Chronique des années cinquante
8 – La Deux-Chevaux (rediffusion)
Tout le monde vous le dira : c’était une voiture extraordinaire.
Le toit de notre première Deux-Chevaux était fait d’une toile grise qui commençait sur le haut du pare-brise et s’achevait à la hauteur du pare-chocs arrière. On l’enroulait sur elle-même jusqu’à la vitre arrière pour décapoter la voiture. On la relevait depuis le pare-chocs arrière jusqu’à la custode pour accéder au coffre.
Elle avait quatre portes si souple qu’on aurait pu se les claquer sur les doigts sans se faire de mal. La partie supérieure des vitres des portières avant était fixe tandis que la partie inférieure pouvait se relever. Ça permettait de passer négligemment le bras
à la portière de cette superbe décapotable et, de temps en temps, de prendre, juste sur la pointe du coude, le choc de la vitre qui se rabattait violemment quand le clip qui la maintenait décidait de se détendre un peu.
Il y avait des tas d’innovations amusantes : les sièges étaient faits d’un entrelac de sandows recouverts d’une toile légèrement molletonnée ; la jauge d’essence était une grande tige orange que l’on plongeait dans le trou du réservoir ; le balayage des essuie-glaces dépendait de la vitesse de la voiture. Mais le plus chouette c’était le balancement mou de la suspension et le bruit du moteur. La deux chevaux a été fabriquée pendant quarante-deux ans, et bien des améliorations lui ont été apportées au cours du temps, lissant peu à peu le caractère exceptionnel de cette bizarrerie. Mais une chose a été conservée, une chose qui fait se retourner avec émotion une bonne moitié des français : le bruit du moteur. On a dit qu’Alfa-Romeo était attentif à retrouver pour chaque nouveau modèle le son spécifique de la marque. Je ne sais pas si Citroen a eu le même souci mais, volontairement ou non, pour la Deux-Chevaux, ils ont réussi.
Nous avons eu plusieurs Deux-Chevaux successives, qui passaient de main en main dans la famille. Jamais nous ne les avons appelées cavalièrement « la deuche » ni de manière affectée par un prénom féminin du genre de « Rosalie » ou « Ginette ». Nous disions seulement » la Deux-Chevaux » : « Est-ce que tu as besoin de la Deux-Chevaux ? » ou bien « Tu as fait le plein de la Deux-Chevaux ? »
C’est sur cette voiture que j’ai commencé à conduire, vers douze ou treize ans, d’abord accompagné sur les chemins de la forêt de Lyons, puis seul dans le grand pré aux pommiers. Jusqu’à ce que j’atteigne l’âge légal pour conduire, je me suis bien sûr perfectionné sur d’autres voitures, dont je parlerai peut-être un autre jour, mais à partir de l’obtention de mon permis, la deux chevaux de l’époque me fut réservée. Elle était belle, elle était verte et elle avait deux carburateurs, ce qui lui permettait de « taper le 110 ». Son numéro d’immatriculation est l’une des dernières choses que j’oublierai : 3610 BT 75