Les corneilles du septième ciel (8)

temps de lecture : 4 minutes 

(…) Malgré une vie sentimentale riche et variée, sa cousine Myriam n’avait jamais réussi à se fixer ; elle était donc, elle aussi, toujours célibataire et toujours très jolie. Philippe avait fini par accepter de la revoir lors du mariage d’un cousin éloigné. Ces  retrouvailles avaient confirmé ses craintes : Myriam, Professeur en littérature comparée à la Faculté de Limoges, était belle et intelligente. Ils évoquèrent leur aventure à la kermesse et en rirent de bon cœur. Mais, ce qui troubla le plus Philippe, ce fut sa ressemblance avec Leïlah Mahi.

Chapitre VIII

Pour Philippe, le choix d’une épouse devenait préoccupant bien qu’à ses yeux le problème était simple : il y avait d’un côté Françoise qu’il allait guérir de ses errements sentimentaux et dont il espérait bénéficier, en toute logique judéo-chrétienne et psychanalytique, de son retour à une sexualité classique, et, d’un autre côté, Myriam qui, pour l’encourager, pensait-il, lui avait affirmé ne plus maltraiter les escargots de ses camarades de jeu.

Le docteur Philippe ne trouvait rien d’extravagant à sa situation qu’en cinéphile averti il comparait à celle de César et Rosalie, un de ses films préférés. Le sujet était selon lui à peu près le même : un homme et deux femmes au lieu de l’inverse. Il y avait cependant quelques différences. D’abord, aucune des deux intéressées ne le courtisait et c’était lui le séducteur. Ensuite, ses futures victimes ne semblaient guère consentantes. Enfin, dans le scénario de César et Rosalie, et même avec beaucoup d’imagination, on ne trouvait aucune demande de fellation par un futur psychanalyste, ni de tentative de séduction sur une de ses patientes par ce même psychanalyste. Heureusement, en bon professionnel, Philippe connaissait toutes les ficelles et même les cordes de son métier qui permettaient de contourner n’importe quel obstacle, qu’il fut familial ou éthique.

Courtiser sa propre cousine, dans les règles cette fois-ci, ne le choquait pas. Il passait sa vie à en démontrer la légitimité à ses patients culpabilisés par la même inclination. Une amie de sa famille, cancérologue, l’avait d’ailleurs conforté dans ses convictions en lui révélant que les enquêtes génétiques effectuées chez les parents d’enfants atteints de cancer avaient montré, ce qui n’était pas le but de l’étude, qu’un tiers des pères n’étaient pas les vrais pères de leurs enfants. Ce pourcentage resté confidentiel ouvrit à Philippe des perspectives insoupçonnées. Il n’était donc pas si risqué d’épouser sa cousine puisque lui comme elle n’avaient que 66 % de chances d’être les enfants de leur propre père ce qui, en cas d’accouplement, aboutissait à une probabilité de consanguinité de 66 x 66 pour cent, c’est-à-dire moins d’une chance sur deux. A l’appui de sa démonstration, il trouvait que Myriam ressemblait beaucoup plus à Leïlha Mahi qu’à son oncle. Cet espoir arithmétique qui aurait été jugé fallacieux par la plupart ne le fut pas pour lui. Il questionna ses parents qui, surpris, lui demandèrent s’il n’était pas devenu fou.

L’efficacité de la cure psychanalytique reposait, disait-il, sur le transfert. Pour simplifier, le patient est toujours amoureux de son analyste. Donc, Françoise, sans le savoir, était amoureuse de lui ce qui allait lui faciliter la tâche. D’ailleurs, la plupart de ses collègues reconnaissaient avoir couché avec leurs patientes. Lors d’un dîner mondain, Philippe avait même rencontré une jeune femme qui se vantait d’avait anticipé la demande de son psychanalyste : c’était elle qui lui avait demandé de coucher avec elle. Quand on veut guérir, la fin justifie les moyens, diront certains d’entre eux. Néanmoins, la légitimité de cet abus « pour leur bien » (sic) est contredite par le fait qu’aucun psychanalyste n’a jamais trouvé d’intérêt thérapeutique à coucher avec ses patients de sexe masculin.

Comme la plupart de ses collègues, Philippe considérait sa propre analyse terminée depuis des années bien que sa démarche sentimentale à quarante ans révolus laissait planer un doute. Deux fois par semaine, il avait pris le TGV pour se rendre à ses séances parisiennes. Il s’agissait d’une analyse didactique, selon la terminologie en vigueur, que certains auraient jugée quand même un peu thérapeutique au vu de ses comportements passés. Il finit par le reconnaître avec le docteur M. qui lui donna néanmoins l’absolution après les sept années réglementaires de sa cure. Il ne tarissait pas d’éloges sur son mentor dont il vantait la bienveillance rare et l’extrême bonté. Il ne sut jamais que ce dernier, un professionnel apprécié de ses pairs et recherché par les futurs psychanalystes pour ses qualités pédagogiques, ne fit jamais preuve dans sa vie privée de ces belles qualités dont on le gratifiait. Bien au contraire, chez lui, la vie de tous les jours ressemblait à une vie monacale où l’on aurait fait vœu de silence. Personne n’avait le droit de raconter son dernier rêve ou de parler de ses problèmes. Cet homme pourtant dévoué à l’écoute de ses patients ne le fut jamais à celle de sa famille. Il ne s’intéressa ni à ses enfants ni, encore moins, à ce qu’ils pensaient. Le jour où son fils aîné médecin fut nommé chef de service dans un hôpital parisien, il ignorait sa spécialité …

A SUIVRE 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *