Les corneilles du septième ciel (34)

Chapitre 34

Qui, à part René-Jean, aurait pu imaginer que le gentil Ph. deviendrait un jour un assassin ? Ce fut en effet longtemps un charmant bambin à qui sa maman tricotait des chandails de toutes les couleurs en laine de lama espérant que cette tenue vestimentaire favoriserait son avenir dans la carrière littéraire. Elle ignorait que Marcel Proust n’avait aucun lien avec les filatures du Nord ni fait le moindre investissement dans l’industrie textile. Il n’était pourtant pas simple pour elle de se procurer de la laine de lama et elle se demandait comment avait bien pu y parvenir la maman de Marcel au début du siècle. Elle se demandait aussi par quel mystérieux processus de création artistique le petit Marcel était passé de la laine de lama à la madeleine.

Petit dernier et préféré de sa maman qui en avait quatre autres moins turbulents, Ph. fit des études secondaires brillantes au lycée Saint Louis ternies par un redoublement inattendu en terminale. Les avis sont partagés sur les raisons de ce revers scolaire. Pour les uns il avait été victime comme la Dame aux Camélias d’une langueur aux poumons qui l’avait contraint de passer six mois dans la suite numéro 342 au Grand Hôtel de Gstaad avec vue sur le lac, pour Fabienne Pascaud de Télérama, c’était dans une suite plus petite avec vue sur le mur de la prison de la Santé qu’il séjourna pendant quelques mois. La raison en aurait été une tentative d’homicide sur un camarade de classe, le petit René-Jean, qu’il avait poussé dans la Seine au mois de décembre et au milieu de la nuit. Ce dernier perdit lui aussi une année en raison de la double pneumonie qui le cloua au lit pendant un  trimestre. Le motif de leur différent était une élève jolie et gaie du lycée Fénelon au curieux surnom, l’Arrière-Joie, qu’ils courtisaient tous les deux. Elle se nommait en réalité Milena-Anastasia-Chantal Davidovitch et sa famille d’origine bulgare s’était exilée en France peu avant la deuxième guerre mondiale. Elle fit une brillante carrière internationale de cantatrice mais resta toujours en contact avec notre écrivain dont elle partageait le goût très prononcé pour les demi-pression à la terrasse ensoleillée du Cyrano.

Brillant élève, le jeune Ph. fut reçu aux trois prestigieux concours de l’X, des Mines et des Ponts. Il choisit sans hésiter la package X-Ponts en raison de sa passion jamais démentie pour les voitures miniatures. Il rêvait depuis toujours de construire pour elles des routes, des tunnels, des virages, des ponts et des chaussées. Il y retrouva des copains du lycée et sa victime qui lui avait pardonné. Leur groupe redouté au Jardin du Luxembourg prit le nom original des Trois Mousquetaires alors qu’ils étaient cinq. Déjà cet humour sophistiqué dont ils continuèrent à faire preuve jusqu’à un âge avancé !

C’est lors de son service militaire sur la base aérienne de Villacoublay qu’il put approfondir ses connaissances en septième art. Il s’occupa du cinéclub à plein temps mais ne monta jamais dans un avion. Lors d’une promenade en bicyclette, il eut une crevaison dans un petit village de la Beauce devant les vastes bâtiments de l’entreprise « PROUST et Cie, Madeleines et Biscottes en tous genres ». Doué d’un don de réflexion hors du commun, il fit le rapprochement avec les pulls tricotés à base de laine de lama par sa maman et se plongea immédiatement dans la Recherche du Temps Perdu qu’il trouva en un temps record à la bibliothèque de sa caserne.

A part une brève incursion dans le dur labeur quotidien des ingénieurs en mission à l’étranger, il se consacra vite à l’écriture ce qui lui évita des trajets lointains et longs à cause de sa trouille bleue de l’avion qu’il refusait de prendre. La plume alerte et facile, il puisa la majorité de son inspiration dans les ouvrages remarquables mais passés inaperçus de ses proches comme René-Jean et Lorenzo. Sans dévoiler la suite de cette histoire, on sait hélas où ses piratages ignorés du grand public le conduisirent.

6 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (34) »

  1. @ Jim : On entend souvent dire que les commentaires sont trop rares sur le JdC. C’est pas pour dire, mais moi, je dirais même plus : les commentaires sont trop rares sur le JdC

  2. C’est vrai Lorenzo, je suis d’un naturel bavard, intervenant souvent à tort et à travers, mais ta critique récente des Corneilles était si bonne, bien construite et juste, sur le fond comme sur le style, qu’elle m’a laissé sans voix, je n’aurai pas pu sincèrement m’exprimer mieux. Et puis, t’avoir placé au rang de James Joyce m’incite à être prudent dans mes commentaires.

  3. Ah »Proust et cie , madeleines et biscottes en tout genre… »
    Ce patchwork littéraire est décidément à déguster sans modération; car l’imagination débridée de son auteur,laisse pantois-e.
    Ce soir ce serait un verre de rosé bien frais…voire deux.

  4. Personne ne me croira si je dis que cet intrigant de Captcha a exigé de moi que je lui signale la présence de ponts et de chaussées sur une série de douze photos minables et délavées. Et pourtant, je vous le jure, c’est vrai.

  5. Dis-donc Jim, toi qui es plutôt bavard en temps normal, pourquoi ne fais-tu aucun commentaire sur mes Corneilles, mon chef d’œuvre de trente ans ?

  6. Reconnaissons que ce n’est pas tant la qualité que l’objectivité des éloges formulés dans les commentaires du JdC qui m’a profondément ému. Evoquer Ulysse, comme n’a pas hésité à le faire L’Ariégeoise, dont l’hermétisme m’a toujours empêché de dépasser la deuxième page, m’avait déjà rempli de fierté, mais alors, que dire de celui dithyrambique, paru le 29 juillet 2023 sous le numéro 263, de notre bienaimé Rédacteur en Chef qui affirme que les Corneilles sont une Recherche actualisée et dépoussiérée. Selon lui, il s’agit d’une épopée romanesque portée par le vent quotidien, les sentiments fluctuants et les émotions débridées de notre temps. Et comme il a raison, le bougre ! Reconnaissons que son analyse pourrait surprendre ceux qui ne sont des littéraires. Mais, comme il l’a expliqué dans son discours inaugural à la Chaire de Littérature Contemporaine au Collège de France, les Corneilles sont aussi riches que leur célèbre modèle avec des héros d’une complexité inouïe et des allusions philosophiques adaptées à notre époque.

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