Dix ans, demain

25 novembre 2023. Il y aura dix ans demain, paraissait le premier article — en réalité les trois premiers — du Journal des Coutheillas et depuis dix ans, chaque jour (à l’exception de trois ou quatre sur trois mille six cent cinquante-cinq) un article, quelques fois deux y ont paru.

Disons-le franchement, pour moi, à la fois éditeur et auteur de la plupart des articles, tout au long de ces dix années (et à quelques exceptions près sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure), choisir, préparer, programmer, éditer des articles, qu’ils viennent de moi ou de lecteurs collaborateurs occasionnels ou réguliers du Journal, si ce fut quelquefois astreignant, ce fut toujours un amusement, souvent un plaisir.

Pour ce qui est de la gestion des commentaires des lecteurs, ce fut parfois plus difficile. Je ne souhaitais évidemment pas faire de cette rubrique une de ces agoras modernes où les multitudes se confortent dans leur croyances, s’affrontent dans leurs convictions, s’invectivent avec fougue et se détestent passionnément.  Le nombre restreint et, il faut le dire, la qualité des lecteurs du Journal des Coutheillas a permis d’éviter cet écueil, faisant, sauf exception ou accident, de son lectorat une sorte de club raisonnable.

En fait, je souhaitais créer pour les lecteurs un lieu d’échange qui prendrait prétexte des articles publiés pour exposer, développer, contredire, approuver, pour tout dire commenter des idées, intelligentes ou banales, toutes faites ou paradoxales, sincères ou affectées, absurdes ou sérieuses, comiques ou tristes.
Mais je voulais aussi et surtout y maintenir une distance par rapport à la dure réalité, et pour cela promouvoir un certain niveau de tolérance, d’humour et de correction. Dieu sait que je n’y suis pas toujours parvenu. Mais quand on donne la parole — si j’ose m’exprimer ainsi — à des plumes faciles, quand on aborde des sujets sensibles ou d’actualité — mais comment ne pas le faire quand on s’intitule « Journal » ? — quand les commentaires de commentaires de commentaire s’enchaînent les uns aux autres, quand on s’interdit leur sélection ou leur censure, on s’expose fatalement à voir, sinon à faire, monter la mayonnaise. C’est arrivé à quelques reprises dont le nombre est resté limité, mais la violence ou l’aigreur, mémorables. N’en parlons plus.

En dix années donc,

4.654 articles ont été publiés,
et vus
237.140 fois
par
73.480 visiteurs
qui ont émis, moi compris,
10.369 commentaires
sur lesquels ma censure s’est exercée à deux reprises.
468 œuvres de Sébastien y ont été présentées,
264 critiques d’arts divers ont été faites,
2 romans et tout un tas de nouvelles y ont été découpées en épisodes,
1013 Photographies ont été projetées,
1 grand nombre de morceaux choisis, citations et aphorismes,
quelques jeux littéraires et aussi
énormément de choses que j’ai oubliées

Dix ans !

Eh bien, « dix ans, ça suffit ! », comme je le chantais le 13 mai 1968 du côté de Denfert-Rochereau à l’attention du général De Gaulle.
Oui, ça suffit, parce que, tel qu’il est, le Journal des Coutheillas me prend trop de temps, un temps de plus en plus précieux que je ne peux plus consacrer à la lecture, au cinéma, à l’édition de mon prochain recueil de nouvelles, à la promotion de mes livres, aux infructueuses tentatives — auxquelles je n’ai pas encore tout à fait renoncé — de persuader certains de mes amis réfractaires d’émettre des avis sur Amazon, à la flânerie dans Paris, à la rêverie, éventuellement à l’écriture de nouvelles nouvelles et, enfin et surtout, à rien…

Dix ans, ça suffit aussi parce que je n’ai pas réussi à faire du Journal des Coutheillas cet outil efficace que je souhaitais pour la promotion des quelques livres que j’ai publiés jusqu’ici : leurs ventes n’ont fait que décroître à mesure que je faisais paraître de nouveaux volumes et que j’intensifiais mes appels à la population.

Donc, dix ans, pour moi, ça suffit !

