¿ TAVUSSA ? (76) – Mais où donc habite le Diable ?

Désœuvré comme je le suis depuis que j’ai écrit le mot fin sous la dernière ligne du Cujas, je regardais l’autre jour sur Netflix ce film de 2006 — quinze ans déjà ­— Le Diable s’habille en Prada, comédie New Yorkaise légère, anodine et prévisible mais quand même assez réussie. Pour une fois, malgré cette entrée en matière, je ne vais pas vous parler de cinéma. Par exemple, je ne vais pas vous expliquer combien ce film est un exemple de plus de l’étonnante adaptabilité de Meryl Streep et de Stanley Tucci à n’importe quel rôle. Je pourrais, bien sûr, mais non. Pas le sujet !

Comme vous le savez sans doute, ou comme vous l’avez deviné d’après le titre, Le Diable s’habille en Prada se passe dans le milieu de la mode et plus précisément au sein d’un de ses magazines éponymes, le modèle ici choisi étant Vogue. Le point culminant du film, la récompense ultime vers laquelle tendent tous ses personnages, c’est le voyage à Paris, c’est la semaine où tout le beau monde de la mode se retrouve à Paris autour des Collections, la Fashion Week. Cette partie du film donne au réalisateur l’occasion de montrer brièvement une suite de visions féériques de Paris-la-nuit à travers la vitre d’un taxi. Cette séquence, plus que classique, au-delà même du cliché, m’a pourtant donné le frisson, tant j’ai trouvé que la ville était belle. Vision plus solennelle que celle de Woody Allen, le vrai photographe de Paris, mais superbes images quand même.

Elles m’ont donné le frisson, mais aussi, elles m’ont flanqué le cafard.

Le cafard ? Mais pourquoi le cafard ?

Eh bien, parce que Paris disparait ; la ville que nous avons connue, que nous avons eu la chance de connaitre, avec ses perspectives somptueuses, ses artères illuminées et ses rues vibrantes d’activité, enfin tout le toutim, eh bien cette ville disparait. Je crois bien même pouvoir dire qu’elle a disparu.

Résultat de la combinaison municipale d’une furieuse idéologie, d’une autorité absolue et d’une absence surprenante de souci esthétique, Paris se retrouve aujourd’hui avec ses chaussées peinturlurées de jaune, de blanc et de rouge, ses artères encombrées de poutrelles anti-chars en béton crasseux, ses rues hérissées de piquets tordus en plastique blanc et noir fichés dans le sol, ses trottoirs plantés d’une foison de panneaux compliqués plus péremptoires qu’indicatifs, ses berges équipées de containers-bistrots toujours fermés et de pauvres attractions dégradées, son Rond-Point des Champs-Élysées insulté de tristes fontaines en tuyaux de douche, son Jardin des Champs-Élysées affublé d’un énorme bouquet de chamallows ramollis, sans parler de quelques œuvres plus ou moins éphémères que l’avenir nous réserve. Il faudrait ajouter à cela la saleté des rues, l’encombrement des trottoirs par des tas inextricables de trottinettes, les containers à vélos, mais ce serait bien trop triste.

 Mais il n’y a pas que dans son décor que Paris se dégrade. Son mode de vie, son ambiance a radicalement changé.

En bien, tout d’abord :

  1. pour leur plus grand nombre, les voitures sont maintenant silencieuses (Merci les constructeurs, la Mairie n’y est pour rien).
  2. Les automobilistes sont plus respectueux des piétons. Est-ce le résultat d’une action de l’Hôtel de Ville ? Ne serait-ce pas plutôt le désir des conducteurs de se concilier les piétons en vue d’une alliance sacrée pour lutter avec eux contre les deux-roues. D’où, sur les passages réservés, les aimables « après-vous ; je n’en ferai rien ; je vous en prie» qui autrefois auraient fait s’esclaffer le premier agent de police venu et qui aujourd’hui font l’admiration du touriste ébahi.

La question des améliorations étant réglée, passons au processus de pourrissement :

  1. Les deux-roues motorisés dont pas un seul ne respecte les limitations de vitesse en ville et dont plus de la moitié nous casse volontairement les oreilles en libérant son  échappement.
  2. Bon, ça, c’est le comportement normal du motoconnard dont j’ai eu l’occasion de parler ici à de nombreuses reprises. Mais ce qui est étonnant, et consternant, et constant, c’est que jamais on ne voit un motoconnard se faire verbaliser pour l’un des motifs précédemment cités, ni pour aucun autre motif d’ailleurs. La raison de cette passivité de la police municipale resterait mystérieuse si l’on ne se rappellait le pouvoir de nuisance potentielle d’une congrégation de motoconnards, toujours enclins à déclarer bridée leur liberté d’emmerder le monde.
  3. Les autres deux-roues (vélocipèdes et trottinettes) — on laissera tomber pour aujourd’hui le mono-roue, acrobatique et marginal — réussissent aujourd’hui à cumuler les nuisances de la mouche ordinaire, du guépard asiatique et du rhinocéros de Sumatra, toujours à voleter quelque part à la limite de votre champ visuel, à vous surprendre par derrière à la vitesse de l’éclair, ou à vous expédier d’un coup de guidon à La Pitié-Salpêtrière ou ad patres.

On plaisante, on plaisante, mais le sujet est tout ce qu’il y a de sérieux. Y a-t-il encore une seule personne dans cette cité qui ne connaisse quelqu’un qui n’ait été frôlé, heurté, renversé par un centaure à bicyclette ou un surfeur des rues à trottinette ? Encore heureux quand ils ne se mettent pas à deux sur la chose.

Non contents d’être un danger pour le citoyen.ne moyen.ne, cette catégorie d’usager de la voie publique développe un comportement de plus en plus agressif. Il faut reconnaitre que leur agressivité s’exerce la plupart du temps presque uniquement envers les automobilistes. Mais le tour des piétons viendra avec l’usage.

Les deux-roues sont devenus le fléau de la ville. C’est le premier sujet de conversation de tous les citadins de plus de 29 ans, bien avant le temps qu’il fait ou l’élimination de la France de l’Euro 2021. Comme les sauterelles, les deux-roues se sont multipliés et comme les aurochs, ils agissent stupidement en dangereusement, remontant les sens uniques, brulant les feux rouges, empruntant trottoirs et passages piétons, tout en téléphonant tout comme n’importe quelle conductrice d’automobile. Comme disait Timsitt à propos des cons, on peut dire à propos des deux-roues que chaque année, il en arrive de nouveaux, mais que cette année, on a l’impression que ceux de l’année prochaine sont déjà là.

On pourrait penser que, devant les conséquences graves que tant d’incivilités ont sur la santé morale et l’intégrité physique de la population ordinaire, les autorités en ferait enfin preuve et procéderaient à des contrôles, suivis bien sûr de sanctions.

Mais comme le déclarait l’adjoint d’Anne Hidalgo à la circulation au micro de Jean-Jacques Bourdin : « L’objectif de la Mairie étant de promouvoir l’usage des deux-roues, prendre des sanctions à leur encontre serait improductif. » Réplique définitive et imparable…

    4. Comme on vient de le voir, les mesures municipales incitatives de l’usage des deux-roues et dissuasives de celui des automobiles ont eu le double effet de dégrader l’esthétique des rues de Paris et de mettre en danger la sécurité des Parisiens. Mais ce n’est pas tout et je prendrai comme exemple de cela la rue de Rivoli : hérissée de panneaux d’interdiction et d’obstacles antichars, désertée par les automobiles, fréquentée par de rares piétons, dont les plus courageux tentent épisodiquement de franchir deux autoroutes à vélos parallèles, hésitants, deux pas en avant, trois pas en arrière, apeurés, un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, car on ne sait jamais d’où viendra le danger. Ce tableau grandiose mais désespérant me donne l’image d’un Paris post-apocalyptique, d’une ville au lendemain d’une attaque nucléaire ou à la veille d’une invasion par des hordes barbares, quand chacun, furtif et inquiet, se hâte de rentrer chez soi en espérant y retrouver les siens sains et saufs.

   5. Mais ce n’est toujours pas tout. La circulation, les encombrements, les temps de parcours, le stationnement… Hein ! Qu’est-ce que vous dites de ça ? Le sujet est important mais beaucoup plus technique. Si vous le voulez bien, on en parlera une autre fois.

Pour aujourd’hui, je voudrais conclure de cette manière : je ne suis pas certain que notre Diable s’habille vraiment chez Prada, mais je sais où il habite : à l’Hôtel de Ville !

Et voilà qu’il voudrait habiter l’Élysée !

Miserere nobis !

N.d.A. : Cette complainte a été écrite avant l’annonce de la der des der : limitation de vitesse à 30km et stationnement en hausse drastique ! Je plussoie donc : Miserere nabis !

Bientôt publié

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13 Juil, 07:47 Le Cujas (79)

Une réflexion sur « ¿ TAVUSSA ? (76) – Mais où donc habite le Diable ? »

  1. AAH… pas elle, pas à l’Élysée, pitié! Imaginez une seconde Hidalgo à un G7, mieux à un G20, la risée dépasserait Paris, la France et deviendrait internationale.

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