Les corneilles du septième ciel (23)

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Chapitre XXIII

Lors de ses conversations avec Lorenzo, Françoise évoqua un jour la petite madeleine de Proust dont ses collègues spécialistes de la mémoire discutaient sans fin. Était-elle un réel souvenir ou une invention d’écrivain comme l’affirmait une théorie scientifique récente ? A l’appui de cette hypothèse, elle avait lu dans un ouvrage très sérieux que la madeleine de Proust était en réalité une biscotte.

Lorenzo lui confia l’histoire douce-amère de sa madeleine à lui bien qu’elle n’eût aucune relation avec la littérature et la neurologie. Il ne savait ni pourquoi ni d’où lui était venue sa passion pour elle. Sûrement pas de ses relations sentimentales supposées avec Jésus-Christ dont il n’était pas jaloux. Non, Marie-Madeleine le fascinait parce qu’elle avait été la seule vraie femme de chair dans la vie de Jésus. Troublante, n’est-ce pas, cette singularité en période féministe dont personne ne s’était encore emparée pour dénoncer le machisme éhonté de la religion catholique. Lorenzo avait été sensible à sa surprenante  trajectoire personnelle et géographique pour l’époque : au départ prostituée à Nazareth, elle avait fini ses jours Sainte dans une grotte sur la Côte d’Azur où elle s’était retirée comme bien d’autres retraités. Et pour échapper à qui, ou à quoi, la question n’avait à sa connaissance jamais reçu de réponse. Belle, on ne pouvait le savoir tant les représentations de la fiancée de Jésus étaient nombreuses et différentes, mais belle, elle l’avait toujours été à ses yeux. Il la connaissait bien pour l’avoir souvent rencontrée sur les peintures italiennes du Quattrocento avec son flacon de parfum ou baisant les pieds de son amant.

Des peintures et des sculptures d’elle, Lorenzo en avait vu des centaines. Bien qu’il ait manqué l’exposition éponyme qui avait circulé dans toute la France, il parvint à acquérir sur Internet le dernier exemplaire disponible du catalogue réunissant plus d’une centaine de représentations. Toutes n’étaient pas des chefs d’œuvre, loin de là ! Il en était certaines d’une tristesse infinie ou d’une beauté exagérée, d’autres d’un kitsch vulgaire ou d’un érotisme déplacé qui faisaient douter de la santé mentale de leurs auteurs. Lorenzo les excusait car il les supposait éprouver pour elle la même passion aveugle que lui.

C’est le charme de la sculpture d’Ehrart découverte dans une église d’Augsbourg en Allemagne et installée au sous-sol du Louvre avec celles de l’Europe du Nord qui l’avait séduit. Il n’y avait jamais personne dans cette salle sombre où priait éternellement sa petite Marie-Madeleine. Elle était en bois peint et sa nudité à peine voilée par sa longue chevelure brune ne pouvait manquer de troubler l’esprit de tous les visiteurs et surtout celui des croyants.  Elle avait de petits seins ronds et des yeux tristes dans un visage résigné. Il faut bien reconnaître que la tenue de cette Sainte pas comme les autres avait de quoi perturber un catholique même non pratiquant.

La signification de cette photo de Lorenzo faite au Louvre était claire : Marie-Madeleine regarde s’éloigner vers un avenir flou le couple qu’ils formaient, Anne et lui. Elle était devenue un réconfort qu’il venait chercher auprès d’elle pendant la maladie de sa femme. Sa nudité lui évoquait désormais leur propre dénuement face à l’adversité. Bien qu’il ne fût pas pratiquant, Lorenzo se demandait si ce réconfort n’était pas en réalité une réponse aux prières qu’il lui adressait en secret pour la guérison d’Anne. Elle l’entendit au-delà de ses espérances et il lui offrit plus tard ces quelques lignes :

Marie-Madeleine

Vêtue de sa longue chevelure ondoyante,

Je l’ai bien connue au moment de la maladie d’Anne.

L’extraordinaire sculpture en bois peint d’Erhart

M’attendait tous les dimanches matin au Louvre.

« Ne t’inquiète pas, me répétait-elle,

Les cheveux d’Anne repousseront bientôt,

Aussi longs que les miens ».

 

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