Rendez-vous à cinq heures avec une façon d’aimer

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Critique littéraire
par Lorenzo dell’Acqua
Une façon d’aimer
Dominique Barberis, 2023

A la différence de Modiano, D. Barberis, l’auteur du roman « Une façon d’aimer », ne se nourrit pas de bribes de souvenirs mais de bribes de témoignages. Son imagination comble les vides pour inventer une histoire cohérente alors que celles de Modiano restent toujours floues. Son roman, plus proche de Maupassant, est criant de vérité en particulier sa description de la vie coloniale en Afrique à la fin des années cinquante ; on s’y croirait.

 « Une façon d’aimer » est une histoire banale comme en vivent beaucoup de gens dont on n’entendra jamais parler et qui ne seront jamais des héros. Aux yeux de son auteur, ils le sont autant que Madame Bovary. Ses personnages obscurs, pour ne pas dire quelconques, ressentent un jour la même chose que les personnages de romans : la passion. D. Barberis nous dit que la passion existe aussi chez ceux qui, intellectuellement, culturellement, socialement, n’en sont pas les protagonistes classiques. Elle redonne leurs titres de noblesse à tous ceux qui ont connu pour de vrai ce que les romans racontent pour de faux. Eux, ils l’ont vécue, ils en ont souffert et parfois ils en sont morts. Qui le dit, qui le raconte, qui le sait ? C’est surement une de ses qualités de réussir à intéresser les lecteurs à des gens banals dont l’histoire n’est exceptionnelle qu’à leurs propres yeux.

Pourtant, je n’ai pu me projeter dans aucun de ses personnages. Est-ce parce qu’elle les décrit de façon trop lissée, sans véritables défauts mais sans véritables qualités non plus ? On devine cependant que l’aventurier coureur de jupons, le médecin célibataire, le boy hostile, la grand-mère autoritaire en ont mais l’auteur fait le choix de ne parler que de leurs bons côtés : l’aventurier est sensible, le médecin humain, le boy affectueux et la grand-mère généreuse. Ce parti pris s’appelle la bienveillance sans laquelle il n’y a pas de vie affective possible en famille comme en amitié.

En évoquant la bienveillance et la passion, le roman de D. Barberis exprime à sa manière un aphorisme bien connu : « L’amour est aveugle et l’amitié ferme les yeux ». Il pose aussi une autre question : la bienveillance est-elle une qualité ou un défaut, justement parce qu’elle ne retient que les qualités et oublie les défauts ?

« Une façon d’aimer » m’a aussi plu parce que c’est une fiction indiscernable de la réalité. Est-ce que tous les grands romans qui j’ai aimés ont cette particularité ? Impossible de le savoir quand ils se passent dans une époque, une société, un lieu, dont nous ignorons tout. Certains pensent que les grandes idées et les grands sentiments sont universels, intemporels et touchent tout le monde. Je n’en suis pas si sûr et les événements actuels auraient tendance à prouver le contraire.

5 réflexions sur « Rendez-vous à cinq heures avec une façon d’aimer »

  1. Pour des raisons mystérieuses mais probablement techniques, Lorenzo ne peux plus placer de commentaires sur le JdC. Je publie donc sous mon nom ce commentaire qu’il vient de m’envoyer :

