Rendez-vous à cinq heures avec le cinéma indien

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CESAR ET ROSALIE AU BENGALE
(Fritz Lang, 1959)

par Lorenzo dell’Acqua

Je ne regarde jamais la télévision et je vais encore moins souvent au cinéma. De rares exceptions cependant, imprévisibles, comme hier soir sur ARTE, la chaîne des intellectuels et des ingénieurs, qui proposait un chef d’œuvre, « César et Rosalie au Bengale », de Fritz Lang. L’intrigue ne vous surprendra pas car j’ai appris en vous lisant sur le blog que les situations scabreuses réunissant deux hommes et une femme, ou l’inverse, faisaient partie (ou avaient fait partie) de votre quotidien. Le scénario est exactement le même que dans le remake de Claude Sautet sorti en 1972 : les deux personnages principaux aiment la même femme. Ce film m’avait attiré, non pas à cause du résumé de Télérama, mais parce qu’il se déroulait en Inde où mon père avait été l’aide de camp de Lord Mountbatten. Malgré mon très jeune âge à cette époque, je garde un souvenir émerveillé de ce pays que nous quittâmes peu avant la partition meurtrière.

J’ai donc regardé hier soir ce film dont le metteur en scène, auteur de bien d’autres chefs d’œuvre comme « M le Montand » ou « Métropolis Python 357 », ne passe pas pour un plaisantin. Son « César et Rosalie au Bengale », que les plus jeunes d’entre vous pourraient ne pas connaître en raison de sa date de sortie en 1959, frappe d’abord par ses images kitch, ses dialogues convenus, un jeu d’acteurs énamourés des plus liquoreux, des personnalités manichéennes avec des méchants très méchants et des bons très bons, un côté rétrograde de mauvais goût faisant passer les hindous pour des colonisés serviles, sadiques et parfois même lépreux. Tous les acteurs sont des inconnus et, fort heureusement dans cette version doublée en français, ils ne parlaient pas leur langue maternelle, l’allemand, qui donne à l’originale, parait-il, une dimension surréaliste.

Autant vous prévenir tout de suite, son charme n’a rien à voir avec celui du remake homonyme de Sautet. Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas cassé la tête et s’est contenté de faire un simple copié collé. Chez Fritz Lang, l’architecte, penché sur de grandes feuilles de papier à dessins comme David, est aussi falot que lui. Quant au Maharadjah, il est comme César, très riche et très colérique. L’héroïne, elle, ne ressemble pas du tout à Rosalie : elle est plus jeune, n’a pas d’enfants ni d’ex-maris, ne débute pas une ménopause précoce et, surtout, elle a un vrai métier, elle : elle est danseuse. Seul point commun avec Romy, mais de taille, cette actrice aux yeux plus bleus qu’elle tu meures, excusez-moi mesdames, est d’une beauté à couper le souffle ! Pas étonnant qu’elle fasse tourner la tête à tous les hommes et même aux serpents. Heureusement, le tigre n’y est pas sensible ce qui est à l’origine de cette belle histoire.

En réalité, l’honnêteté intellectuelle qui me caractérise m’oblige à avouer que ce film atteint les sommets de l’art cinématographique dans une scène d’un érotisme d’autant plus torride qu’elle est inattendue en 1959. Jamais je n’avais vu tenue aussi hardie que celle de l’héroïne condamnée à danser devant un tribunal religieux masculin avec seulement le minimum syndical pour cacher l’ampleur de ses charmes. Au final, ce n’est pas le cobra qu’elle réussira à amadouer mais son amoureux, lequel, transgressant les règles ancestrales, ira tout simplement assommer l’animal au moment où il s’apprête à la piquer. On se dit que c’était bien la peine de nous faire aussi peur pour en arriver là mais on se dit aussi que si le metteur en scène n’avait pas eu cette idée sadique on n’aurait pas eu droit à la danse érotique. Alors, bon, c’est mieux comme ça, j’en conviens.

N’étant hélas pas ingénieur, je suis incapable de faire un rapport fiable sur le charme envoûtant, non pas du serpent, mais de Seetha-Rosalie. Pour vous faire votre propre opinion, précipitez-vous voir ce film et rappelez-vous que la scène mémorable se situe au début de la deuxième partie intitulée « Le Tombeau Hindou » dans lequel elle vous précipitera tous, messieurs, comme j’en suis convaincu …

Afin d’éviter toute interprétation abracadabrante dont certains, comme Couteillac, sont coutumiers, Fritz Lang propose une fin bien moins farfelue que celle de Sautet : César se retire dans un monastère tibétain et abandonne Rosalie à un David cachectique et déprimé par son séjour dans une geôle sordide qui a duré pendant toute le deuxième époque, autrement dit pendant une éternité.

