La suite de Balbec – Chap.2-Le Grand Hôtel

Pour vous remettre dans le bain, voici la fin du chapitre précédent :

…Je cherchais Balbec et son Grand Hôtel dans le Guide Michelin, mais ils n’y étaient pas. Je dus me rendre à l’évidence : Balbec n’existait pas. Pas de problème, Google m’apprit en moins d’une minute que Balbec était en fait le faux nom de Cabourg, et qu’il y existait bien un Grand Hôtel.

2-Le Grand Hôtel

J’appelai l’hôtel et je demandai à parler au Directeur. Je lui fis part de mon projet. Un type charmant. Il m’expliqua que lui et toute son équipe seraient ravis d’accueillir un auteur sur les traces du grand Marcel Proust. Il ajouta qu’ils avaient une grande habitude de mon genre de clientèle. En effet, me dit-il, depuis plus d’un demi-siècle, le Grand Hôtel avait l’honneur de recevoir chaque année au moins un écrivain et deux ou trois journalistes ayant le même souci : se replonger dans l’ambiance proustienne du tournant du dix-neuvième siècle. Le Grand Hôtel avait donc mis au point une offre spéciale qu’elle avait appelée « Une suite à Balbec« . Proposée uniquement aux professionnels, écrivains, cinéastes, journalistes et assimilés et pour un séjour minimal d’une semaine, « Une suite à Balbec » comprenait la jouissance de la suite même où Monsieur Proust avait séjourné, le petit déjeuner continental servi dans la chambre, et les deux repas principaux à la table que l’auteur de la Recherche avait honorée de sa présence. Selon les humeurs du temps, le thé pouvait être servi sur la terrasse ou dans le petit salon. La décoration de la suite « Balbec » avait été refaite entièrement l’année précédente, mais en stricte conformité avec ce qu’elle était du temps du grand écrivain. On y avait apporté le maximum de confort moderne compatible avec le respect qui était dû à ce lieu historique, et sur simple demande, le grand écran TV extra plat dissimulé derrière une marine signée Eltzir pouvait être déposé.

L’ensemble était proposé au prix de 3855 € par semaine en haute saison. Comme nous n’étions qu’au mois de mars, le prix ne serait que de 3156 €, champagne non compris.

Cottard m’accorda 4.000 € supplémentaires, à la condition que je fournisse également des photos de l’hôtel et de la suite. Je réservai donc pour une semaine, en me disant que si c’était trop court, je pourrais toujours rallonger de quelques jours à mes frais ou finir l’essai chez moi, à Paris.

Mais depuis quatre jours que j’étais là, je n’avais pas écrit une seule ligne valable. Par contre, d’abord dans le train, ensuite à l’hôtel, quand je décidais de faire une pause dans mes tentatives d’écritures, j’avais commencé « Du côté de chez Swann ». Il ne s’y passe pas grand-chose, mais une fois qu’on s’est habitué à quelques bizarreries, ça se laisse lire. J’avais aussi entrepris de me renseigner sur le bonhomme, comment il écrivait, où, quand, avec quoi, qui il fréquentait, où il habitait, tout ça. Je commençais à le trouver un peu agaçant avec son snobisme et ses émois de jeune fille. Mais, en même temps, sa perspicacité, son incroyable don pour la description, son ironie et surtout sa fragilité me le rendaient sympathique. Je me mis à l’appeler « le petit Marcel ».

Je le connaissais de mieux en mieux, le petit Marcel. Je connaissais aussi de mieux en mieux le Grand Hôtel, que je parcourais en tous sens, à la recherche d’une entame pour mon « Proust en vacances ». La grande salle à manger, les salons, l’escalier d’honneur, l’ascenseur –aujourd’hui sans liftier-, les cuisines, le couloir des chambres du personnel, même le bureau du Directeur, j’avais tout visité. Mais je n’arrivais toujours pas à écrire une ligne valable.

Je me dis que je ne m’étais pas assez mis en condition. J’étais bien dans le même hôtel que lui, dans la même chambre, devant la même mer, mais j’écrivais à l’aide d’un clavier, sur mon MacBook, je regardais l’écran géant de la télévision, je passais des coups de fils avec mon iPhone.

Le petit Marcel, lui, il écrivait au stylo, dans des carnets ou sur des petits bouts de papier, ses paperoles, comme il disait. Quand il s’ennuyait et qu’il n’était pas trop fatigué, il partait visiter les églises de la région en calèche. Sinon, il regardait passer les jeunes filles sur la promenade. Et quand il voulait parler à sa grand-mère restée à Paris, il lui passait de temps en temps un téléphonage.

Le temps pressait. Il fallait que je rentre davantage dans le cadre. Je fis enlever la télévision de la chambre et je confiai mon Mac et mon iPhone au coffre de l’hôtel. J’en profitais pour demander au concierge de m’indiquer la librairie-papeterie la plus proche.

Les Cahiers du Temps, me dit-il. Vous traversez les jardins du Casino derrière l’hôtel, vous prenez l’Avenue de la Mer, tout droit jusqu’ à la rue du Caporal Chassignol. Vous prenez à gauche en restant sur le trottoir de gauche et vous tomberez dessus. Vous ne pouvez pas vous tromper.

Il ferait bientôt nuit. Pour un mois de mars, il faisait sacrément froid. J’avais remonté le col de ma parka sur mes oreilles et enfoncé mon bonnet jusqu’aux yeux. Le brouillard commençait à tomber sur l’Avenue de la Mer. Quand j’arrivais dans la rue du Caporal Machin, on n’y voyait presque plus rien. J’avançais prudemment en longeant de près la façade des immeubles. A un moment, je butai dans je ne sais quoi et je m’affalai sur le sol en me cognant violemment la tête contre quelque chose d’incroyablement dur.

-Acréroneteudiouderoneteudiou ! jurai-je en m’adressant au trottoir. Acréroneteudioudemordeldeberde !

A suivre…

Le chapitre 3 de cette passionnante aventure, et c’est pas fini, sera disponible ici même et ce, dès demain.

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