    « Question 1 : Les histoires ordinaires et les personnages du même métal peuvent-ils faire de la bonne littérature ?
    Question 2 : Ne doit-on lire et apprécier que les romans qui parlent de ce que l’on connait ?
    La question 2 comporte en réalité trois questions : 1 « doit-on », 2 « apprécier ? » et 3 « ce qu’on connaît ». D’emblée éliminons la deuxième qui ne se pose en réalité jamais car les lecteurs honnêtes comme ceux du blog n’apprécient que ce qui leur plait. « Doit-on » me chagrine dans doit-on lire ? Est-ce une obligation de lire ? Est-ce un devoir ? Et cela pose une vraie question dont la réponse me semble être le reflet de ce que nous sommes. Lit-on par plaisir ou par devoir ? La réponse pourrait être ; les professionnels lisent par devoir, les amateurs par plaisir. Qu’est-ce qui nous fait choisir tel roman plutôt qu’un autre ? Notre culture peut-être, mais quand on n’en a pas ? Je me souviens que j’ai longtemps choisi mes livres en fonction de la page de couverture : l’illustration ou la photo me plaisait, je l’achetais ! On lit ce que nous conseillent de lire nos professeurs, nos parents, nos amis, et on lit les auteurs que nous apprécions déjà. Personnellement, je me fie aux critiques littéraires de Télérama (eh oui !) et du Figaro Magazine non pas pour leur pertinence que je suis incapable d’apprécier mais parce qu’elles me donnent ou non l’envie de lire le livre. Cette façon de procéder me convient et je continue à la pratiquer. Comme l’a dit Aragon, la critique littéraire devrait être une pédagogie de l’enthousiasme et je trouve qu’il a raison. Quel est l’intérêt d’écrire une critique négative ? Est-il honnête de détruire un travail dont la majorité d’entre nous est incapable et, surtout, même si nous l’avons détesté, il se peut qu’un ou des milliers d’autres lecteurs l’apprécieront. Prenons par exemple et au hasard les films de Claude Sautet qui donnent un aperçu des divergences d’opinion. La seule chose quoi compte, c’est que l’œuvre ait plu à certains et peu importe s’ils ne sont qu’une minorité (et vis versa).
    Voilà pour la première partie de la proposition
    En ce qui concerne la troisième question, je ne crois pas qu’il y ait de débat. Comme le disait un critique célèbre dont j’ai oublié le nom, l’histoire n’a aucun intérêt, il n’y a que le style qui compte. Une bonne histoire mal écrite est illisible alors qu’une histoire banale ou inintéressante à nos yeux mais bien écrite nous plaira (ce qui répond aussi par la même occasion à la première question). Le roman de Dominique Barberis l’illustre bien. Mais je suis convaincu que pour faire un GRAND roman, il faut un bon style évidemment mais aussi une bonne histoire et une bonne histoire peut très bien raconter des comportements et des sentiments ordinaires. C’est même ce que nous démontrent Flaubert, Barberis et Coutheillas.»

  2. Je n’ai pas lu le dernier Barberis, ni le premier d’ailleurs, ni même le précédent. Je n’ai donc pas « critiqué » en bien ou en mal ce nouveau prix de l’Académie Française. Ç’eut été malhonnête de ma part. Et si l’Académie Française prenait ce prétexte pour me refuser mon fauteuil, ce serait infâme.
    Je me suis limité à dire que ta critique mitigée n’engageait pas à lire le dit bouquin. Le critique non appointé par l’éditeur n’est pas chargé de la promotion du livre. Ton avis a simplement entraîné chez moi une impression défavorable.
    Pour le reste, j’ai voulu donner mon avis sur les questions soulevées par ton texte et j’aurais préféré une réponse argumentée, par exemple sur :

    — les histoires ordinaires et les personnages du même métal peuvent-ils faire de la bonne littérature ?
    — Ne doit-on lire et apprécier que les romans qui parlent de ce que l’on connait ?

    Mais bon.

  3. Lariégeoise, Bruno, René-Jean et la plupart des lecteurs de ton blog ont été surpris de ta critique virulente de ma critique mesurée du Grand Prix du Roman de l’Académie Française 2023 attribué à Dominique Barberis. D’après nos premières informations, il semblerait que tu aies réussi à te mettre à dos les 40 membres de cette illustre Académie à laquelle tu postulais hier encore.

  4. C’est bien dommage, mais cette critique de « Une façon d’aimer », roman de Dominique Barberis, ne m’a donné aucune envie de le lire.
    Déjà que j’ai trop de bouquins sur ma table de nuit (Il se trouve que c’était récemment mon anniversaire et que j’ai reçu une avalanche de bouquins, le dernier Modiano, un Salman Rushdie, des souvenirs parisiens de Thomas Mann, un recueil de dessins de Voutch, un autre de Sempé, un nouveau Black et Mortimer…) en plus, j’avais entrepris auparavant la relecture des Mémoires d’Hadrien et en même temps mais en alternance la lecture d’une biographie de Napoleon III) alors un livre de plus, non merci. Le fait qu’il soit différent de ce que fait d’habitude Modiano n’était a priori pas pour me déplaire, mais quand je lis sous la plume de Lorenzo :
    « une histoire banale comme en vivent beaucoup de gens »
    « elle (les) décrit {les personnages} de façon trop lissée, sans véritables défauts mais sans véritables qualités non plus »
    « l’auteur fait le choix de ne parler que de leurs bons côtés 
    »,
    ce n’est pas fait pour m’enthousiasmer, surtout à un moment où il y a tant de concurrence (voir ci-dessus) et où je n’ai pas fini de relire pour la 4eme fois l’Histoire de Dashiell Stiller.
    Par ailleurs, ce qui me gêne dans la critique de cette « Façon d’aimer », c’est la distinction que l’on veut faire entre des héros ou plutôt des personnages ordinaires de roman comme celui de Dominique Barberis et les héros habituels, « protagonistes classiques » des romans vraiment romans (il y a un mot, c’est romanesque, mais je trouve que roman-roman, c’est plus fort encore)
    Qu’est donc Emma Bovary si ce n’est une petite emmerdeuse ordinaire, écervelée, obstinée et déboussolée par les romans à l’eau de rose qui l’ont formée (ou plutôt déformée). Emma Bovary est un personnage tout ce qu’il y a d’ordinaire, tout ce qu’il y a d’exemplaire d’une catégorie de petites gourdes. Sa seule caractéristique héroïque, c’est qu’elle se suicide (gravement même). Mais combien de petites gourdes ordinaires ne se sont-elles pas suicidées ?
    Bien sur, il y a la littérature héroïque. D’Artagnan est un héros, Julien Sorel, Ulysse aussi et de même le Romain Gary de la Promesse de l’aube, le Roland de la chanson, le Général De Gaulle des Mémoire de Guerre, et des milliers d’autres de ce type. Fictifs ou réels, ils ne sont pas des hommes ordinaires et leur histoire peut être passionnante. Mais une partie importante, peut-être la plus importante, de la littérature fait vivre des gens ordinaires : Emma Bovary, je l’ai dit, Frédéric Moreau, le George des Souris et des Hommes, Holden Caulfield de l’Attrape Coeurs, tous ceux-là sont des gens ordinaires mis en scène dans des chefs d’oeuvre où pas grand chose d’extraordinaire ne leur arrive.
    En quoi « l’aventurier sensible, le médecin humain, le boy affectueux et la grand-mère généreuse » sont-ils différents d’Emma l’insatisfaite, George le débrouillard, Holden le fragile ?
    L’essentiel n’est pas que les personnages de D.Barberis soient différents, plus plats, plus ordinaires que les personnages des romans habituels, mais que leur créateur, ici une créatrice, les fasse vivre (et peut-être mourir) et les amène de belle façon vers un dénouement inattendu ou vers une fin ouverte.
    Encore une chose :
    « Ce parti pris s’appelle la bienveillance »
    Je pense que la bienveillance trop bien distribuée n’est pas en général un point du vue littéraire qui puisse mener à de la bonne littérature (même les contes de fées de nos enfants n’en use que rarement). La bienveillance concentrée sur un personnage ou sur un groupe de personnages est acceptable, et même souhaitable pour l’effet de contraste, mais si c’est sur tout le monde, on risque de s’emmerder pas mal au pays des Bisounours.

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