Et une pression en terrasse, une !

J’ai entrepris de Karcherisera la terrasse ; 38,25 m2 d’un dallage gris clair posé en opus incertumb il y a quelques années par un tout petit entrepreneur du coin, fantasque, mais cultivé. Au cours des années, une dizaine exactement, cette terrasse ne nous a causé aucun souci : pas d’affaissement, pas de fissure, pas d’ébréchure, rien. Notre petit-fils en est si content qu’il peut tourner autour de la table pendant deux heures d’affilée sur son tricycle 100% plastique. Nous aussi, nous en sommes contents, de la terrasse et du petit fils, quoique nous songions à offrir au second un tricycle avec des roues à pneumatiques à défaut de pouvoir changer le dallage de la première pour un revêtement moins sonore.

Cette année, à la fin de cette période d’hiver marquée par le début de l’exil, nous n’avons pas pu ne pas remarquer que notre terrasse était passée du gris-clair au gris-noir et que, par temps humide, assez habituel dans nos contrées, l’endroit devenait dangereusement glissant. Il fallait agir. Je me suis dit aussitôt que le remède résidait dans un énergique nettoyage au Karcherc, mais que pour cela il vaudrait mieux attendre les premières chaleurs. Ainsi conforté dans ma procrastination, je devais avoir le temps d’écrire au moins la moitié d’un chapitre du Cujasd. Mais c’était sans compter avec le réchauffement climatique par lequel sont venues les premières chaleurs : 17 degrés Celsiuse, pendant six ou sept heures de rang, entre 10 heure et 17 heures (parce qu’avant 10 heures, il faut bien que fonde la gelée blanche sur laquelle se promène le merle musicien, et qu’après 17 heures, la région Nord-Picardie nous rappelle qu’elle ne porte pas son nom pour rien). Mais de 10 à 17 heures, ça laisse quand même du temps : du temps pour ne pas trouver une bonne raison de reporter la chose à demain, du temps pour réaliser que la terrasse ne sera vraiment au soleil que vers 13 heures, donc encore du temps pour sortir tout le matériel nécessaire : le Karcher lui-même et ses accessoires, la pompe qui extraira l’eau du puits, les tuyaux (il en faudra bien deux mis bout à bout) qui l’amèneront jusqu’à l’appareil et les rallonges (pareil que pour les tuyaux) qui l’alimenteront en électricité. On a tout apporté à pied d’œuvre, mais il faut encore déplacer sur le gazon tous ces meubles d’extérieur dont la taille et le poids font toute la qualité.

Tout est en place. On lance le Karcher et tout de suite la forte pression fait sauter l’embout du tuyau d’arrosage au niveau de son raccord sur l’appareil. Tel le cobra royalf, le tuyau se dresse et s’agite en tous sens, crachant son venin à la ronde. Seule une intervention audacieuse parviendra à bloquer la tête du monstre sous le talon de l’homme. Refixer le raccord sur l’appareil ne sera plus qu’un jeu d’enfant. Mais l’enfant en ressortira mouillé.

Le ciel est bleu, le soleil brille, la terrasse est noire et l’appareil jaune ; la pompe ronronne, le Karcher ne demande plus qu’un peu d’électricité et la terrasse est comme l’avenir : dégagée de tout obstacle. L’opération « Et une pression en terrasse, une !» peut commencer.

Le résultat est tout de suite spectaculaire : le pinceau d’eau pulvérisée qui jaillit au bout de ce qui ressemble à un fusil désintégrateur de la Guerre des Étoilesg dessine dans la crasse qui est collée sur le dallage une bande rectangulaire de 4 centimètres de large sur 20.  Elle est si grise qu’elle en parait blanche. Un petit mouvement du poignet, et hop ! voilà encore 4 centimètres sur 20 de nettoyés sans peine. Le problème, c’est que l’appareil fait un bruit d’enfer et que la longueur trop courte, si l’on peut dire d’une longueur qu’elle est trop courte, du désintégrateur impose une position légèrement courbée afin que le bout du fusil ne soit pas à plus de 6 centimètres du sol, c’est primordial. Le bruit ayant l’avantage de couvrir le Reggae du voisin et la position courbée ne devant faire connaitre ses effets néfastes que beaucoup plus tard dans la soirée, on se réjouit d’une telle efficacité. A partir de là, le danger serait d’avancer sans méthode ou même de se laisser emporter par un penchant créatif que révèle immédiatement la possibilité de dessiner par terre de jolies arabesques. Si on n’était pas ramené à la réalité par une épouse intriguée, on pourrait un instant se prendre pour Jackson Pollock en train de peindre son n°1 sur le sol de son atelier de Long Island. Après avoir sacrifié quelques instants à l’Art, il faudra bien revenir aux choses sérieuses et s’organiser un peu. Il appartiendra à chacun de découvrir sa méthode. La mienne c’est le balancement du poignet, nonchalant mais régulier, qui permet donc de couvrir à chaque mouvement une surface de 0,04 x 0,20 = 0,008 m2. Un simple calcul mental vous apprendra que vous parviendrez ainsi à bout des 38,25 m2 quand vous aurez accompli 4812 mouvements du poignet. Pour éviter un découragement précoce, il est conseillé d’effectuer le calcul plutôt après qu’avant l’opération.

J’ai un dernier conseil : ne Karchériser qu’environ les deux tiers de votre terrasse et la conserver dans cet état jusqu’à la fin du confinement ; alors vous pourrez faire admirer l’efficacité de votre opération « Et une pression en terrasse, une ! » à vos amis et famille, sans cela personne ne vous croira.  (voir la preuve photographique après les notes de bas de page)

Notes

a-Karcheriser : passer au Karcher

b-Opus incertum : assemblage de pierres ou de dalles en bordel total.

c-Karcher : nettoyeur haute pression ressemblant à un fusil désintégrateur de la Guerre des Étoiles branché sur des bouteilles de plongée Cousteau ; inventé par Johann Friedrich Kärcher, né à Vienne en 1650 et mort dans la misère et la Haute-Vienne en 1726.

d-Jacques Cujas : 1522-1590, jurisconsulte, illusionniste-ventriloque français,  ; on se demande bien pourquoi ce type a une rue qui porte son nom.

e-Anders Celsius : 1701-1744, suédois, inventeur du Degré qui porte son nom ; a connu très vite un gros succès commercial malgré les concurrences acharnées de Lord Kelvin et de Daniel Gabriel Farenheit ; n’a jamais réussi à imposer son produit aux USA.

f-Cobra royal : sale bestiole pouvant atteindre 6 mètres (6 mètres de long, bien sûr, pas de large. 6 mètres de large, quelle horreur !).

g-Guerre des Étoiles : saga cinématographique que les distributeurs n’ont jamais été foutus de nous présenter dans l’ordre.

Preuve du nettoyage :

 

 

 

10 réflexions sur « Et une pression en terrasse, une ! »

  1. C’est plutôt un dallage en opus romain car il semble plus certain (carré) que le vrai bazar de l’incertum le

  2. Quant à la pression, je ne sais pas pour quoi je l’ai associé automatiquement a la bière que tu apprécies .. bien fraîche.

  3. OuaUUUUUUUU , trés efficace ; le contraste entre les deux tons et beau, je trouve une bonne inspiration pour imprimer une écharpe !

  4. Effectivement, la différence est… lumineuse!
    Dis-moi, ta femme t’a-t-elle mis la pression pour que tu le fasses, et a-t-elle été impressionnée par le résultat?

  5. Non non c est un vrai Pedro….
    Tu me vois disant « Pedro voulez vous karcheriser? »
    Private joke!!!! (

  6. Pedro, C’est comme ça que tu appelles Pierre quand vous êtes seuls tous les deux, je crois ?

  7. Ah la karcherisation…. comme une preuve d un féminisme établi , eT n écoutant que mon impatience à éliminer les micro champignons qui polluaient mon aire de lecture préférée , l ete face aux montagnes, refusant toute aide, je trainai bravement le lourd engin ( car au début il était lourd l engin) , m encombrais d un dérouleur censé m apporter la longueur de tuyau nécessaire à l expulsion du jet magique et la , en te lisant , je revis tout de ce cauchemar: le bruit, le cobra qui me saute dessus , le découragement devant le peu d avancée,, le calcul du nombre d heures me restant avant la nuit( d ete pourtant!), mon refus obstiné d abandonner la bataille et de remettre le combat à demain: las couverte d un vert immonde qui aurait pu me valoir de figurer ds la pub débile pour je ne sais quel crédit , j abandonnais , en rade terrasse : appelle à la rescousse , le gentil Pedro venu finir le chantier en un tour demain , me dit : c est pas un travail de dame…
    N écoutant que ma mauvaise foi , ce fut Donc ma chere moitié , qui se fit reprocher de ne pas m ‘avoir empêchée…

  8. C’est exact. La comparaison est bonne et c’est ainsi qu’un scientifique américain prônant les gestes barrières contre le Coronavirus a été: sortir sans masque c’est comme sauter d’avion sans parachute.
    Avez- vous remarqué qu’en cette période d’angoisse les prescripteurs rivalisent de comparaisons hasardeuses pour convaincre le vulgum pecus d’adopter les bons gestes barrières?

  9. C’est d’ailleurs bien ainsi que l’on a testé l’efficacité du parachute : un échantillon équipé du dispositif testé et l’autre non.

  10. Bien! La démonstration scientifique de l’efficacité du Karcher a bien été réalisé comme il se doit: une zone traitée par le Karcher et une zone témoin de contrôle non traitée par le Karcher, les deux zones issues du même ensemble et partagées de façon aléatoire (encore que: l’une est au nord et l’autre au sud de l’ensemble; il eut été préférable de traiter au Karcher des bandes de 1 mètre alternées avec les bandes témoins; mais, bon, ça ira comme ça). Nous pouvons donc conclure sans réserves après ce test que l’efficacité du Karcher pour éliminer la galle des terrasses est démontrée. Sans zone témoin, cette efficacité n’eut pas été indiscutablement démontrée. Le Professeur Marseillais Raoult devrait en prendre de la graine: un essai clinique n’a de valeur scientifique que par comparaison entre deux échantillons identiques, l’un recevant le traitement dont on veut prouver l’efficacité, l’autre ne recevant rien (ou un placebo pour qu’il ne sache pas qu’il n’est pas traité).
    On ne badine pas avec les sciences expérimentales scrogneugneu!

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