Mais probablement pour vous aussi, ça suffit, non ? Après dix pleines années sans changer ni de formule, ni de mise en page, ni de contenu, ni de style, dix ans de critiques artistiques instinctives, dix ans de nouvelles à retournement prévisible et de feuilletons interminables, dix ans bientôt d’invectives ironiques ou coléreuses à l’encontre d’Anne Hidalgo ou de Donald Trump, dix ans de Nouvelles du Front de Taureau de la Bêtise, dix ans de conservatisme soft pour certains et d’humanisme râleur pour d’autres, vous pouvez penser que enough is enough, basta cosi, ça va comme ça !

Paresse d’un côté, lassitude de l’autre, nous sommes donc d’accord : dix ans, ça suffit !

En conséquence, à partir de demain, le Journal des Coutheillas passera du statut de quotidien à celui d’épisodique, de spontané, d’aléatoire, d’impromptu, d’inattendu, d’intermittent, de discontinu et même de sporadique.
Je veux dire par là qu’il n’y aura plus de régularité dans la parution des numéros du journal. Pourtant, les abonnés continueront à être informés par email de chaque nouvelle parution — parce qu’il y en aura, pas tous les jours mais toujours à 7h47 — et la modération des commentaires continuera à être assurée, avec peut-être moins de rapidité.

Voilà.

Tous ces changements feront gagner du temps, à vous comme à moi. Et pour commencer, demain, jour exact du dixième anniversaire du Journal des Coutheillas, il n’y aura pas de parution,

rien du tout.

13 réflexions sur « Dix ans, demain »

  1. Sigmund Freud.
    Faudrait sortir un peu, mon cher Philippe !

  2. addendum : Lorenzo voulait dire Lampedusa et non Pasternak. Cette erreur serait du, selon S. F., à sa plus grande appétence pour le docteur Jivago que pour le prince Salina.

  3. Bien que légitime vu son âge, la décision brutale de notre bienaimé Rédacteur en Chef d’interrompre son Journal est venue comme un coup de tonnerre dans le ciel serein que nous offrait chaque matin sa lecture. Cette annonce m’a pris de cours alors que j’étais à l’étranger ce qui explique le retard de ma réaction. Je le pris de m’en excuser.
    Comme un fait exprès dont je le soupçonne capable, j’étais justement en reportage à Rome dans cette ville où ont grandi simultanément sa vocation littéraire et sa vocation artistique. Au 69 via del Governo Veccchio, je me suis recueilli chaque matin devant la plaque qui commémore sa présence dans cet immeuble vétuste où il séjourna au dernier étage pendant les années trente. Là, j’ai pu apprécier la richesse de l’environnement qui l’a bercé : les échoppes des commerçants ressemblent à des tableaux du Caravage et les églises à des œuvres du Bernin. On devine les origines de son formidable ouvrage de référence, le Dictionnaire amoureux de Rome, toujours disponible sur Amazon.
    Comme un fait exprès n’arrive jamais seul, un deuxième mérite d’être mentionné avec toute l’humilité qui s’impose. A ma consternation s’est ajoutée une terrible culpabilité dont je ne me remets pas. En effet, son annonce est parue le lendemain même de la publication de mon texte intitulé « Gratitudes » bientôt en vente sur Amazon. Or, dans mes gratitudes, ne figure pas aux côtés d’autres dédicataires illustres comme Alain-Fournier, Ernest Hemingway et Marcel Gotlib le nom de Philippe Coutheillas qui le mérite ô combien ! Je le prie à nouveau de m’en excuser bien que ce scénario machiavélique digne d’Hitchcock m’ait accablé.
    Malgré cette amertume, j’aimerais ne pas être le dernier à me joindre au concert de louanges que mérite l’ampleur de son œuvre littéraire. J’en profite pour souligner, et je suis doublement bien placé pour le faire, les immenses vertus thérapeutiques de son Journal dont la lecture faisait oublier un avenir incertain à ses abonnés septuagénaires. Il n’est donc pas inexact de dire aujourd’hui qu’elle était un rempart, au moins pour l’un d’entre eux, à la dépression de l’âge. En effet, comme Pasternak, Philippe nous rappelait chaque matin qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, à défaut de bien écrire.
    Enfin, j’ajouterai une troisième frustration, strictement personnelle et due à ma jeunesse, celle de n’avoir pris le train qu’en route. Je n’ai donc pas eu connaissance des dix premières années du Journal dont la réédition de nombreux articles nous rappelle à juste titre les immenses qualités. Heureusement, d’après des sources sûres, sa publication intégrale aux côtés de celui de Jules Renard est prévue dans un proche avenir, non pas sur Amazon, mais dans la Pléiade.
    Grâce à un effet de sa générosité qu’est la rubrique des commentaires, j’ai la chance de pouvoir faire avec un léger retard l’éloge méritée de notre bienfaiteur. Comme l’a souligné Lariégeoise, cette rubrique, dont certains que je ne nommerai pas ont souvent abusé, est, non pas l’essence du Journal, mais la goutte d’huile qui lui permet de ne pas couler une soupape, comme quoi tous les chemins ramènent à Rome (j’ai essayé avec bielle mais ça ne marchait pas). Plusieurs jours et plusieurs nuits m’ont été nécessaires pour la rédiger en raison de l’ampleur et de l’éclectisme de son œuvre parfois amère mais toujours douce. Malgré la sueur qu’elle m’a coûtée, j’ai le plaisir de vous livrer in extenso cette éloge de Philippe Coutheillas qui, malgré sa densité inhabituelle, me semble hélas bien en deçà de tout ce dont nous lui sommes redevables :