 

 

11 réflexions sur « Rendez-vous à cinq heures avec le cinéma indien »

  1. Très heureux d’apprendre de Madame Menès que le pulvinar des macaques possède des neurones ophidiophiques. Mais ce qu’elle ne dit pas, la dame, c’est si la phobie des serpents révèle des désirs sexuels assouvis ou non. Peut-être n’a-t-elle pas lu le docteur dell’Acqua ?

  2. « Phobie le jour, cauchemar la nuit, angoisse toujours » de Martine Menès

    Plusieurs facteurs permettent de distinguer la simple peur des serpents de la véritable phobie tels que :
    • L’incapacité à se rendre dans un lieu où il est possible de croiser des serpents, comme les zoos ;
    • L’impossibilité de regarder des photos ou des films avec des serpents comme le Tigre du Bengale, de Fritz Lang;
    • Une simple lecture mentionnant l’animal peut déclencher un trouble anxieux ;

    Il existe même dans les noyaux du pulvinar du thalamus des macaques des neurones qui réagissent spécifiquement à la vue des serpents.

    Dans la tradition tantrique indienne, le serpent symbolise la kundalini ou « énergie vitale ». Il représente l’accès à la connaissance et à la conscience divine. Rien que ça !

  3. « Relire les œuvres complètes de Freud… »
    Je te remercie du conseil, mais je ne pourrai pas relire Freud, d’abord parce que je ne l’ai jamais lu et, ensuite, pas en allemand. 
Dire que peur et phobie sont la même chose, je serais plutôt d’accord, au degré près, car c’est leur définition. Mais dire que rêve et phobie, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, non.
    Avoir peur des serpents est une chose différente que de rêver de serpents. On peut faire les deux, avoir peur et rêver, mais on peut faire aussi l’un sans l’autre.
    J’avais effectivement lu quelque part que, pour Freud, rêver de serpents révélait un désir sexuel inassouvi. (Ça fait toujours plaisir à entendre).
    Mais Freud a-t-il dit qu’avoir peur des serpents révélait la même chose ?
    Je serai curieux d’avoir, en français, le texte dans lequel on trouve cette similitude, en particulier parce que moi aussi, j’ai peur des serpents.

  4. @Philippe. Oui, peut-être, mais je ne vois vraiment pas la différence. Pour Freud, c’est exactement le même problème, parce que peur ou phobie, c’est, qu’on le veuille ou non, blanc bonnet et bonnet blanc. Je te conseille de relire les œuvres complètes de Sigmund, de préférence en allemand.

  5. La théorie de Freud ne portait pas sur l’ophidiophobie, mais sur la signification des rêves de serpents.

  6. C’est tout de même plus agréable de regarder les programmes de télévision sur un hebdomadaire que sur internet. Inutile effectivement de lire les critiques de Télérama, elles n’ont aucun intérêt, sauf celle du Tigre du Bengale.

  7. Le Tigre du Bengale suivi du Tombeau Hindou, de Fritz Lang, est programmé à nouveau le Dimanche 18 décembre sur ARTE à 13h20.
    Une deuxième chance pour les cinéphiles non footballeurs.

  8. Moi, je suis abonné à Télérama, mais c’est juste pour impressionner la gardienne de mon immeuble. Je ne le lis jamais.

  9. Merci Lariegeoise pour cette précision qui donne enfin tout son sel au texte de Lorenzo dont la raison et le sens profond ne m’étaient pas apparus clairement jusqu’ici. En effet, à ma grande honte, je n’avais pas fait le rapprochement entre César et Rosalie au Bengale et le Tigre du Bengale, dont je n’avais plus entendu parler depuis mes 17 ans.
    Comme dit Jean-Claude Van Damme, « You have to stay alert » (On a les références qu’on peut)

  10. Pour les lecteurs peu habitués aux facéties linguistiques de Lorenzo et de surcroît pas abonnés à Télérama, je précise que le titre du film est « le tigre du Bengale » annoncé avec 4 T: signe d’extase pour le critique, François Gorin en l’occurence…
    Lorenzo dans une tournure moins intello semble avoir été frappé du même enthousiasme !
    Moi que l’idée même de serpent révulse, je me contenterai donc de la version écrite de ce chef d’oeuvre…

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