Aventure en Afrique (48)

Nous retournons au Niger. Cette fois-ci, ce n’est plus Géraud mais Chantal, son épouse, qui nous fait part de ses premières impressions de femme de coopérant, pharmacienne de surcroit. 

  Il y a cinquante ans, début janvier, je partais rejoindre Géraud, mon époux qui effectuait son service militaire dans le cadre de la coopération technique, au Niger. C’était mon premier grand  voyage par avion pour une destination méconnue : le Sahel !

Deux mois auparavant, par un concours de circonstances inespérées, j’avais rencontré un pharmacien de Toulon, qui s’apprêtait, par un itinéraire transsaharien, via la Méditerranée et l’Algérie, à rejoindre le Niger. Il lui était nécessaire d’avoir un pharmacien assistant, remplaçant, dans son officine de Niamey…

Je suis arrivée par une chaleur torride insoupçonnée, elle venait du sol latéritique rouge de la piste du petit aéroport. Aux formalités de douane et à la récupération de mon bagage, le personnel était noir, peu de blancs. Je retrouvai mon mari accompagné de quelques-uns en tenue saharienne, d’autres en boubou.
Géraud était venu me chercher en  2CV, véhicule d’exportation rustique  qu’il avait acheté à son prédécesseur. Il me fit découvrir la case de passage, où il avait vécu avant mon arrivée, case dite “des infirmières“ située dans un  quartier populeux  au milieu des cases africaines en banco. La cour était  agrémentée d’un cassia et entourée d’un haut mur,  rougi par la poussière du sol, là au soleil se doraient des margouillats. Le  soir de mon arrivée, Géraud décide de me faire faire un tour de ville en voiture, je suis surprise par la tombée très rapide de la nuit, peu d’éclairage public, de grands passages dans l’obscurité  profonde (nous sommes en zone tropicale proche de l’équateur).Seuls les phares de la voiture éclairaient la route ensablées, quelques arbres difficilement visibles bordaient les grandes voies, autour le noir absolu… .
Soudainement des milliers de « lucioles », petites lumières des lampes à huile ou à pétrole des seuils des cases apparaissent, certaines sont ambulantes portées  par les africains dont la silhouette se confondait avec l’obscurité de la nuit. Nous arrivons sur le pont Kennedy, éclairé seulement par les lampes qui se déplaçaient. C’était le seul pont qui enjambait le fleuve Niger à cette époque. Nous retrouvons plus près de nous des foyers à brochettes sur de minuscules esplanades, (délaissés du bord de route) où les lumières s’agitent en  va et vient. C’est la vie nocturne des africains à l’abri de la grande chaleur diurne !  Faisant demi-tour après la traversée du pont, nous faisons face au centre-ville perdu dans l’obscurité. Tout en roulant nous apercevons deux grands immeubles modernes, passant à leur pied, nous apprécions leur grande hauteur : La «SONARA » et  « EL  NASSER ».

 Ma première visite de nuit s’arrête là, avec l’impression de la démesure de ces immeubles au ras des constructions traditionnelles en banco, sans étage.