    « Merci Philippe »

  4. Pardonne mon retard mais, comme tu le sais, j’étais en reportage à Rome sur les traces de l’écrivain Philippe Coutheillas.

  5. Pendant dix ans toutes ses matinées consacrées à son journal
    Il est temps de souffler un peu
    Merci monsieur le rédacteur en chef

  6. @Philippe.
    Aujourd’hui, ce matin, est un jour triste et mélancolique comme un poème de Lamartine. Un seul être vous manque etc…
    Le JDC n’est pas mort et paraîtra épisodiquement, je m’en réjouis tout comme Paddy j’imagine. Mais, ce ne sera donc plus un quotidien. Une parution quotidienne comme l’a été le JDC pendant 10 ans, 52/7 dirait peut être un américain dans sa langue, c’est à dire chaque jour de la semaine y compris les dimanches des 52 semaines de chacune des 10 années, plus un jour les années bissextiles, un bonus rare tout de même, c’est unique dans les annales. Les gestes quotidiens, comme se laver les dents (pour les uns), ou faire ses prières (pour d’autres), façonnent la vie, surtout après dix années durant lesquelles cette quotidienneté n’a jamais faillie. Pour ma part, gouverné par les habitudes acquises, je n’ai jamais failli. Que ce soit dans les forêts du Montana, en pleine mer, à Jaisalmer, en Nouvelles Galles du Sud ou en Bretagne, grâce aux petites machines alimentées par les satellites, je n’ai jamais échappé à la parution quotidienne du JDC. C’est de ça que je remercie Philippe. Mais je suis encore jeune bon sang et une habitude peut se changer. Susan pleine de bon sens m’a dit ce matin « t’as qu’à faire une peu de gymnastique le matin! » Et puis quoi encore?

  7. Le droit à la paresse étant sacré, nous ne sourions contester. Mais je ne peux que protester lorsque tu évoques notre éventuelle lassitude. Évoquer ton journal comme une rampe de lancement pour tes livres me semble ressortir, cependant, d’un léger abus : cette préoccupation n’est que récente, non ?
    Rendre les parutions plus épisodiques est sûrement une bonne idée : il sera plus aisé d’y participer et de réagir. Combien de commentaires n’ont pas été envoyés parce qu’il était trop tard, la roue ayant entre temps tourné ; le rattachement du commentaire à l’écrit qui l’a suscité, pour logique qu’il puisse paraître, est frustrant car personne ne le verra d’autre que toi (ce qui n’est pas rien, j’entends bien).
    Ce qui me préoccupe le plus, c’est autre chose : que vont devenir le Soufflot et le Rostand ?
    Ne me dit pas que tu préfères une sieste à l’hôtel des Grands Hommes !

  8. À Paddy, à Jim et aux (éventuels) autres désespérés : comme l’a dit l’article de cet après-midi, le JdC n’est ni définitivement ni totalement fermé.
    La preuve : les prochaines parutions dores et déjà programmées auront lieu les 29 novembre, et 1,2, 3, 6, 9 et 10 décembre.

  9. Aujourd’hui est un jour de requiem.
    Un jour sans JDC sera un jour sans fin. Il faudra dix ans pour s’en remettre.

  10. Je n’ai sur la lèvre un seul mot que MERCI!
    Merci pour tous ces matins, et après-midi souvent, passés avec un JDC toujours fascinant.

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