Rendez-vous à cinq heures au cinéma

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LES CHOSES DE L’AVIS

ou

LES FILMS VIEILLISSENT-ILS MAL ?

par Lorenzo dell’Acqua

A propos d’une polémique d’une rare violence qui a déchiré il n’y a pas si longtemps les pages d’habitude bienveillantes du JdC, j’ai cherché quelles étaient les raisons de ma position non pour la justifier mais pour tenter de l’expliquer. Je rappelle que mon avis sur le film de Claude Sautet, César et Rosalie, m’avait valu une censure certes purement morale mais dont j’ai bien du mal à me remettre.

Dans les films, je vois trois cas de figure :

1 – Ceux où l’on peut se projeter ; les Sautet et la plupart des Truffaut en sont des exemples parfaits.

2 – Ceux où l’on ne peut pas se projeter comme Une Journée Particulière d’Ettore Scola ou Les Trois Mousquetaires, les Westerns, Lawrence d’Arabie et tous les films d’aventures historiques.

3 – Les films intermédiaires où l’on ne peut pas se projeter mais où le thème nous concerne à n’importe quel âge parce qu’il traite de l’amour, de l’amitié, de l’enfance, de la vieillesse, de la jalousie, de la mort, etc.

1 –  Dans le premier cas, le film vu à 20 ans dans lequel je peux me projeter est une découverte de la vie à venir, une sorte d’éducation, de voyage dans le futur qui va m’être utile dans mes propres choix : serai-je un poète comme Antoine Doinel ou un marchand de chaussures comme Lonsdale, serai-je César ou David, serai-je un écrivain raté comme Reggiani, un médecin intéressé comme Piccoli, un homme d’affaires arrogant comme Montand, serai-je aussi maladroit en amour que lui ou cracherai-je dans la soupe comme Piccoli ?  Ce film revêt un intérêt évident pour tout adolescent qui entre dans la vie.
Revoir ou voir ces films à 70 ans nous montre ce que la vie nous a épargné ou (une partie de ce) que nous avons épargné à nos vies. Mais comme ces personnages ont agi de façon insensée ! Et comment ai-je pu avoir la naïveté de croire qu’ils incarnaient la vraie vie alors que leur avenir ne pouvait être que raté comme d’ailleurs ces films le montrent impitoyablement ? Piccoli meurt, César et David se retrouvent seuls sans Rosalie, Doinel divorce … Au fond, je m’en veux d’y avoir cru à 20 ans mais aujourd’hui à 70 ans, le sentiment qui me vient à l’esprit est : quel gâchis ! Quel double gâchis, même : le leur et le mien d’y avoir cru. Mon avis était plus subjectif qu’objectif.

2 –  Dans le second cas, je ne pouvais pas me projeter dans l’histoire : je n’étais pas un intellectuel opposant politique homosexuel comme Mastroianni, ni une femme au foyer marié à un militant fasciste macho comme Sophia Loren dans Une Journée Particulière d’Ettore Scola. Impossible de se rêver en D’Artagnan ou en colonel Lawrence à 20 ans … Quand je revois ces films à 70 ans, mon sentiment n’a aucune raison d’avoir changé même si moi j’ai changé. Mon avis était plus objectif que subjectif.

3 –  Dans le troisième cas, je n’ai pas pu me projeter dans ces films mais leur thème me concernait ou me concerne toujours. Si j’avais vu The Banshees of Inisherin à vingt ans, la question de savoir si l’amitié serait plus forte que mes propres aspirations m’aurait sûrement intéressé. A 70 ans, elle me parait artificielle et sans le moindre intérêt pour la simple et bonne raison qu’elle ne se pose jamais ainsi dans la vraie vie sinon on en aurait déjà parlé chez les grecs. L’Auberge Espagnole, je l’aurais probablement adoré à vingt ans car c’est une fenêtre grande ouverte sur les aspirations et les utopies de la jeunesse comme l’était aussi la notre. A 70 ans, ce film m’émeut encore car il me rappelle sans amertume ni regret un personnage que je ne suis pas devenu, à tort ou à raison. Je ne pouvais pas me projeter dans la France rurale de l’après guerre telle que nous la montre la Guerre des Boutons d’Yves Robert. Pourtant, les sentiments sincères et naïfs des enfants m’émeuvent toujours autant à 70 ans parce qu’ils n’ont pas d’âge et ils sont universels. Dans la Rose et la Flèche de Richard Lester, le thème est une réflexion tendre et impitoyable sur la vieillesse et le vieillissement. Je pense qu’à vingt ans, il ne m’aurait ni concerné ni intéressé alors qu’à 70 ans, au contraire, il est une métaphore lucide qui embellit notre quotidien.  Ici, match nul !

La conclusion est elle aussi impitoyable : dans cette polémique, j’avais tort.  Ma façon de juger un film ne fait appel à aucun critère objectif. Pour moi, l’histoire l’emporte sur le style. Ce ne sont donc pas des critiques mais des états d’âme. Mea Culpa.

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