Archives mensuelles : août 2017

Du xiphophore

Xiphophore

n.m., du grec xiphos, épée, et phoros, qui porte. A ne pas confondre avec senestrophore, du grec phoros, qui porte, et du latin sinister, à gauche.

Le xiphophore est un petit poisson de coloration variée, de six à dix centimètres de long, originaire du Mexique, très fécond et qu’on trouve fréquemment dans les aquariums, à condition de le mettre dedans. Le mâle a la queue pointue, d’où son nom.
Le xiphophore porte à son cou, en souvenir de toi, ce soupir de soie qui n’appartient qu’à nous. Ce n’est pas qu’il fasse froid, le fond de l’air est doux : c’est une nageoire ventrale qui lui permet de se tenir immobile entre deux eaux pour faire la siesta. Comme la plupart des poissons, le xiphophore affiche en permanence une expression béate. C’est parce qu’il baise dans l’eau. C’est très bon pour la béatitude. Au contraire, les gens qui n’ont jamais baisé dans l’eau, comme Adolf Hitler ou Ludwig van Beethoven, affichent volontiers un air revêche.
Au moment de se reproduire, le xiphophore émet un cri strident : « Christiane ! » pour appeler la xiphophorette qui accourt bientôt ventre à flotte, la caudale en feu. S’ensuit alors une danse d’amour effrénée dont le tendre spectacle ne peut que toucher le cœur de tout homme capable de supporter un documentaire écologique marin sans balancer ensuite une grenade offensive dans le lac d’Enghien.

Pierre Desproges – Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis – France Loisirs

La bulle

Il y a des moments où je me demande depuis combien de temps je suis là, immobile, coincée, littéralement comprimée à raison de dix-sept kilogrammes par centimètre carré avec des millions d’autres semblables pour former cette immense galette plate et ronde qui constitue mon univers.

Comment je suis arrivée là, j’en ai perdu le souvenir. Suis-je née là, m’y a-t-on amenée, je l’ignore. Peut-être ai-je toujours été là ? Peut-être y suis-je pour toujours ? Comment savoir ?
Comment savoir aussi pourquoi je suis là, pourquoi nous sommes toutes là, depuis une éternité, sans qu’il ne se passe rien, jamais ? A quoi sert-on ? Servira-t-on un jour ? Quel est le sens de tout ça ?

J’ai essayé de communiquer avec mes voisines d’à côté, de devant, de derrière, mais elles sont comme moi, exactement comme moi, elles ne savent rien, rien de rien.
Comme j’ai la chance d’être à la surface, j’ai eu des occasions Continuer la lecture de La bulle

Ah ! Les belles boutiques – 10

Jurasserie Fine
6 bis rue Ravignan  Paris 18°

La série « Ah ! les belles boutiques »
L’objectif : rendre hommage aux commerçants qui réussissent à conserver l’aspect traditionnel de leur façade de magasin, et les encourager à persévérer.
Le contenu : une photo de la devanture d’un magasin, avec si possible l’adresse et, très éventuellement, un commentaire sur la boutique, ou son histoire, ou son contenu, ou sur l’idée que s’en fait le JdC.
L’organisation : vraisemblablement par quartier de Paris, mais rien n’est certain et on verra bien
Le programme : comme disait Macron : on verra bien.

Un couteau dans la poche

Morceau choisi 

Pas un couteau de cuisine, évidemment, ni un couteau de voyous à cran d’arrêt. Mais pas non plus un canif. Disons, un Opinel n°6 ou un Laguiole. Un couteau qui aurait pu être celui d’un hypothétique et parfait grand-père. Un couteau qu’il aurait glissé dans un pantalon de velours chocolat à larges côtes. Un couteau qu’il aurait tiré de sa poche à l’heure du déjeuner, picorant les tranches de saucisson avec la pointe, un couteau qu’il aurait refermé d’un geste ample et cérémonieux, après le café bu dans un verre —et cela aurait signifié pour chacun qu’il fallait reprendre le travail.

Philippe Delerm – La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules – 1997

 Oui, je sais, c’est cliché… mais c’est chouette quand même, non ?

Nostalgie n°16 – Le faucon maltais

Le faucon maltais
John Huston – 1941
Humphrey Bogart, Mary Astor, Peter Lorre

-Intrigue quasiment incompréhensible du roman de Dashiell Hammett, mais qu’est-ce que ça peut faire ?
-Premier film de John  Huston en tant que réalisateur.
-Premier vrai grand rôle d’Humphrey Bogart, impressionnant.
-Deux excellents acteurs moins connus, dans des rôles secondaires :

Elisha Cook, le petit gangster —l’homme qui tient le journal dans les photos ci-dessous. Cet acteur qui fait ici une prestation extraordinaire a toujours joué les traitres, les pleutres, les minables, mais il le faisait très bien. On se souvient de lui dans « L’homme des vallées perdues » et surtout dans « Ultime razzia« .

Sydney Greenstreet, le gros bandit —l’homme qui fait face à Bogart sur a dernière photo. Tout d’abord acteur de théâtre classique à Broadway —Shakespeare, Ben Jonson— et contemporain —O’Neill, Tchekhov, Giraudoux—, il est passé au cinéma. Surtout connu pour « Le faucon maltais » et pour « Casablanca« , il dégageait une énorme présence, pas seulement due à sa corpulence, mais aussi à son ambiguïté doucereuse.

Sur cette dernière photo, on peut voir aussi, debout en arrière plan, Peter Lorre, toujours inquiétant dans les roles troubles (M le maudit, Casablanca, Arsenic et vieilles dentelles)

Villa triste (Critique aisée 98)

Modiano, pour moi, c’était du passé : oubliée sa « Rue des boutiques obscures« , déserté son « Café de la jeunesse perdue« . Je ne pensais plus à le lire et, à vrai dire, aujourd’hui, j’en suis à me demander si je l’ai vraiment lu, le « Café… » D’ailleurs je ne lis pratiquement plus, occupé que je suis à la construction de mon magnum opus à moi.
Son prix Nobel de 2014 avait un instant remis le projecteur de mon attention sur cet auteur de mon âge, mais la banalité décevante de son discours de réception me l’avait fait vite oublier.
Un an auparavant, son éditeur, Gallimard, avait sorti un livre de 1088 pages, toutes signées Modiano. Il s’agit en fait de la re-publication de dix de ses romans.
J’ai de la chance, pour la fête des pères 2017, on me l’a offert. Alors, par politesse, j’ai lu le premier de ce volume, Villa triste.

Villa triste
(Gallimard, 130 pages, 1975, Prix des Libraires 1976. Impossible de vous donner le prix de vente, occulté par une pastille bleue, c’est un cadeau.)

Un garçon flou, incertain, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il n’est pas ce qu’il prétend être, une grande et belle jeune femme molle, paresseuse, lascive, au passé mystérieux.

Un soi-disant médecin, probablement pervers, peut-être espion, peut-être ange gardien, une ville d’eau, brièvement réveillée pour la saison d’été, avec ses pianos de la plage, ses airs de rumba, ses concours d’élégance, ses oisifs, leurs automobiles, leurs femmes et leurs chiens, d’interminables après-midi, allongés n’importe où dans une chambre de palace, à regarder la lumière baisser, à faire l’amour, sans jamais le décrire ni même le dire, au son feutrés des balles de tennis, une atmosphère à la Souchon…

Un roman à lire l’été, mais pas un « roman de l’été » ; on en sort tout ensommeillé, comme après une longue sieste,

On dirait presque un premier roman, presque un  chef d’œuvre de débutant.