Les corneilles du septième ciel (6)

temps de lecture : 3 minutes 

(…) D’ailleurs, elle trouvait que plus personne dans ce café n’évoquait ce passé révolu. Au contraire, et à sa grande surprise, il y avait non loin de leur table cet écrivain jadis blond qui l’avait tant séduite à la terrasse du Surcouf deux mois auparavant. Quel hasard ! Françoise en profita pour enfoncer le clou. Elle confia innocemment à son amie que, pour preuve, ce consommateur-là ressemblait davantage aux séducteurs des films de Vittorio de Sica qu’à son épouvantable Sartre.

Chapitre VI

Lors de ses passages à Joigny, Françoise revoyait parfois Bernard, ce jeune garçon un peu fruste convaincu de l’avoir demandée en mariage dans la grange du Père Ménard. Le malheureux ne s’était jamais remis de son refus offusqué. Bien que bénéficiant d’un emploi de complaisance chez un oncle cultivateur, il accumula les absences injustifiées. On le trouva un jour, allongé au bord de la rivière, fumant les herbes qu’il avait ramassées autour de lui. Il ne s’agissait pas de plantes hallucinogènes mais il n’en délirait pas moins. Hospitalisé en psychiatrie au CHU de Poitiers, il fut suivi par le docteur Philippe qui effectuait deux vacations par semaine dans ce service. Ce dernier se prit de sympathie pour ce simple d’esprit et, confronté à une situation conflictuelle, sa tentation fut grande de se séparer d’un de ses deux patients mais, par curiosité plus professionnelle que malsaine, il n’en fit rien.

Le docteur Philippe ne parvenait pas à comprendre pourquoi une jeune fille aussi intelligente que Françoise avait pu être à ce point traumatisée par le comportement de Bernard, somme toute assez courant et pas seulement à la campagne. N’avait-il pas imposé lui aussi la même chose à Myriam, sa petite cousine, lors d’une kermesse de bienfaisance où ils s’étaient rendus avec leurs parents ? Certes, la petite Myriam avait obtempéré, mais la torsion violente qu’elle exerça de toutes ses forces sur ses attributs lui valut un hématome bleuté, une adolescence compliquée et des relations encore plus compliquées  avec les filles en général.

 Il devait une fière chandelle à mademoiselle Chiroubles, la pédopsychiatre que ses parents inquiets l’emmenèrent consulter parce que leur fils refusait de revoir sa petite cousine et fondait en larmes dès qu’on parlait d’elle. Mademoiselle Chiroubles était une célibataire endurcie ni belle ni laide à qui on ne connaissait aucune relation masculine. Non seulement elle le remit dans le bon chemin, mais elle remit aussi ses parties malmenées dans le bon chemin, en l’occurrence celui des siennes. Il faut dire qu’elle aimait la chair fraîche et en abusait parfois.

Après cette rééducation peu orthodoxe mais efficace, Philippe connut une traversée du désert quand mademoiselle Chiroubles fut mutée au séminaire Saint Eustache à Tours qui formait les futurs curés du diocèse. Personne ne sait si elle put continuer ses pratiques innovantes dans un environnement aussi défavorable. La solitude, le goût des vieilles filles, ses difficultés avec les plus jeunes, conduisirent le jeune Philippe chez un autre médecin, le psychanalyste Henri Namur, qui réussit le tour de force de lui faire admettre enfin le bien-fondé de la réaction de Myriam.  A la fin de ses études de médecine, il choisit donc cette discipline à laquelle il devait tant.

A SUIVRE 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *