Les corneilles du septième ciel (25)

temps de lecture : 3 minutes 

Chapitre XXV

Qu’est la vie d’un neurologue hospitalier comme Françoise Maignan ? Qui le sait ? Qui s’en préoccupe ?

Être neurologue de garde, personne en dehors des intéressés ne sait ce que cela signifie. Personne ne sait la contrainte d’être réveillé à trois heures du latin pour se rendre en quatrième vitesse au CHU tenter de sauver une vie humaine. Non, personne ne sait la détresse du médecin dans un couloir au sous-sol en train de pousser son chariot sur lequel il y a les instruments thérapeutiques les plus sophistiqués qu’il va devoir utiliser, mais seul, à trois heures du latin, sans personne pour l’aider. De toute façon, ce sera un cauchemar ; il le sait mais il y va parce que, à ce moment-là, il est la seule et dernière chance du patient qui vient de faire un AVC foudroyant à cinquante ans. Il a encore deux heures devant lui mais, après ce délai, plus rien ne permettra de revenir en arrière et de sauver le malheureux. Alors, il se dépêche, toujours seul dans ce couloir sordide qui doit la mener aux urgences. Là, personne ne l’attend. Les infirmières sont débordées, les médecins accaparés par des urgences absolues et lui se retrouve seul dans le box de cet homme hémiplégique dont l’avenir ne tient plus qu’à lui, à sa rapidité, à sa dextérité, à son expérience. Alors il y va, de tout son être, sans réfléchir, avec une seule obsession, le sauver. Mais qui est cet homme pour qui il est en train de donner le meilleur de lui-même, le meilleur de ses nuits, le meilleur de sa jeunesse ? Il ne le sait pas et ne veut pas le savoir. Peut-être un dealer, un escroc, une ordure ? Et pourtant, il y va et il fera tout et même plus pour le sauver. Personne ne le saura, pas même celui qui en profitera. Jamais, il ne saura qui l’a sauvé et surtout à quel prix. Non, il s’en est tiré et c’est bien la moindre des choses en 2013 compte tenu des progrès de la médecine. Il est bien normal qu’il en ait profité, lui, si malchanceux, injustement meurtri à un âge si jeune. Qui ira remercier le médecin qui a fait ce qu’il fallait, comme il le fallait, malgré son dénuement, à trois heures du matin, seul avec son matériel complexe, sans infirmière pour l’aider, ne serait-ce que pour lui tendre l’instrument indispensable ? Personne. Pas même le patient sauvé, pas même son chef de service qui bénéficiera du succès de son geste dans ses publications, et bien évidemment pas les media qui ne savent même pas que ce que je raconte existe. Un jour, ils l’apprendront à leurs dépens, mais alors il sera trop tard parce qu’ils n’auront plus la parole pour le faire savoir.

Je ne connais pas de plus grande injustice que le dévouement ignoré des urgentistes, des médecins et des chirurgiens de garde qui vont donner le meilleur d’eux-mêmes pour une vie anonyme, quelle que soit l’heure, quel que soit leur état de fatigue, quel que soit leur découragement. Ils iront sans se poser de questions, parce que c’est leur devoir, leur mission, leur choix aussi. Alors, en quittant l’hôpital au petit matin, non pas fier mais satisfait d’avoir bien fait son boulot, ce médecin hagard, titubant de fatigue, va risquer sa propre vie parce qu’un irresponsable en trottinette manquera de le renverser et en plus l’insultera. Alors là, oui, je me demande où l’on va.

A SUIVRE ?

10 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (25) »

  1. On s’en fout, de toutes façons personne n’écoute jamais personne

  2. Tit for tat! Aussi ennuyeux qu’un match de tennis avec iceborg.

  3. Psychologie élémentaire 1er cycle
    Examen de fin d’année

    « À Babel,
    Personne ne convainc jamais personne,
    Parce que
    Personne ne comprend jamais personne,
    Parce que
    Personne ne se situe jamais au degré auquel l’autre s’est exprimé.
     »

    A développer à partir de l’échange de commentaires
    suscité par le 25ème chapitre des Corneilles du 7ème ciel.

    Vous avez 3 heures.

  4. Quel honteux rétropédalage d’une femelle soumise aux ordres d’un rédacteur en chef macho !

  5. Hombre!!!
    Ça tiraille sec du côté des vieux mâles blancs misogynes
    « Femme tu as parlé trop vite, tu ne t’es pas assez pénétrée du sens profond des paroles du sachant…masculin … médecin … »
    Alors je la jouerai platissime: «  c’est bien vu ce rendu vécu du médecin seul dans un couloir une nuit aux urgences »

  6. @Lariegeoise,
    Aïe aïe aïe, malheureuse ! Tu as utilisé des mots dangereux ! Des mots qu’il fallait pas !
    Bien que le sachant, tu n’avais pas sur le moment réalisé que « dithyrambique« , qui pour le Petit Robert veut dire « très élogieux« , veut dire aussi en second choix dans le Grand Larousse « élogieux avec outrance« . C’est ce sens-là que Lorenzaccio a retenu. Aïe aïe aïe, caramba ! comme disent les Espagnols. Première faute.
    Je suis, tu es, nous sommes, mais il n’est pas, persuadé que sous le vocable « urgentiste » ton intention était de regrouper tout ce corps médical qui travail dans l’urgence et pas seulement ceux dont la spécialité s’appelle justement « urgentiste« . Or Lorenzozo n’était pas urgentiste. Aïe aïe aïe, porca miseria ! comme disent les Italiens. Deuxième faute.
    Tu n’as plus qu’à aller à confesse comme on dit chez nous ou à Canossa comme on disait au Moyen-Age.

  7. Le terme dithyrambique évoque un éloge avec excès alors qu’il n’y a aucun excès dans ce que je raconte.
    Tu ne cites que l’urgentiste alors que ce n’est pas le plus exposé. Les médecins qui se déplacent à trois heures du matin (cardiologues, neurologues, gastroentérologues, radiologues, pneumologues) sont des spécialistes « âgés » de disciplines traditionnelles qui aujourd’hui interviennent à toute heure parce qu’elles ont remplacé la chirurgie : stents vasculaires, thrombolyses, sutures d’ulcère hémorragique, embolies thérapeutiques, etc etc. L’urgentiste est loin d’être le seul médecin corvéable à merci. En 2009, mes gardes obligatoires d’endoscopie digestive (de nuit et de week-end) à 60 ans n’étaient pas rémunérées …

  8. Lorenzo nous livre là un très beau plaidoyer pour la noblesse, le dévouement et le désintéressement de la médecine hospitalière, notamment celle des urgences, dont la responsabilité se situe tout en haut de l’échelle, celle de la vie. Confier sa vie à un médecin réside forcément sur la confiance en lui et ses compétences, il ne peut en être autrement. Malheureusement, comme dans toute organisation humaine, la médecine comporte aussi son petit lot d’hypocrisie et de profiteurs de la crédulité ou du désemparement de leurs patients.

  9. Oui c’est beau cette ode dithyrambique au travail de l’urgentiste; ça plombe un peu notre soirée , mais c’est beau…

  10. Étonnant, ce chapitre XXV. Étonnante cette incursion héroïque, mélange de lyrisme et de réalisme, dans une saga qui ne nous avait pas habitué à une telle sincérité. En commentaire, on s’abstiendra donc de tout mot d’esprit acide, de toute plaisanterie osée et de tout calembour approximatif et on dira seulement bravo, simplement.

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