Le projet pharaonique de Chamonix Mont-Blanc

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Une volonté de relancer le tourisme
Chaque année, les glaciers reculent. La Mer de glace et le glacier d’Argentière ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes et le tourisme d’été s’en ressent durement. D’hiver en hiver, la neige se fait plus rare, et la Société d’Exploitation des Remontées Mécaniques envisage de fermer définitivement un peu plus d’un tiers de ses installations dès la fin de la saison 2022-2023. On imagine déjà les retombées néfastes que ces mesures auront sur la saison hivernale suivante.
Bref, saison d’été ou saison d’hiver, l’avenir économique du tourisme dans la région de Chamonix est menacé. Face à ces sombres prévisions, la Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix Mont Blanc a réagi en lançant il y a deux ans un concours d’idées propres à revaloriser le tourisme local. 

Premier prix : Fiorella Filimokailagi
C’est l’artiste péruvienne Fiorella Filimokailagi qui a remporté le premier prix. Il lui a été remis par le premier magistrat de la ville vendredi dernier dans le salon d’honneur de l’Hôtel de Ville de Chamonix au cours d’une cérémonie à laquelle de nombreuses personnalités avaient tenu à assister. Le ministre du Tourisme qui s’était déplacé en personne, le directeur de cabinet du ministre de la Culture ainsi qu’Hélène Mercier-Arnault, épouse du PDG du groupe LVMH, ont tenu a confirmer qu’ils apporteraient leur soutien financier à la réalisation du projet. 

L’Art fugace
C’est en 2012 que le monde a découvert la première œuvre monumentale de Fiorellla  Filimokailagi. Pour la réaliser, elle avait fait peindre en noir et gris trois des plus hautes et plus étroites mesas du site de Monument Valley en Arizona de manière à ce qu’elles ressemblent à des cheminées d’usines en ruines. Par cette œuvre audacieuse dans ce cadre grandiose, l’artiste voulait symboliser, certains diront prophétiser, le déclin et la chute de l’ère industrielle.  On sait la polémique que cette installation artistique avait déclenchée au sein de la tribu Navajo, propriétaire des terres que surplombent ces mesas. On sait aussi que cette polémique faillit bien dégénérer en nouvelle guerre indienne quand on s’aperçut que les peintures spéciales avec lesquelles cette œuvre « éphémère » avait été réalisée ne disparaissaient pas aussi vite que l’avait prévu la société PPG de Chicago, fabricant des peintures et sponsor de l’installation.
C’est dans ce même esprit d’œuvre monumentale et éphémère, et dans la droite ligne de cette nouvelle école appelée Art Fugace, que l’artiste péruvienne a conçu son projet pour la vallée de Chamonix Mont-Blanc. Inspirée directement des peintures rupestres abstraites des montagnes du Huascaran et des techniques spatiales de Jean Dubuffet, l’œuvre de Filimokailagi veut exprimer le caractère éphémère des activités humaines, et en particulier de l’art, en opposition à la permanence irréfutable des créations de la nature.

Ci-dessus : la maquette de l’œuvre, exposée dans le hall d’honneur de l’Hôtel de Ville de Chamonix

La participation est ouverte
L’œuvre sera réalisée au moyen des nouvelles peintures évanescentes mises au point par P.P.G.Inc. Ces peintures seront appliquées sur les neiges et les glaciers du plus haut sommet d’Europe par les membres de l’Association des Guides de Haute Montagne. Ils seront assistés par la Gendarmerie Nationale qui mettra à disposition deux de ses hélicoptères pour amener personnel et matériel à pied d’œuvre. Cependant, à condition qu’ils soient encadrés par les guides professionnels, les alpinistes amateurs expérimentés seront admis à participer à la réalisation de l’oeuvre. On prévoit également qu’une pléiade de stars du sport, du show-business et des affaires tiendra à se joindre à cette gigantesque opération qui aura, à n’en pas douter, un retentissement mondial.  

Les oppositions au projet s’organisent
Trois associations écologistes ont dores et déjà prévenu qu’elles s’opposeraient par tous les moyens à la réalisation de ce qu’elles appellent un « maquillage nuisible et grotesque d’un des plus beaux sites du monde ». Des groupes incontrôlés de montagnards venus de toutes les Alpes commencent à installer des camps de résistance destinés à bloquer les points de passages vers le sommet du Mont. On annonce qu’ils seront bientôt rejoints par la Syndicat des Sherpah des Hautes Vallées Himalayennes ainsi que par une délégation d’indiens Navajo d’Arizona.
En réaction, le Président de la Région Auvergne Rhone-Alpes a déclaré qu’un bataillon de Chasseurs Alpins qui sera stationné à mi-montagne entre Argentière et Chamonix allait être mis a la disposition de la Communauté de communes pour la protection de l’œuvre et de ses exécutants.
D’un autre coté, on a appris que la Chambre de Commerce de la Vallée de Courmayeur avait proposé de sponsoriser elle aussi l’installation à la condition que le versant italien du Mont Blanc soit intégré dans l’œuvre. La proposition italienne  a été rejetée par les organisateurs. Le Ministero del turismo e dello spettacolo italien a décidé de demander l’arbitrage de la Commission Européenne. Celle-ci a promis de constituer une commission d’enquête qui devra se rendre sur place pour étudier la question et remettre son rapport à un Comité de Conciliation qui reste à constituer. 

On voit qu’a défaut de faire l’unanimité, le projet amènera au moins du monde dans la région.

3 réflexions sur « Le projet pharaonique de Chamonix Mont-Blanc »

  1. Cette photo me rappelle le Totem de Jean Dubuffet construit en 1968 sur l’île St Germain, à Issy-les-Moulineaux.
    Rebaptisé « La tour aux figures », titre moins accrocheur que Totem.
    A Chamonix dans un lieu plutôt aride , cela parait effectivement étrange sauf pour attirer les foules et créer des discussions amusantes.
    Et comme c’est fugace, alors pas de problème.

  2. J’ai relu deux fois ce texte pour me persuader que ce n’était pas 1er Avril rediffusé par erreur!
    Que nenni!
    J’ignorai l’existence de cette » artiste »: que son art reste fugace…on oubliera son nom plus vite..
    Ce projet est délirant : à part la bonne conscience d être dé fiscalisée qu’il apportera à la famille Arnault, quel intérêt pour la montagne? Si attirer une foule de gogos , armés de leur tel pour immortaliser l’ œuvre… je suis surprise que les chamoniards cautionnent une telle ineptie
    Il est vrai que tout va bien , et qu’on peut s’amuser à narguer les fourmis qui s’agitent dans la vallée…

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