De l’industrie au Luxembourg

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Bon, alors… Puisqu’il faut supporter chaque année, deux ou trois fois par an, ces panneaux qui reviennent le long de la rue de Médicis s’accrocher aux grilles du Luxembourg comme des chenilles processionnaires, autant que ce soit avec de belles photos. Cette année, pour une fois, on ne m’entendra pas protester contre la laideur et le mauvais goût des photos choisies par notre auguste Sénat pour cacher aux badauds de la rue les arbres, les pelouses et les joggeuses du plus beau jardin de Paris. Finis les hideux insectes grossis dix fois et colorisés cent fois pour faire peur aux bonnes d’enfant ! Finis les couchers de soleil photochopisés sur l’Adriatique par Boronali du Lapin Agile ! Finie l’exaltation des vieux métiers de France, les photos sépiatisées des plieuses de mouchoir de Cholet, de l’horloger du pendule de Foucault, des épépineuses de groseilles de Plougastel, des étêteuses de sardines de Douarnenez ! On en a enfin terminé avec Arthus Bertrand et ses sempiternelles vues de drones de drôles d’endroits ! Oubliées les bergeries de montagne, les fromageries de plaine et le tanneries de souks !

Cette année, place à la technique, à la technologie, à la science appliquée ! Place à la production du tout petit et à la fabrication du très gros ! Place à la méga-quantité et à l’ultra-précis ! Place à l’industrie !

Ici, on ne cherche pas à faire du joli, mais c’est beau. Oui, ils sont beaux ces ateliers lumineux, parcourus par de fins réseaux vibrants qui courent au rassemblement vers un métier circulaire qui les transformera en un simple tricot pour sous-vêtement ; elles sont belles ces étranges salles blanche ou anéchoïques où des petits bonshommes déguisés en Play-mobil construisent des objets pour l’Espace avec une infinie lenteur et d’infinies précautions, belles aussi ces immenses fourmilières où des petits hommes bleus, sous la surveillance de petits hommes verts, assemblent de gros avions encore anonymes, belles ces sombres cathédrales où la source de lumière est l’incandescence d’une piscine remplie de verre en fusion d’où partent à toute allure des petites boules de feu dont chacune vient s’écraser dans un moule qui fera d’elle un flacon pour Guerlain.

« Oui, c’est beau tout ça ! » C’est ce que je me disais en descendant la rue de Médicis. Et d’un coup, j’ai réalisé que j’avais passé une bonne partie de ma vie dans des cadres comme ceux que j’étais en train d’admirer sur les grilles du jardin ; j’avais traversé des ateliers comme ceux-là, je m’étais fait raconté ce qu’on y faisait, pourquoi, comment ; j’avais demandé la raison de tel ou tel détail et on me l’avait donnée. Parfois la salle était dévastée — un incendie, une explosion, un tremblement de terre en était la cause — ou seulement endommagée, salie, mouillée, et parfois la salle était bourdonnante d’activité. Et ces photos me rappelaient tout ça, toutes ces années à voleter d’industrie en industrie, de satellites en filatures, de conserverie en tunnel sous la mer, de fonderie en cimenterie, de raffinerie en tannerie, de laboratoire pharmaceutique en construction d’avions… Bien sûr, il manquait quelque chose, les odeurs, la chaleur , le bruit, la fureur ; il manquait le rythme ; mais elle était là quand même, l’industrie…

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, comme a dit Verlaine à propos d’autre chose.

4 réflexions sur « De l’industrie au Luxembourg »

  1. Ce moment est bien petit comparé a GUERNICA …. Les odeurs ne sont que la couverture de la terreur humaine

  2. Tu confirmes à nouveau mes doctes propos! La vision, jointe à l’appréciation éthique et esthétique de l’univers sont terriblement auto-centrées! Nous sommes le point de départ de toutes perspectives et jugements (le ‘anschauung’ de la teutonique ‘weltanschauung’!) Hélas, ce point de départ est trop souvent aussi celui d’arrivée lorsque nous n’activons point notre sens auto-critique (scepticisme quant à la validité de nos cartes-écrans-radar) qui devrait se déployer dans l’introspection ou la ‘self reflexivity’. Petit désaccord: toute cette projection de nos préconceptions (et leur auto-critique si nous travaillons comme les Mécaniciens Quantiques) de notre ‘anschauung’ sur l’univers dépasse de très loin la durée (erronément affichée) d’une lecture ou d’une observation ordinaires.
    Je suis donc comblé de constater à quel point tes beaux écrits et tes recommandations d’écoutes de lectures de lettres de célèbres penseurs confortent mon ‘narratif’ sur le fonctionnement et les dysfonctionnements de la communication humaine. J’apporte la théorie, tu fournis, fort élégamment, les applications! Quelle belle complémentarité!!!

  3. Lariégeoise a raison, mais ce n’est pas la saucissonnage qui en est la cause,
    c’est mon incompétence en la matière.
    D’où l’importance de l’histoire, CQFD

  4. Et oui il serait temps de comprendre que l’argent ne pousse pas dans les arbres , que tout ce que nous utilisons à été conçu par des humains , des vrais , que le smartphone n’est que l’illusion d’un monde où tout apparaît d’un coup de pouce… photos , musique, presse, et même le JdesC
    C’est bien Mr l’ingenieur de faire la promotion de la création non littéraire!
    En revanche, je formule une objection sur la diffusion saucissonnée des Corneilles: difficile de suivre nos héroïnes et entrée en scène retardée de Leila…

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