Les corneilles du septième ciel (36)

Chapitre 36

Comme à tous leurs collègues, la Mésopotamie posait un problème insoluble à Annick et Pierre. Avant même les destructions systématiques de Daech, les vestiges de cette civilisation avaient déjà en grande partie disparu. A l’époque de leurs fouilles amoureuses, il ne restait déjà pas grand-chose de cette civilisation qui rivalisait jadis avec sa voisine égyptienne. Chez les Mésopotamiens, tout reposait sur la terre cuite : l’habitat mais aussi l’écriture. Or la terre cuite ne résiste pas aux éléments et encore moins au temps. Aux archéologues de combler ces manques en faisant preuve d’imagination pour lui redonner une mémoire ! La plupart n’en avait pas beaucoup. Annick et son compagnon, Pierre Lepovre, en avaient à revendre. Malgré tout, ils se demandaient chaque matin s’ils parviendraient un jour à restituer l’extraordinaire culture de la Mésopotamie alors que celle de l’Egypte s’était transmise sans difficulté grâce à la pierre.

En détruisant bon nombre de sites archéologiques, Daech avait pour objectif de faire disparaitre les œuvres de l’humanité et de les remplacer par les préceptes d’un Dieu qui n’existe pas. Cela évoque ce qui s’est fait de pire en Occident dans un passé lointain avec pour point d’orgue l’Inquisition. Parler de régression est inexact puisqu’il s’agit de l’imposition d’une non-culture, d’un refus du présent et d’une obligation de retour vers un passé glorieux pour l’islam mais révolu depuis plus de mille ans.

SI l’on met de côté les crimes des islamistes intégristes, il existe une similitude théorique entre Daech et le wokisme. Daech détruit physiquement le passé, Woke tente de détruire psychologiquement le récent. Le colonialisme n’est pas une tache honteuse de l’Occident : ce fut à un moment donné de son histoire une politique économique certes discutable mais commune à tous les pays qui en avaient les moyens. En dénoncer aujourd’hui les aspects négatifs bien réels est d’une moralité discutable car refaire l’Histoire a posteriori est non seulement facile mais surtout malhonnête. S’il avait su prévoir l’avenir, l’homme aurait évité bien d’autres dérives. Et puis, a-t-on condamné tous les pays et tous les peuples coupables de ce que l’on considère aujourd’hui comme des erreurs ? Les jeux du cirque ont-ils condamné ce que Rome a apporté à l’humanité ? Les sacrifices humains des civilisations d’Amérique du sud les ont-ils condamnées ? Les crimes du stalinisme ont-ils condamné le communisme ?

Quel est le sens du wokisme ? Une tentative de subversion dont les partisans naïfs ignorent la perversité ? Quelle injustice de ne pas accorder à l’homme d’hier le droit à l’erreur alors que l’homme d’aujourd’hui en jouit  légalement d’après nos penseurs contemporains, à commencer par les responsables des crimes commis au nom de régimes soi-disant progressistes ? Deux poids, deux mesures : tolérance pour les erreurs d’aujourd’hui mais intransigeance pour celles d’hier. Que l’on me démontre la pertinence de cette idéologie, je suis prêt à l’entendre et cela me tranquilliserait. Mais j’en doute …

La cité de Doura Europos que Pierre avait mis toute sa vie à relever de ses cendres fut ainsi anéantie en quelques heures par Daech. Ni Annick, ni personne ne parvint à lui faire parler de sa tristesse et de sa résignation. Fort heureusement, si l’on peut dire, un autre site les attendait à Termez dans l’est de l’Ouzbékistan où ils poursuivirent les recherches de Pierre ainsi que leur lune de miel qui n’en finissait pas.

Termez, une des plus importantes cité de la Bactriane-Tokharestan, a joué un rôle important dans l’histoire de l’Asie Centrale de l’Antiquité à nos jours. Sa position sur un point de traversée de l’Amou Daria devenu un carrefour important de la route de la soie, lui a conféré un rôle stratégique, politique et religieux de premier plan. Ici se sont rencontrées les cultures grecques, nomades, indiennes et musulmanes. L’histoire de Termez apparaît donc comme le reflet de celle de l’Asie Centrale.

Signalons aux lecteurs intéressés l’ouvrage de référence : Termez sur Oxus, Cité-capitale d’Asie Centrale, de Pierre Lepovre et Annick Cottard aux Editions IFEAC, qu’ils eurent le mérite de rédiger dans le peu de temps que leur laissaient leurs ébats pluri-quotidiens.

7 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (36) »

  1. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse

  2. Tous les fleuves finissent un jour par se noyer dans la mer.

  3. D’ailleurs, sur les conseils avisés de Lariégeoise, j’envisage de changer le titre de mon roman fleuve pour l’appeler : « Ulysse au pays des merveilles ».

  4. Pour comprendre la détresse silencieuse de Pierre Lepôvre, il fallait bien en donner la cause. Elle explique la suite de son comportement (chapitre 78) ainsi que ses dérives (chapitre 92).

  5. Fascinant ce work in progress… amusant de passer le même jour dAfrique à la Mésopotamie…
    Je suis perdue dans ce récit buissonnant , mais toujours curieuse de l’inventivité sans limite de son auteur…

  6. Effectivement, d’après nos informations les plus récentes, l’auteur n’entrevoit aucunement la fin de son histoire ni celle des transgressions peut-être inopportunes mais essentielles à la compréhension des états d’âme de ses acteurs.

  7. Intéressante et instructive, cette curieuse digression sur la Mésopotamie et la comparaison argumentée entre Daesch et le wokisme.
    On peut cependant se demander ce qu’elle vient faire dans cette auto fiction, si ce n’est de permettre à son auteur d’instruire les foules ébahies tout en exposant ses points de vue sur des sujets aussi divers que le communisme, les Batobus ou les films de Claude Sautet.
    Ne serait-il pas temps d’élaguer un peu dans ce foisonnement et de faire passer le récit dans l’entonnoir de la sobriété afin de concentrer le récit vers une fin dramatique, heureuse ou ouverte. Mais peut-être sommes nous encore loin du dénouement.

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