Petite note à l’usage de mes biographes (1)

1- Souvenir d’enfance

Je suis né en octobre 1942 dans une clinique du 9ème arrondissement. Comme du reste de ma vie en général, je n’ai que très peu de souvenirs de mon enfance. En voici un cependant que je n’oublierai jamais :

Une nuit d’été 1944, je me suis levé de mon petit lit pour aller me planter devant la porte fenêtre de ma chambre. A l’époque, nous habitions au cinquième étage du numéro 20 du Boulevard de Port-Royal. Donc, il faisait nuit et je crois même me souvenir de ce détail supplémentaire : la pleine lune éclairait l’immeuble d’en face. Et j’étais là, le front collé sur la vitre, à contempler sa façade gris pâle qu’aucune lumière ne venait percer.

Tout à coup, un rugissement venant du carrefour des Gobelins vint anéantir le silence qui régnait jusque-là. Je regardai dans cette direction et vit apparaître un avion.
C’était un monomoteur, j’en suis certain, mais savoir s’il portait l’étoile américaine ou la cocarde rouge-blanc-bleu anglaise ou la cocarde bleu-blanc-rouge française, je ne saurais le dire. L’avion volait très vite, exactement dans l’axe du boulevard, quelques mètres seulement au-dessus des toits du quartier. Je le vis disparaître du côté de l’Observatoire. Le silence retomba aussitôt et je retournai me coucher.

Voilà un souvenir d’enfance que je n’oublierai jamais. On aura beau me dire que jamais, au grand jamais, aucun avion français, anglais ou américain, mono, bi ou quadrimoteur n’a survolé Paris à si basse altitude en cette année 44, je n’oublierai jamais le spectacle de cette nuit-là. On pourra ajouter qu’au moment évoqué, je devais avoir dans les vingt ou vingt et un mois et qu’à cet âge aucun souvenir ne peut s’ancrer dans la mémoire, je persisterai à me souvenir de cet avion.

A la réflexion, ce devait être un avion allemand.

10 réflexions sur « Petite note à l’usage de mes biographes (1) »

  1. Si dans le temps, des plumes coulaient l’encre, aujourd’hui trop souvent les cliques rivent l’ancre, la légèreté de la plume n’y change que peu de chose, apparamment, mais incomparablement les cliques sont trop réactif pour changer quoi que ce soi. Il faut un récepteur et un émetteur pouvant être victime d’interférence mais ce qu’on entend par inférence ne change pas la nécessité d’être vigilant sans imposé un mépris aux quiproquos qui pulules et ne sont pas entendu. Il y a de l’universelle d’ici au coin de la rue disait Gilles Vignault.

  2. Mon commentaire très scientifique, c’était uniquement pour faire l’intéressant parce que tout le monde sait que les avions, ils n’existaient pas encore quand tu avais deux ans.

  3. Un ami français, d’ailleurs installé au Canada depuis des siècles, m’avait expliqué en son temps que ce n’est pas l’émetteur du message qui y met son sens mais celui qui le reçoit. C’est du moins ce que j’avais compris.
    Ce n’est donc pas étonnant que personne ne comprenne personne, surtout quand il y a du deuxième degré dans l’air.

  4. Ce n’est que du radicalisme passif ou à moins que je ne m’abuse, une passivité intellectuelle Philippe.

    Ou bien je me radicalise et me prend au jeu. Comment s’expliqué que l’on se parle à tout le monde, et vice versa sans s’entendre?

  5. A la relecture des commentaires suscités par cette « note à mes biographes », je crains de constater que mes lecteurs ont pris ce souvenir pour argent comptant, ou plus précisément qu’ils ont pensé que moi, je croyais avoir vraiment assisté à cette scène digne de Buck Danny.
    Vous m’avez mal compris, chers lecteurs, à moins que je ne me sois mal exprimé, quoique j’aie plutôt tendance à croire au premier volet de cette alternative.
    Si on revient au texte (le texte ! toujours le texte, disait Jouvet, en d‘autres circonstances, il est vrai), on pourra s’en convaincre car, comme disait Ray Charles : « What did I say ? »
    I said myself ceci :

    « jamais, au grand jamais, aucun avion français, anglais ou américain, mono, bi ou quadrimoteur n’a survolé Paris à si basse altitude en cette année 44 »

    « au moment évoqué, je devais avoir dans les vingt ou vingt et un mois et qu’à cet âge aucun souvenir ne peut s’ancrer dans la mémoire, »

    Un avion à ce moment-là à cet endroit-là, ce n’est pas possible…
    Un souvenir à cet âge, ce n’est pas possible…

    N’empêche… Ça reste un beau souvenir !

  6. Nous ne pouvons pas avoir le moindre souvenir d’avant l’âge de 4 à 5 ans en dehors de ceux suggérés par des proches, ou des relais (comme une photo) ou des psy. Et cela pour une raison simple mais scientifique : les neurones de la mémoire ne sont pas encore fonctionnels parce qu’ils ne possèdent pas de myéline. Alors, cet avion dont tu te souviens , c’est probablement celui de La Mort aux Trousses.

  7. Si, avec ses chroniques politiques très ciblées, le Journal des Coutheillas se prend parfois pour le Canard Enchainé, il ne souhaite pas être Le Hérisson ou l’Almanach Vermot. Autrement dit : on ne peut pas rigoler tous les jours.
    Cette Brève de mon comptoir est un billet d’humeur,. Ce pourrait être l’extrait de mon journal intime si j’en tenais un. C’est la relation d’une flânerie dans un lieu parfois d’une grande beauté, en automne par temps doux, sous un soleil froid d’hiver, mais ce jour là sous une grisaille lugubre et venteuse.
    Une flânerie dans un cimetière peut être mélancolique, mais elle n’est pas nécessairement triste.
    La disposition d’un pot de bruyère et le petit coup de brosse sur la tombe familiale est une habitude à laquelle je m’astreint sans chagrin, un peu comme ces moines qui creusent leur tombe un peu plus chaque jour.
    Et puis, trouver la tombe du petit Marcel et tomber sur le caveau de la belle Oriane, ça valait le déplacement, non ?
    Quant à la mention finale au poulet, si elle peut paraître superflue au premier abord, elle était là pour permettre un retour sur terre.

  8. Paddy me vole la réplique:oserai-je suggérer que la rédaction du Cujas a sédimenté dans l’hypocampe de nôtre rédacteur préféré des souvenirs fantômes?
    Mais là n’est pas le sujet : certes le mois de novembre est sinistre, certes un nouveau virus nous court après, mais est ce une raison pour nous plomber le moral avec visite de cimetière et éléments biographiques dans la foulée?

  9. Un souvenir qui ressemble à un rêve dirait le Docteur Lorenzo (voir sa rubrique du 30/11).

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