Les humeurs du Luxembourg

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Il y a l’humeur maussade, celle du temps gris et tiède, où les fauteuils sont encore mouillés de la dernière pluie. Le bassin est désert, même les canards n’ont pas envie d’être là. Le jet d’eau retombe sur lui-même dans un floc-floc onctueux de mollesse. Le drapeau tricolore, hésitant, pendille au-dessus du Sénat où quelques fenêtres sont déjà allumées. Un gardien siffle. On ferme !

Il y a l’humeur aventureuse, quand le vent souffle et fait battre dans mon sillage les pans de mon imperméable, quand les nuages noirs apparaissent derrière les tours de Saint-Sulpice et que je marche à grand pas, droit vers eux, sans crainte, prêt à tout dans ce jardin abandonné où se presse encore un dernier passant, le cou dans les épaules et la main sur le chapeau. La tempête approche, mais je passerai. Car je passe toujours…

Il y a l’humeur incertaine, comme le temps. On est là, mais on hésite. Prendra-t-on par le parc à l’anglaise ? Oui mais la traversée sera courte et ce sera tout de suite Montparnasse. Peut-être le long du bassin puis de l’Orangerie ? Il ne vaudrait mieux pas, il y a des travaux, des palissades, du bruit. Le long des tennis, alors ? Oui c’est cela, le long des tennis, et puis on contournera les petits chevaux de bois du manège, on passera devant le parc à jeux et on finira par les terrains de boules. Ça nous fera une matinée sportive. Ah oui, mais non ! Il est  trop tôt et ni les enfants ni les vieillards ne seront encore arrivés. Alors, que faire en attendant ? S’asseoir ?

Il y a l’humeur vindicative, l’humeur de chien, l’humeur agressive où une douzaine de ridicules font de la gymnastique en soixante-douze images secondes sous la baguette d’une long barbu faussement oriental. Celle où une forte femme fardée promène un vilain clébard dans une zone interdite, celle où les mouettes criaillent au-dessus du bassin. Quelqu’un traine un fauteuil métallique dans un bruit d’enfer, un enfant trépigne et glapit en remorque d’un père mal rasé et, au loin, le long des grilles de la rue de Médicis, un motoconnard fait rugir ses cent chevaux entre deux feux rouges. Une caravane d’anoraks bariolés traverse la grande allée entre deux rangées de bâtons de marche nordique en polycarbonate allégé. Je les regarde passer et je ricane.

Et puis il y a l’humeur bienveillante. Il fait beau et on sent qu’il va bientôt faire doux, très doux. Les vieux jouent aux échecs, sereins, le menton dans la main. Concentré sous son casque bleu, un petit enfant agite les jambes le plus vite qu’il peut pour faire avancer sa draisienne qui trace son sillage dans les feuilles mortes. Derrière, son père, attendri. Dans sa mémoire, cette image vient de se graver pour toujours. Il doit être un peu plus de midi parce que toutes les chaises, tous les fauteuils, tous les bancs sont occupés par des garçons et des filles. Ils sont de Montaigne, de Notre Dame de Sion ou de l’École Alsacienne. Ils rient et mangent en groupe des salades compliquées qu’ils pignochent dans des boites en carton, ils boivent des cocas, fument des américaines et ne me voient pas.

 

3 réflexions sur « Les humeurs du Luxembourg »

  1. Rien à dire , c’est du vécu!
    Que ce texte n’arrive jamais sous les yeux des ayotollas de la Mairie: ils seraient capables d’en faire une aire d’accueil pour tentes à migrants….
    Car le Luco, c’est le dernier carré VIP de la capitale…

  2. Ces humeurs changeantes du Luxembourg sont à l’image de celles vécues par le monde durant l’année 2022, des moments de doutes, de désarroi, parfois de révolte, mais d’autres, rares, d’euphorie et même d’espoir. On peut toujours rêver que le monde s’engage pour de bon sur la bonne allée et pas dans un labyrinthe sans issue.

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