Histoire de Dashiell Stiller (extrait)

Lundi 26 octobre 1942

Premier jour de mon journal. Ça fait trois mois que je suis là mais c’est juste aujourd’hui que je commence. C’est Claude qui m’a dit de le faire. Il m’a donné des raisons pour ça : pour m’occuper et pour me souvenir plus tard. Mais moi, je commence à le connaître, Claude. Je l’aime bien, il m’a sauvé la mise une fois. Mais c’est un révolutionnaire, c’est plutôt un agitateur qu’un mouton. J’ai compris que ce qu’il voudrait vraiment c’est pour plus tard qu’il y ait des témoignages, des gens qui racontent ce qui se passe vraiment ici. Vu comme c’est parti, c’est probable que dans pas très longtemps, des gens, il y en aura plus beaucoup. Mais des trucs écrits, si on les cache bien, avec un peu de chance, ça pourra être retrouvé plus tard quand tout sera fini.
Donc voilà : un peu pour lui faire plaisir, un peu pour m’occuper, j’ai décidé de commencer mon journal. Bon mais là, j’ai plus le temps. Il va bientôt faire jour.

Mardi 27 octobre

Avant de commencer à raconter ce qui se passe dans le camp, pour que les gens comprennent bien, il faut que je dise un peu ce qui s’est passé avant. Alors voilà : après trois ou quatre jours à Drancy, on nous a bouclés dans un train sans rien nous dire d’où on allait ni quand ni comment ni pourquoi. Ça discutait ferme dans les wagons à bestiaux où ils nous avaient mis. Y en avait qui disaient qu’on partait pour travailler dans les mines du Nord, d’autres qu’on allait creuser des tranchées pour les Allemands sur le front russe, et d’autres qu’on allait dans un camp de prisonniers en Alsace. N’importe quoi. Y en avait surtout beaucoup qui disaient rien, qui pleuraient, qui gémissaient, qui priaient. Moi je pensais pas, je savais pas, j’avais peur. J’essayais d’avoir un peu plus que ma part d’eau et de pain. Je poussais pour m’approcher de la petite ouverture grillagée pour respirer un peu. J’avais oublié Simone et Casquette et le Marquis. J’étais plus l’ancien petit voyou de la bande du Suédois, le type qui faisait peur aux bourgeois, ni le mec à la coule qui savait parler aux femmes. J’étais plus le patron du plus beau claque de Paris. J’étais plus rien. J’étais comme un chien peureux. Je cherchais plus qu’à éviter les coups et manger et boire de temps en temps.  J’étais devenu un animal. Et j’étais pas le seul, vu que ça commençait à sentir vraiment mauvais dans le wagon.

Quatre jours, on a mis à arriver à Spandau près de Berlin. On nous a fait descendre sur le quai, sauf un homme et un enfant parce qu’ils étaient morts. On a eu droit à de l’eau et une soupe. On a eu le droit de marcher aussi, un peu. Il faisait pas froid et ça faisait du bien. Mais ça n’a pas duré : un officier est venu, il est monté sur un tabouret et il a parlé deux-trois minutes. Moi je comprenais pas grand-chose mais on m’a dit après : on était tous des juifs polonais et on nous ramenait dans notre pays d’origine ; on allait nous placer dans des fermes ou dans des usines pour la durée de la guerre. Nous, on n’a pas crié de joie, mais quand même on était plutôt soulagés, parce que depuis Drancy y en avait qui n’arrêtaient pas de dire qu’on nous emmenait à l’abattoir.

Bon, j’ai presque plus de papier, faut que j’arrête.

(…)

Ces lignes qui constituent le début du journal de Samuel Goldenberg sont extraites de « Histoire de Dashiell Stiller », roman disponible sur Amazon.fr. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *