Aventure en Afrique (37)

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Le marché d’Ayorou
Un dimanche matin nous avions décidé de nous rendre dans ce bourg au nord-ouest du pays, sur la rive gauche du fleuve, proche de la frontière du Mali. Ce village se trouve dans la zone tristement célèbre  des “ trois frontières “où sévissent aujourd’hui des  massacres de populations perpétrés par les djihadistes. Pour s’y rendre il faut emprunter la nationale N°1 sur environ 200 km. Celle-ci était goudronnée sur une trentaine de kilomètres jusqu’au niveau de Boubon. Elle se continuait en latérite, très abîmée et poussiéreuse. La route passait à proximité de Gothéye, là un bac permettait aux marchandises et véhicules de traverser le fleuve. Elle poursuivait  vers Ayorou via Tllabéri.
Nous avions garé les 2CV à l’entrée du bourg : c’était surtout un port fluvial. Nous avons été étonnés par l’affluence sur la grande place à proximité du port  où débarquaient de grosses pirogues. Des arbres donnaient ombre et fraîcheur. Nous avions  l’impression que la terrible sécheresse qui sévissait sur  le reste  du pays épargnait ce village. Le marché était très coloré, et pas écrasé par le soleil comme celui de Filingué. Tous les types de commerces étaient représentés, regroupés par corporation:marchands de bois, d’ânes, d’arachides, de fourrage, de sel… à l’odeur on pouvait trouver la viande et le capitaine, grillés. Des relents de vase, venus du fleuve, flottaient. Au milieu de la place des femmes en noir vendaient de grandes perches de bois, probablement destinées à la construction. Les ethnies locales étaient  toutes présentes: SonraÏ, Djermas, Touaregs… Les vêtements des hommes en dehors des Touaregs n’étaient pas différenciables. Par contre la plupart des femmes étaient dans la tenue de leur ethnie, avec leurs coiffures distinctives, parées de  leurs plus beaux bijoux.
Nous étions les seuls blanc tout le monde nous souriait ou nous faisait un petit signe. Ici pas de mendiant. Pas de bruit de moteur, simplement un brouhaha entre coupé par le braiement d’un âne.
En milieu d’après-midi nous décidions de rejoindre la capitale. À la sortie d’Ayorou  nous croisions un groupe de jeunes femmes chevauchant des ânes : elles  avaient chacune en main une grande perche, comme celles aperçues en vente sur le marché. Allaient-elles à un combat de joute ? Ou étaient-elles des amazones partant au combat ? Leur tenue ne s’y prêtait guère : un sein dévêtu et un marmot dans les reins roulé dans un pagne. Nous nous sommes arrêtés. Elles nous ont expliqué qu’elles allaient gauler les noix des doums qui poussaient de part et d’autre le long de la route.

Ces fruits ont de nombreuses propriétés. Henri de Monfreid parle de ce palmier dans Les Secrets de la Mer Rouge :

« Je vois circuler des bouteilles mousseuses. C’est du vin de palme. Je l’ai goûté, ce n’est pas désagréable, ça rappelle le cidre un peu dur ; frais ce serait bon.
Ce liquide est la sève fermentée d’un palmier appelé doum, qui n’est autre que le 
coroso ; c’est, dans le règne végétal, un type dans le genre du chameau dans le règne animal. Ce palmier ne demande pour vivre que du sable aride et le souvenir de la pluie. Dans ces conditions de sobriété, il lance dans le ciel bleu de longues tiges qui bifurquent comme d’étranges candélabres et de terminent par de petits plumeaux de feuilles en lames de sabre.
On coupe la tête de jeunes pousses à l’extrémité des rameaux et, aussitôt, la sève afflue et s’écoule ; on suspend, pour la recueillir,
un cornet de feuilles de palmier roulées en spirales. Cela fait une sorte de panier étanche pouvant contenir de trois quarts de litre à un demi-litre. On le vide chaque matin de ce qu’il a recueilli en vingt-quatre heures, soit environ un quart de litre, un peu moins si le sous-sol est très sec.
Que de fois j’ai eu recours à cet arbre providentiel; on enfonce le couteau dans le tronc ; on tète ensuite, à même la blessure, cette sève saumâtre et fade
quand elle n’est pas fermentée ; elle désaltère, faute de mieux.
Le fruit est une grosse pomme brune, la chair n’a qu’un demi-centimètre d’épaisseur, filandreuse et douceâtre ; on peut, à la rigueur la sucer. Mais c’est le noyau, gros comme un œuf et dur comme de l’ivoire qui a le plus de valeur ; il sert à faire des boutons, dit de coroso […].
La feuille appelée « tafi », donne toutes les nattes, tapis, sacs d’emballage employés depuis
 Port Soudan jusqu’à Zanzibar. Les Danakil et les Somalis en tissent des objets d’ornement tels que les tapis de prière, corbeilles, etc. Enfin le tronc, quand on lui a tout pris, fruits, feuilles et sève, sert à faire des poutres ou des chevrons.
C’est pour un arbre une belle carrière de servitude ! »

   Un peu plus loin, au bord de la voie, nous découvrions un campement de SonraÏ , avec leurs tentes dispersées très particulières. Ils vivaient principalement du travail de la terre et de l’artisanat.

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6 réflexions sur « Aventure en Afrique (37) »

  1. Les fidèles lecteurs , morigénés avec vigueur , lisent ces aventures en Afrique avec l’ardente nécessité d’un commentaire….
    Si l’on relit bien ce texte, on comprend qu’il est réécrit de nos jours: la subtilité de Geraud est de n’avoir pas effacé sa perception initiale de ses expériences….vision passionnante d’un ethnographe amateur sans préjugé….
    Dans le texte d’aujourd’hui , un espoir: les furies féministes à dos d’âne iront gauler les noix de coroso qui pousseront sur les ZAD désertiques ….quand tous les efforts des écolos pour détruire notre industrie auront abouti…et que la France sera devenue un désert aride…
    Les hommes déconstruits eux savoureront sous une tente ( superbe en l’occurrence) leur quiétude post genre…Sérieusement , ces témoignages ne mériteraient t ils pas une édition ???

  2. Pour répondre à Philippe, à l’époque, 13 ans après l’indépendance, l’Afrique que nous avons connu été “gentille”, non agressive, souriante. Il y avait un respect du blanc, pas du petit blanc!
    Il n’y avait pas de luttes tribales, comme aujourd’hui, pour avoir le pouvoir.

  3. Ce serait plutôt l’inverse…
    Mais ce que je voulais dire c’était que malgré la réalité des rapports débonnaires décrits par Géraud et dont j’ai été aussi le témoin à la même époque (en Haute Volta et au Tchad, mais pas au Cameroun ni au Mali), tout n’était pas rose, c’est à dire parfait, dans cette Afrique-là. Si j’ai mis entre parenthèses « bien sûr« , c’était juste pour suggérer sans avoir à l’écrire que « tout n’était pas rose en Afrique noire(Ah! Ah!) ».

  4. L’Afrique Rose dont parle Philippe, ne serait-ce pas une conséquence du wokisme ?
    Très beau texte. Merci.

  5. J’apprécie chaque lecture de cette « Aventure en Afrique » car elle nous relate une Afrique qui, si elle nous est familière aujourd’hui par l’importance de sa présence dans les médias, à l’époque de l’aventure vécue par Géraud elle était encore peu ou mal connue de nous qui la considérions comme un continent exotique et propice au club-med comme l’aurait dit Angela Merkel. Quand à la référence à Henri de Monfreid, ses Secrets de la Mer Rouge reste l’un de mes livres préférés.

  6. Merci Géraud pour ces descriptions de personnages, de villages, de comportements et de coutumes qui nous rappellent que cette Afrique, autrefois, fut amicale, pas rose (bien sûr) mais débonnaire et amicale.

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