      Quelques jours après, je venais à la pharmacie ; c’était un bâtiment  à murs épais, de style colonial s’étirant en bordure de la place du marché : un quai surmonté d’une galerie à piliers et d’un fronton à claustras, l’ensemble de couleur blanche imprégnée de poussière de sable rouge. En arrière deux grandes vitrines sans publicité ni décoration, pour la lumière du jour, étaient celles de la pharmacie, une troisième celle du magasin de photos « Kodak  », attenant. Le tout appartenait au pharmacien titulaire qui m’embauchait : Louis-Henri Mouren.
Sitôt les marches du quai franchies, je trouvai un premier personnage : le gardien, adossé à un pilier, un grand noir, petit chapeau noir sans bord style
“chéchia ”, édenté. Quelques doigts restaient à ses mains abimées par la lèpre blanchie. Une tunique beige laissait apparaître ses jambes maigres dont les pieds retenaient avec peine des « samaras ». Une béquille ancienne, dans le creux de son épaule le soutenait. De sa béquille, redoutable et menaçante, il faisait fuir les enfants espiègles, les estropiés, les culs de jatte qui venaient mendier.
J’entrais dans le magasin, l’air frais,  contrastait avec le dehors où la chaleur était à peine soutenable. Dans la mie-ombre, de grands ventilateurs, tels des hélices d’avion pendaient au plafond. De hautes étagères tapissaient les murs, deux longues échelles y étaient adossées ; au sol le comptoir en « L », avec à l’angle la caisse. Celle-ci était actionnée par une manivelle et ne distribuait pas de tickets. Elle recevait les pièces de monnaie, les billets (francs CFA), des carrés de papier « bons », estampillés ou signés, ils servaient ultérieurement à établir les factures correspondantes, adressées ensuite aux payeurs ! C’était la gestionnaire, Mme Havard dit Duclos, épouse d’un adjudant-chef cantonné sur la base aérienne française de Niamey, qui tournait la manivelle. Grande femme, quillée sur des talons compensés, menant à grands éclats de voix et à grands pas le personnel africain (trois employés noirs). Elle assurait le « public relation » surtout avec les blancs ! Elle avait peu de connaissances médicales.
Cela contrastait avec Jean, d’origine dahoméenne (Bénin), de petite taille, rond, ancien infirmier de l’armée française. Il était catholique et avait quatre épouses qu’il devait honorer à tour de rôle dans leurs différents logements ! Il servait les clients, assurait des soins à l’infirmerie. Il était responsable des commandes et des relations avec le service des douanes. Pour ce service il fallait fournir toujours «  quelque chose » : des liasses de papiers (imprimés de déclarations) et de la « monnaie cadeau » !
Boubacar, grand mince, jeune, portant des lunettes, à la démarche nonchalante, intellectuel, d’ethnie Haoussa, était surtout vendeur, parfois magasinier.
Par un passage  on accédait, au bureau en partie vitré. Il y avait là le coffre-fort, une étagère avec quelques dossiers, un réfrigérateur, une table et deux chaises.  Venait ensuite l’arrière-boutique occupée par des rayonnages et de petites réserves. C’était le domaine d’Ibrahima. Il recevait, plaçait les commandes et, par une sorte de passe-plats, il fournissait les médicaments à l’appel de Boubacar  dans un langage commun : « Brema ! 3 aspirines ». Ibrahima était petit, mince, plus âgé et d’ethnie Djerma. Il était musulman,  s’interrompait pour faire sa  prière sur un petit tapis qu’il orientait.
Ces trois personnages parlaient le français, langue nationale, savaient le lire. Ils parlaient aussi les langages de leurs ethnies avec les clients. Ils avaient en commun une expression phonétique « voualaï », en français « nom de Dieu », exclamation qu’ils utilisaient souvent, signifiant l’étonnement, l’admiration, la stupeur… .

Par les petites réserves, on débouchait dans une ruelle interne à ciel ouvert. Sur un côté elle donnait accès à de grandes réserves, l’air  était confiné, surchauffé, brulant même, on y travaillait seulement le matin dans la pénombre, seules les portes ouvertes donnaient de la lumière. Les médicaments  étaient protégés dans les caisses d’arrivage, en bois, empilées en guise d’étagères. En suivant on trouvait un petit laboratoire et l’infirmerie,  qui faisaient face à un escalier menant   à l’appartement, en étage de M. Mouren. Un bout de la ruelle était muré, l’autre avait une porte, cette dernière donnait sur une rue passante.
A l’arrière comme à l’avant de la pharmacie, se tenaient des « kaya-kaya » (petits marchands à étal réduit), une foule grouillante, colorée, de marchands ambulants, de passants, de mendiants, de clients, déferlaient… !
Le gardien surveillait !

A SUIVRE 

Une réflexion sur « Aventure en Afrique (48) »

  1. Agréablement surprise de lire le récit de Chantal, comme nous en avions parlé se serait super de faire un livre de tous vos écrits !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *