rarement au bureau, où la demande de fonds par mon patron se faisait, par l’ouverture du coffre ; le compte de ce qu’il y avait,  il prenait ce qui l’intéressait, sans  prévision de ce qui devait être réglé dans l’urgence ! La pharmacie devait payer aussi les bons qu’il émettait pour ses frais personnels. En dehors de ces « aventures », tous les jours je mettais d’un côté dans le coffre les  billets destinés à faire la paie des employés, de la pharmacie. Ensuite la prévision des règlements par mandat.

Je n’ai eu que peu de fois à faire ces manipulations, au début de mon embauche madame Havard dit Duclaux s’occupait des règlements, à son départ je me suis donc retrouvée à gérer seule, en attendant la venue d’un autre pharmacien plus expérimenté qui venait d’Afrique de l’ouest  où il avait exercé.

Il y avait aussi des distractions, des pauses dans le travail :
Si nous avions soif, le plus souvent nous utilisions l’eau décantée, filtrée, traitée, du fleuve Niger, venue du château d’eau au robinet du laboratoire. Elle était à nouveau filtrée, et consommable alors ! Nous pouvions boire de l’eau en bouteille de verre achetée à « PariScoa » le Prisunic du coin opposé à la pharmacie. C’était rare et cher à l’époque (non comme celle d’aujourd’hui en bouteille plastique). Parfois l’eau était servie à un client pour une prise immédiate de médicament. Il va sans dire que cette eau servait à tous autres usages courants !

Boubacar se faisait apporter en guise de « 10 heures » dans un petit papier, parfois du journal, de petits morceaux de viande grillée ou séchée, enrobés de poudre de curcuma et de piment, boucanée. « Voualaï »  Madame, tu veux gouter disait-il en me présentant du creux de sa main effilée le petit paquet. Le sourire aux lèvres, il distribuait à qui voulait, comme des bonbons.

Parfois un vendeur entrait autorisé par le gardien, panier sur la tête, proposant des noix de kola, grosses fèves amères stimulantes car riches en caféine. Fraiches, elles se machent, décuplent les forces pour les travailleurs sur les chantiers, faisant supporter la fatigue, les blessures. Ces noix étaient vendues à l’unité, ou offertes aussi comme des dragées à l’occasion d’une fête, d’un baptême, d’un mariage, de funérailles.

De temps à autres il me semblait entendre le son d’un tamtam, en direction de la Place du Marché, au milieu du brouhaha. Je demandais à Jean ce que c’était ; il me dit sans hésiter « c’est l‘arracheur de dents qui travaille ».
Un matin j’ai réussi à m’esquiver. Je n’ai pas eu de mal à trouver. Il s’agissait de deux hommes se tenant debout sur un petit tapis, l’un avec un tamtam entre les jambes et l’autre une grosse pince à la main. Il y avait aussi, un petit tabouret, à coté une grande panière en roseaux. Dans celle-ci des milliers de dents, véritables éléments publicitaires affichant toutes les opérations effectuées par le spécialiste ! Les dernières prises étaient nettoyées par un vol de mouches.
Le futur patient, qui avait droit préalablement à un morceau de noix de cola, se plaçait sur le petit tabouret, après avoir payé l’intervention. Le tamtam commençait à raisonner, le “dentiste“ plaçait sa grosse pince dans la bouche ! Le tamtam redoublait pour dominer les cris de douleur du patient. La dent prélevée allait directement rejoindre la panière. L’opérant essuyait sa pince avec un chiffon crasseux et passait au patient suivant qui attendait !

    Un jour, une accalmie dans les va et viens, le jeune kaya kaya de l’entrée plie son petit bagage, de l’autre coté sur l’esplanade les « stands » les bâches se plient en hâte. C’est anormal ! Je me penche pour mieux voir, au-delà de la rue le ciel s’assombrit rouge orangé, un voile épais avance, le vent se lève, le sable tournoie au sol, à l’avancée du brouillard, ânes et les gens se dispersent, disparaissent sous abri, quelques voitures circulent phares allumés. Un  tourbillon de sable dense monte dans le ciel,  tel une colonne de cyclone. Les fenêtres et les portes sont fermées. Malgré la fermeture des huisseries le sable s’infiltre partout, la vue est restreinte. Combien de temps faudra-t-il attendre pour que le brouillard de sable s’estompe, et que la vie reprenne ? Je ne sais plus, mais cela m’a paru long, angoissant, irrespirable, suffoquant. J’étais à l’abri à la pharmacie.  C’est ainsi que j’ai compris la vie des touaregs dans le désert, la nécessité de se cacher le visage au maximum contre  le vent, le sable qu’il entraine, ainsi que la protection contre le soleil ardent desséchant.

