Les personnages de roman mènent-ils leur vie ?

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C’est une coquetterie commune à beaucoup d’écrivains de fiction : ils déclarent volontiers qu’au bout de quelques chapitres, les personnages qu’ils ont créés prennent leur indépendance et se mettent à vivre leur vie propre.
Pour un esprit rationaliste comme le mien, c’est bien évidemment une blague et Charles Dantzig, écrivain, le confirme dans son dernier essai « Proust océan » :

« On dit beaucoup que Proust s’est inspiré d’Anatole France pour ce personnage (Bergotte). Inspiration ! Comment s’inspire-t-on d’une personne ? La plonge-t-on dans un grand faitout d’eau bouillante par-dessus lequel, la tête penchée recouverte d’un tissu, on fait une fumigation ? D’une personne on peut s’approprier un petit élément, éventuellement un autre (un geste, une parole, un acte), mais on en picore aussi à d’autres, et au moyen de ces tesselles on entreprend de composer une mosaïque, laquelle reste très fragmentaire.
Le primordial est apporté par l’imagination. Pour commencer, elle est préalable. On a l’idée d’un personnage et de son trait de caractère essentiel et les éléments pris aux personnes de la vie sont l’épingle qui redresse le faux pli, à la suite de quoi le personnage acquiert, non pas une autonomie en ce qu’il serait devenu magiquement indépendant de l’auteur, mais une logique ; peu à peu, comme une terre cuite sèche, il acquiert une posture, une intériorité ; l’imagination de l’auteur consiste à calculer ce qu’il peut le plus probablement faire à partir de ce commencement. Je ne parle pas tant de psychologie que de mouvement. »

C’est bien cette logique acquise par le personnage qui fait croire à l’auteur naïf émerveillé ou qui fait dire à l’auteur expérimenté et roublard que son personnage a acquis son indépendance.
Je vais quand même apporter un peu de contradiction à ce Monsieur Dantzig, avec qui j’ai, bien qu’il l’ignore, quelques différences d’interprétation sur certains passages de la Recherche du temps perdu.

Je suis d’accord avec lui quand il dit que c’est la logique qui fait agir un personnage de roman et non un prétendu désir de vie propre. Mais l’ironie qui consiste à comparer la création de Bergotte à une inhalation  de vapeurs d’Anatole France ne me satisfait pas comme argument, car c’est une pirouette qui se veut spirituelle mais qui n’est que puérile.

Comment nier que la logique de Bergotte, celle qui le conduira à travers le roman, est définie à partir du moment où le personnage est créé et ce, à partir d’Anatole France.

Nota bene : En réalité, pour ce qui est des personnages principaux d’un roman, ils ne sont généralement pas inspirés par une seule personne réelle, mais par plusieurs. Proust et moi pouvons vous le confirmer. Bonsoir.

5 réflexions sur « Les personnages de roman mènent-ils leur vie ? »

  1. Créer, ou penser sa création, est le propre de l’homme depuis que descendu du singe il a saisi un gourdin pour assommer son rival. Le processus de la création peut s’exprimer en toutes choses, dans toutes les formes créatrices de choses tangibles à voir, écouter, renifler, palper, goûter, ou de choses intellectuelles qui font penser d’autant plus qu’elles sont inédites ou fictives, ça peut être des choses à la fois tangibles et intellectuelles, le cinéma par exemple, ça peut être des choses inspirées par d’autres, Bergotte si j’ai bien compris, le cinéma encore qui s’inspire d’un roman ou d’un fait quelconque, bref, tout ça se regroupe souvent dans le concept de l’art. Les sciences au contraire analysent pour comprendre la rationalité des choses, surtout quand il s’agit d’expliquer les comportements humains, ce qui n’empêche pas les scientifiques de faire preuve d’une grande créativité parfois, surtout quand il s’agit de bouster le génie humain, par exemple en créant des gourdins toujours plus puissants. Par les temps qui courent, je doute, je me demande si le monde a besoin de diplomates créatifs ou de diplomates scientifiques pour retrouver l’harmonie des choses.

  2. Pour les serpents, pas de ricanements graveleux:j’adore les hommes et ce qui les distingue de nous les femmes…
    Charles Dantzig est un ovni érudit, hélas à l’écriture empoulée , contrairement à sa faconde : il faut l’ecouter, pas le lire…il sévit bien sûr sur France Culture.
    @Lorenzo: certes , certes,mais écrire des romans appelons ça le syndrome de Mr Jourdain: le romancier fait de la psychologie sans le savoir….

  3. Heureusement que Shakespeare, Mme de La Fayette, Stendhal, Victor Hugo, Flaubert et compagnie n’ont pas attendu la création des études de sociologie, de psychologie ou de socio-psychologie pour se mettre a écrire.
    Cette capacité à inventer, c’est l’imagination, qui est une disposition générale. La possibilité d’inventer, c’est l’inspiration, qui va et qui vient.
    La cohérence psychologique, c’est le lecteur qui juge si elle est là ou pas, avec sa propre notion de ce qu’est la cohérence.

  4. Ce qui m’impressionne le plus chez les romanciers, c’est leur capacité à inventer une histoire psychologiquement cohérente alors qu’ils n’ont aucune formation en ce domaine.

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