Les corneilles du septième ciel – Critique aisée n°263

Critique aisée n°263

 Les corneilles du septième ciel
Lorenzo dell’Acqua

C’est un texte à la fois complexe et compliqué que ces Corneilles du septième ciel. Il mériterait sans doute une analyse psychologique poussée. Mais, comme je le répétais à RJR à chaque fois qu’il cherchait à m’entrainer dans des débats crypto-universitaires qui auraient exigé de ma part des connaissances dans ce qu’il est convenu d’appeler les sciences molles : je ne suis pas équipé pour, je n’ai pas les outils nécessaires“. De plus, ça ne m’intéresse pas.
Je vais donc tenter de l’analyser sur le plan littéraire. Ne m’en demandez pas davantage, c’est déjà assez difficile comme ça.

Le genre tout d’abord :
Alors qu’elles avaient été émises en réponse à un jeu littéraire du type cadavres exquis lancé au bon temps du confinement, l’auteur des Corneilles s’est rapidement affranchi des règles oulipiennes pour en faire un texte personnel dans lequel les traditionnelles interventions alternées d’autres auteurs n’étaient plus nécessaires, ni même désirées. Et c’est tant mieux, car aucun collaborateur occasionnel du fameux Journal des Coutheillas dans lequel cette chronique a paru et paraît encore n’aurait pu suivre le rythme imposé, à supposer qu’il l’eut souhaité.
Une fois le genre cadavres exquis abandonné, l’auteur des Corneilles a versé très vite et de toute évidence dans l’autofiction. Pour ceux qui n’ont pas d’accès à Wikipedia, rappelons ici ce qu’elle nous dit de ce nouveau genre littéraire : “une autofiction ou roman personnel est un genre littéraire situé au croisement entre un récit réel de la vie de l’auteur et un récit fictif explorant une expérience vécue par celui-ci.“
Certes, les Corneilles ne sont pas écrites à la première personne du singulier et aucun personnage ne porte ouvertement le nom de l’auteur. Il arrive même que celui-ci s’incarne dans plusieurs personnages différents. Il n’en demeure pas moins que, malgré ces transgressions des règles du genre, les Corneilles sont bel et bien une autofiction. D’ailleurs, les prénoms et les patronymes des personnages, leurs occupations, les noms et description des lieux dans lesquels ils les exercent sont d’une transparence telle qu’elle révèlent la volonté de l’auteur de ne rien dissimuler de la réalité qui l’inspire.

Et maintenant, la forme :
Les Corneilles sont écrites dans un style fluide, homogène et contrôlé que la prolixité ne parvient pas à essouffler. Plus d’une trentaine de chapitres écrits, comme dirait leur auteur, sans débander montre une maitrise et un goût de la langue pour la langue et, surtout vers la fin, pour le loufoque. Fluide, homogène et contrôlé, le style adopté se veut également objectif. Il n’est pas sans rappeler celui des commentaires en voix off des documentaires sur l’élevage de la sardine tigrée dans l’arrière-pays quimpérois ou la récolte des spaghettis dans le Haut-Adige, spectacles de première partie des films de Gary Cooper que nous allions voir à l’Alesia Palace de l’Avenue du Général Leclerc.

Mais la forme d’une œuvre littéraire ne se limite pas au style. Elle se définit également par le point de vue, la chronologie et l’usage de quelques techniques d’écriture.

Pour ce qui est du point de vue narratif, à l’évidence c’est celui du narrateur omniscient qui a été choisi, manœuvre évidente pour tenter, sans grand succès, de dissimuler le caractère autofictionnel de l’œuvre. C’est le point commun que j’ai trouvé entre les Corneilles et les Commentaires sur la guerre des Gaules, dans lesquels, on le sait, Jules César s’offrait le plaisir de parler de soi à la troisième personne.

Avec l’exposé des péripéties, celui de la psychologie et des pensées intimes des personnages principaux constitue l’essentiel du texte. On pourra regretter cependant, mais c’est probablement un choix de l’auteur, l’absence presque totale de description physique des gens et des lieux, ainsi que la rareté des dialogues.

Et pour finir, le fond :
C’est là toute la difficulté. Définir ou même seulement résumer le fond des Corneilles s’avère difficile sinon impossible, tant il est à la fois diffus et multiple. Il arrive un moment où l’on perd pied et où l’on en vient à se demander où est le fond, justement, et quel est le but recherché par son auteur.
Veut-il raconter l’histoire de Françoise, d’Annick, de Myriam, de Philippe le psychanalyste, de Philippe C l’écrivain, ou de Lorenzo le mystérieux ou encore d’autres personnages éphémères comme Pierre, Edward et Jean Passe. En fait, et la publication en feuilleton n’y est pas pour rien, la recherche et la découverte d’un fil conducteur dans cette histoire foisonnante s’avère difficile, à moins d’être prêt à des recherches archéologiques ardues dans des épisodes précédents ou, plus difficile encore, à paraitre.
Ou bien veut-il exprimer son actualité immédiate personnelle en la transposant dans un cadre fictif à peine déguisé ?
Ou bien encore, veut-il faire connaitre ses gouts en matière de cinéma et de littérature, citer quelques-unes de ses maximes et autres aphorismes tirés de sa collection personnelle, développer quelque théorie psychologique ou vulgariser quelque technologie spécialisée en enrobant le tout dans un récit foisonnant ?

À moins qu’il ne veuille tout faire à la fois.

Et maintenant, il faut conclure :
Les Corneilles du septième ciel sont le récit touffu d’une réalité personnelle transposée,  agrémenté d’un grand nombre d’incises aux sujets variés et indépendants du récit lui-même et de citations et aphorismes parfois tout aussi indépendants.
L’oeuvre gagnerait certainement à être publiée en une seule fois, chez Amazon par exemple, après bien entendu que l’auteur ait procédé à quelques coupes et simplifications et consenti à l’adjonction de notes explicatives en bas de page. Omnibus completis, et selon un usage bien établi entre écrivains, je me ferai un devoir de poster chez l’éditeur des Corneilles un avis tout ce qu’il y a de plus favorable.

2 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel – Critique aisée n°263 »

  1. J’ai évidemment apprécié à sa juste valeur le commentaire de Madame L. sur mes Corneilles et son allusion à une ressemblance plus que flatteuse avec Ulysse de James Joyce qui m’a semblé au demeurant quelque peu excessive.

  2. La classe, la classe absolue cette critique aisée: des jours et des jours que je lis avec perplexité les Corneilles de Lorenzo: amusée par la loufoquerie , émue souvent par l’autobiographie patente, incapable en tout état de cause de formuler un commentaire au cas par cas: pour moi ce texte s’apparente à l’Ulysse de JOYCE: un torrent charriant les d états e conscience de l’auteur;
    Oui ce texte mériterait une édition complète….
    On lit la critique aisée , pas aisée en l’occurrence de Ph , et on se dit la classe , un auteur en félicite un autre…
    Et puis la pirouette finale: Avec subtilité et humour, Ph
    titille notre mollesse amazonienne….
    Bravo l’artiste!

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