Rendez-vous à cinq heures : Cinéma et littérature, quelle différence ?

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Le texte qui suit vient en réponse à la question posée le 26 décembre dernier dans ces mêmes colonnes par Lorenzo dell’Acqua. Vous pouvez retrouver la formulation de cette question en cliquant sur le titre ci-dessous. Vous pourrez aussi de cette manière lire les commentaires y afférents de Lariegeoise, Jim, Claude et Lorenzo. 

Rendez-vous à cinq heures : cinéma et littérature

 

Terminologie : Dans les lignes qui suivent, on trouvera à de nombreuses reprises la locution « chef d’œuvre ». Si nous l’avons utilisée, à regret d’ailleurs, c’est pour rester dans le cadre lexical de la question posée. En lieu et place de « chef d’œuvre », nous aurions préféré parler de films bons ou super, ou chouettes, ou réussis, et réserver « chef d’œuvre » à une centaine de films dans l’histoire du cinéma. Mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut, pas vrai ? Alors, pour contrebalancer l’excessif « chef d’œuvre », nous avons rassemblé sous le tout aussi excessif vocable « daube » les films moyens, pas très réussis, ratés, les films bof, les mauvais, les très mauvais et les daubes  

Cinéma et littérature, quelle différence ?

Le thème imposé, c’est donc de « se demander comment un chef-d’œuvre littéraire réussit à être aussi un chef-d’œuvre au cinéma« .

Si l’on veut bien filer un peu la métaphore initiée par Lorenzo dell’Acqua, celle qui faisait le parallèle entre le couple roman/film et le couple peinture/sculpture, la réponse à cette question apparait comme évidente : pour que la sculpture inspirée par le tableau soit une œuvre d’art au même titre que le tableau, il faut (mais il ne suffit pas) que le sculpteur soit un artiste au même titre que le peintre. On en vient tout de suite à cette évidence : pour qu’une sculpture soit une œuvre d’art, le sculpteur doit être un artiste. En bon anti-cartésien, on peut passer directement du particulier au général : pour qu’une œuvre soit d’art, il faut que son auteur soit un artiste. On passera ensuite, cartésien repentant et volatil, du général au particulier : que la sculpture soit inspirée ou non d’un tableau ne change rien à cette vérité ; que l’œuvre d’origine soit un tableau, un roman, une sculpture ou un film n’y change rien non plus ; qu’elle soit une œuvre d’art ou pas ne modifie en rien cette obligation : il faut un artiste pour faire une œuvre d’art.

Pour nous en convaincre, et dans le cadre fixé par Lorenzo, c’est-à-dire « littérature et cinéma », prenons quelques exemples, voulez-vous ?
Faites tourner le Jules César, ou plutôt le Julius Caesar, de Shakespeare, pur chef d’œuvre, par Joseph Mankiewicz et vous en obtenez un autre (comme quoi un chef d’œuvre peut donner un chef d’œuvre). Mais si c’est Raoul Ruiz qui réalise Le Temps retrouvé, vous obtenez juste un film ennuyeux (comme quoi un chef d’œuvre peut donner une daube). Si vous prenez un livre très moyen comme Le Pont de la Rivière Kwaï de Pierre Boulle et que confiez son tournage à David Lean, vous avez un chef d’œuvre (comme quoi une daube peut donner un chef d’œuvre).

Mais obtenir un chef d’oeuvre au cinéma ne tient pas uniquement au fait que le réalisateur soit un véritable artiste, car si vous confiez au même David Lean la mise en scène du Docteur Jivago, le livre de Pasternak dont tout le monde (sauf moi, je ne l’ai pas lu) s’accorde pour dire que c’est un chef d’œuvre, vous n’obtiendrez qu’un très ordinaire mélo, dans de beaux décors glacés, mais un mélo ordinaire quand même (comme quoi un artiste peut produire une daube).

Nous venons donc d’illustrer les différents cas possibles :

— un chef d’œuvre peur donner un chef d’œuvre

— un chef d’œuvre peut donner une daube

— une daube peut donner un chef d’œuvre

— une daube peut donner une daube(1)

Nous avons également démontré que l’intervention d’un artiste est nécessaire, mais pas suffisante, pour la création d’un chef d’œuvre, que ce soit à partir d’une daube, d’un autre chef d’œuvre ou de rien du tout(2).

Enfin, nous avons établi que l’intervention d’un artiste ne garantit nullement la création d’un chef d’œuvre, que ce soit à partir d’un autre chef d’œuvre, d’une daube ou de rien du tout(2).

On peut donc en conclure que la question de savoir « comment un chef d’œuvre littéraire mis en scène réussit à être aussi un chef d’œuvre au cinéma » n’a pas plus de sens que de se demander comment, de deux tableaux qui représentent la même chose, l’un peut être un chef d’œuvre et l’autre pas (autrement dit, une daube).

Note 1 : En réalité, nous n’avons pas cité d’exemple pour ce dernier cas, mais est-ce vraiment nécessaire ? Ils fourmillent.

Note 2 : Nous admettons volontiers que nous n’avons pas démontré ce dernier cas, mais il y a des moments où il faut nous faire confiance, quand même.

Et maintenant, en supplément gratuit et juste pour information, quelques observations et avis personnels :

Le Guépard est un film somptueux, interprété magnifiquement par Burt Lancaster et Serge Reggiani, malheureusement estropié par le jeu d’Alain Delon et de Claudia Cardinale qu’on a rarement vus aussi mauvais… et pourtant, Claudia…

— Le film Les Copains d’abord est un excellent film américain de Lawrence Kasdan. Il n’est tiré d’aucun roman, a fortiori d’aucun chef d’œuvre. N’y aurait-il pas confusion avec Les Copains, de Jules Romains/Yves Robert ?

— Il n’existe pas de film intitulé La Tigresse du Bengale. Après Le Tigre du Bengale, il aurait fallu se taper sa femelle ? Ah ben non, alors !

— Pas plus que Marius, le film Fanny n’a été mis en scène par Pagnol. Pour Fanny, c’est Marc Allégret, pour Marius, c’était Alexandre Korda. Pour César, effectivement c’était Pagnol lui-même.

— On a vu également des livres inspirés de film. On n’en a pas parlé, parce que ça a toujours donné des daubes.

Voilà, voilà.

8 réflexions sur « Rendez-vous à cinq heures : Cinéma et littérature, quelle différence ? »

  1. Désolé d’avoir à me répéter mais j’avais dit :
    1 un chef d’œuvre littéraire en donne pas automatiquement un chef d’œuvre cinématographique. Il est absurde de les comparer, ce sont deux disciplines différentes comme la peinture et la sculpture.
    2 une adaptation cinématographique est un chef d’œuvre si elle est due à un grand metteur en scène.
    Donc, tu dis exactement la même chose mais avec d’autres mots.
    Ce qui est exact dans le propos d’Anne Mallet et dans le tien (?), c’est que lorsque l’on écrit et lorsque l’on fait des photos, on s’isole des autres. Oui, c’est vrai, mais ce n’est pas une fuite, en tout cas pas pour moi. L’avantage de la photo sur l’écriture, c’est de pouvoir s’y adonner avec sa famille, avec ses amis, en voyage, dans la vie de tous les jours, sans avoir besoin d’être seul, contrairement aux écrivains. Dans les deux cas cela ne réduit pas la perception de la vie, au contraire, cela l’amplifie, à condition de le restituer aux autres.

  2. Le bossu

    En littérature, on ne rencontre pas (ou très peu) de ‘’remakes’’. Ce n’est pas le cas du cinema où c’est une vieille tradition. Mais c’est sans doute dans la peinture que l’on en rencontre le plus : l’Enlèvement des Sabines, La Cène, Corbeille de fruit avec guitare, Montagne Sainte-Victoire, Femme à la fenêtre…
    Traiter le même sujet plusieurs fois, traiter différemment le sujet déjà traité par un autre, est-ce vraiment recopier e’t dénaturer ‘’systématiquement le charme et la poésie de l’œuvre initiale en prétendant faire mieux’’ ?
    Par ailleurs, le Bossu de de Broca n’est pas un remake de celui de Hunebelle, mais du Bossu de Feval qui, selon Wikipedia, a été traité 7 fois par le cinema français (sans compter les remakes étrangers) :
    * 1913 : Le Bossu de André Heuzé (avec Henry Krauss)
    * 1923 : Le Bossu (avec : Henry Krauss)
    * 1925 : Le Bossu de Jean Kemm et Henriette Kemm (avec Gaston Jacquet)
    * 1934 : Le Bossu de René Sti et Alexandre Kamenka (avec Robert Vidalin
    * 1944 : Le Bossu de Jean Delannoy (avec Pierre Blanchar)
    * 1959 : Le Bossu de André Hunebelle (avec Jean Marais et Bourvil)
    * 1997 : Le Bossu de Philippe de Broca (avec Daniel Auteuil)
    Enfin, le film de Hunebelle, d’une mise en scène assez poussive, ne tenait que par les exploits personnels de Jean Marais accomplissant lui-même toutes ses cascades. L’engagement personnel d’un acteur, ses prises de risque, ne font pas la qualité d’un film (voir à ce propos les navets de Belmondo en super flic ou super voyou). Rappelons enfin que Hunebelle, cinéaste pourtant honorable, a réalisé les Fantomas, les OSS117, ridiculisés aujourd’hui à juste titre par des pastiches, ainsi que quelques films des Charlots.
    Pour de Broca, ce dont dont on se souvient, ce serait plutôt L’amant de cinq jours, Cartouche, l’Homme de Rio, le Diable par la queue, le Cavaleur…

  3. La même chose ?
    Bizarre ! Je n’avais pas cette impression.

  4. Le Bossu, excusez moi, c’est un film d’André Hunebelle, sorti en 1960. Les remake ne sont que des recopiages qui dénaturent systématiquement le charme et la poésie de l’œuvre initiale en prétendant faire mieux. Je trouve la démarche d’une prétention détestable. Et pourtant, j’adore Philippe de Broca.

  5. Si j’ai bien compris, tu dis exactement la même chose que moi ?

  6. Le Bossu, bien sûr, le film, très réussi, qui valait par la mise en scène habituelle, légère et bondissante de de Broca, bien soutenue par l’entrain de Daniel Auteuil et l’élégance de Vincent Perez.
    Paul Féval, effectivement … pas sûr qu’on puisse le relire.
    Toutefois, j’ai relu l’autre jours plusieurs passages du Capitaine Fracasse, même genre d’intrigue, mais Théophile Gautier m’a paru tout a fait relisible.

  7. Hier soir , sur Arte, Le Bossu de Philippe de Broca: un pur régal, le roman éponyme de Paul Feval est sûrement illisible aujourd’hui…
    Ce qui fait la qualité d’un roman , c’est le style , avant tout : quel que soit le sujet traité.
    Ce qui fait la qualité d’un film , c’est sa mise en scène, quel que soit le sujet traité;
    Le cinéma muet en est la preuve éclatante.
    Pour ma part , je suis toujours frustrée par les adaptations cinématographiques: je trouve que l’on perd l’essence de l’écrit , cette singulière osmose entre soi et la pensée d’un autre.
    Regarder un film c’est perdre cette intimité de lecteur .
    Au profit certes d’une jubilation visuelle si le film est bon ;mais là le plaisir est immédiat : on ne peut pas «  relire » l’image;
    Ce sont deux modes d’expression différents.et il revient à chacun de se faire son idée du chef d’œuvre… ou de la daube…
    Marrant cette expression qui fleure bon les années 70…

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