  Parmi les autres distractions un jour de congés à la pharmacie, pour son titulaire M. Mouren, son personnel et leurs conjoints, un méchoui  a été organisé. Le mouton avait été cuit sur des braises de feu de bois dans la ruelle de la pharmacie à l’abri des regards des passants non invités. C’était le gardien et sa famille qui avaient officié ; j’étais servie à la main, debout ! Puis chacun était venu se servir sur la bête, à pleine main.

Du coté sanitaire, ou hygiène de vie, nous étions très vigilants sur notre nourriture, nos boissons, particulièrement lors de déplacements. Nous prenions quotidiennement en prévention du paludisme de la “Nivaquine”. Malgré les précautions il nous arrivait d’avoir des ennuis intestinaux dont nous nous prévenions l’accentuation dès les premiers symptômes, avec du  whisky-coca (coca-cola) ou du pastis, si l’affection était plus sévère nous utilisions du “Ganidan”, du “Bactrim,  ou de  l’“Intetrix”.L’“Ultra- levure” était aussi utilisée.
Avant notre départ pour le Niger nous avions subi les vaccinations obligatoires : fièvre jaune, choléra etc.…Pendant notre séjour nous avons dû faire faire un rappel de la vaccination anticholérique. C’est ainsi que nous sommes allés à l’Hôpital de Niamey. Si nous n’avons que peu de souvenir de cet établissement, c’est surtout la mémoire de l’odeur de cuisine que les familles réalisaient sur de petits braseros à la limite de la galerie, le long des allées. Les malades n’étaient pas nourris par l’hôpital ! Les cuisinières, dans un va et vient, apportaient sur la tête de petites cuvettes émaillées avec cette nourriture préparée !

Les aventures de la vie de la Pharmacie Centrale se sont interrompues lors de l’arrivée d’un pharmacien titulaire gérant plus expérimenté, au mois d’aout. L’expérience a été belle, inoubliable, formatrice.
J’ai pu trouver sans tarder une occupation bénévole en tant qu’enseignante en Sciences Naturelles au Lycée Issa Béri, géré par les Frères des Ecoles Chrétiennes. J’y ai exercé jusqu’à l’arrivée d’une coopérante. Je me souviens du Frère Yan, originaire de Bretagne, entièrement dévoué à l’apprentissage de la culture de petits jardins  potagers clos, par élèves. Il m’assistait à quelques séances de TP pour les 3èmes , notamment sur l’organisation d’un être  vivant, en l’occurrence des crapauds des jardins. Un autre Frère d’origine espagnole était spécialiste dans la recherche de serpents, de leurs venins pour ensuite réaliser des sérums antidotes résistants à la chaleur et au transport en brousse. Il avait de belles histoires de chasse à la main de serpents. Il était célèbre au Niger pour son film où l’on voyait un boa en train d’avaler une chèvre !
Les élèves de 4ème avaient de la géologie, étude du volcanisme et ses conséquences. Il y avait déjà à cette époque un chapitre concernant, les climats, le maintien des cultures, les problèmes de la déforestation, l’avancée du désert, du manque d’eau. C’était déjà de “l’écologie”. J’ai trouvé dans une copie, sur le sujet : « Alors nous allons tous mourir»

Ils s’exprimaient tous en français mais dans les devoirs écrits, ils avaient de la peine à rédiger ce qu’ils pensaient de l’avenir de leur pays, sachant que cette année 1973 était particulièrement difficile: grande famine, incidents climatiques sans pluies et grande sécheresse brutale….
Ces élèves étaient des privilégiés pour s’instruire, loin des enfants de brousse  dont les habitudes ancestrales étaient adaptées au climat, pour l’élevage transhumant et les cultures vivrières.

 A SUIVRE

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